Fumiers de Thomas Blanchard © Alain Monot

Le Train Bleu, un itinéraire côtier

Ceux qui m’aiment prendront le Train… Bleu

 

Après le succès de sa première édition, le Train Bleu repart en balade avec les beaux jours du printemps, offrant des spectacles à découvrir tout au long de sa trajectoire. Sur cinq jours au lieu de trois se déploie une programmation encore plus débridée, avec en point d’orgue l’univers démoniaque de Fumiers de Thomas Blanchard.

 

Le projet au fil de la Côte bleue et de la ligne ferroviaire joignant Marseille et Miramas nous ramène à l’époque où prendre le train laissait du temps à la rêverie, aux escales improvisées, au pique-nique collectif et au partage en tout genre. Sur cette base se sont créés des parcours imaginaires, incluant propositions artistiques, randonnées pédestres, haltes musicales, déambulations animées dans les musées (le MuCEM, la Vieille Charité) et casse-croûtes. Un programme à la carte, à utiliser dans sa forme « Parcours journée » ou par spectacle individuel.
Bien qu’elle ne soit pas la ville la plus importante du dispositif, Martigues sera notre étape principale, choisie à plus d’un titre de transport émotionnel.
D’abord pour rendre hommage à Gilles Bouckaert d’avoir mis sur les rails cette heureuse initiative. Arrivé en 2015, le nouveau directeur des Salins a transformé son constat de certains manques du territoire (transports en commun inadaptés, isolement de certaines structures culturelles pourtant attractives…) en solide argument pour accrocher à son Train Bleu les wagons d’institutions et d’acteurs locaux comme la Criée ou Scènes et Cinés Ouest Provence. Un pari fou qui s’étoffe cette année avec l’arrivée du Théâtre Joliette-Minoterie et pérennise la collaboration avec les réseaux Cartreize et Ulysse pour conduire les spectateurs d’un lieu culturel à un autre et les ramener à la casa en fin de parcours, lorsque dame SNCF est déjà endormie…
Ensuite pour parler du Collectif Ildi ! Eldi !, nouvellement installé dans la région et déjà remarqué à ActOral et sur d’autres scènes d’écritures contemporaines. Dans Toutes les femmes sont des Aliens d’Olivia Rosenthal, présenté au Cinéma Le Renoir, le duo composé de Sophie Cattani et Antoine Oppenheim utilise le prétexte du ciné-club pour revisiter des films cultes, ici celui de Ridley Scott.
Enfin, car le Théâtre des Salins accueille en ouverture des festivités la pièce Fumiers de Thomas Blanchard. Une des propositions les plus excitantes de la programmation, totalement en phase avec l’exigence d’allier qualité et accessibilité pour tous.
Le sujet de Fumiers est universel : un conflit de voisinage. Il est ici certes un peu particulier puisque matérialisé par le dépôt chaque matin d’une brouette de fumier dans la cour commune de deux fermes mitoyennes, abritant d’un côté une agricultrice de 75 ans autant ancrée dans sa terre que dans ses convictions, et de l’autre un couple de Parisiens aisés et méprisants (un euphémisme).
En adaptant librement un épisode français de l’émission Strip Tease, dont il utilise les dialogues, Thomas Blanchard donne à son spectacle une forme qui flirte beaucoup avec la comédie, mais pas totalement… En effet, privé de commentaires pendant les séquences télévisuelles et de parti pris dans la version théâtrale, le spectateur est mis en situation d’inconfort. Chacun doit forger son opinion par rapport à ce conflit, ce qui ouvre le débat après la représentation et ne manquera pas d’animer les discussions dans les bus du retour.
Comédien déroutant avec une forte capacité dramaturgique, Thomas Blanchard nous a récemment sidérés à l’écran dans Préjudice d’Antoine Cuypers. Ce qui ne l’empêche pas de déployer également une facette comique, que ce soit dans Ubu l’été dernier à Avignon (mis en scène par son ami Olivier Martin Salvan, également interprète de Fumiers) ou dans son prochain film, Le Voyage au Groenland de Sébastien Betbeder, dont il partage l’affiche avec son ami Thomas Scimeca.
Thomas Blanchard est aussi un metteur en scène représentatif de son époque : « Fumiers n’est pas un spectacle militant ni sociologique sur le monde rural qui témoignerait d’une réalité de la campagne. C’est un spectacle qui mêle plein de choses, même des clichés qui sont très communs, très français, voire franchouillards d’une certaine manière. En même temps, ça nous interroge sur notre identité, sur l’être humain, le comment vivre ensemble, le groupe et la question du conflit et de l’extrême. »
Il privilégie une forme ludique et burlesque, poussée dans l’outrance par les personnages, les costumes et la scénographie de Clédat & Petitpierre. A partir d’une petite histoire de voisinage, il met en exergue les mécanismes inhérents au conflit : l’incompréhension, la haine, la jalousie, la rivalité, la lutte des classes… D’un élément très simple, brut (le tas de fumier), on se dirige vers quelque chose de plus ample et même lyrique, qui devient dans sa représentation plastique quasi fantastique. Le fumier devenant plus humain que les humains.
« Il s’agit d’un état des lieux sombre de la société dans laquelle nous sommes maintenant, mais avec l’idée de ne pas être passif face à cela, d’être dans un questionnement pour comprendre comment les choses se passent. »
Dans le but de sonder encore davantage l’âme humaine du côté de la folie, on ne saurait trop vous conseiller de voir également Tchatchades folies du psychiatre catalan François Tosquelles et de l’excellent Christian Mazzuchini. Un préambule à la suite de Psychiatrie / Déconniatrie, Dingo Dingue, qui sera créé en octobre prochain aux Salins.
Au programme également de ce Train Bleu décidément plein de surprises, un travail de Renaud Marie Leblanc, des notes de Raphaël Imbert et du Café Zimmerman, des pas de Geneviève Sorin et le ciné-concert Ali 74, le combat du siècle de Nicolas Bonneau, Mikael Plunian et Fannytastic au Théâtre de l’Olivier à Istres.
On vous laisse lire la suite du programme dans le train pour réserver vos prochaines étapes du voyage azur.

Marie Anezin

 

Le Train Bleu, un itinéraire côtier : du 29 mars au 3 avril à Marseille, Ensuès-la-Redonne, Sausset-les-Pins, Martigues, Port-de-Bouc, Istres et Miramas.
Rens. : www.theatre-lacriee.com / www.les-salins.net

Pour vos déplacements, téléchargez l’application sur www.pacamobilité.fr

La programmation complète du Train Bleu ici