Retour de Scène | On ne dit pas j’ai crevé par le Joli Collectif à la Friche La Belle de Mai

La mort lui va si bien

 

Lourd pari que celui entrepris par Enora Boëlle de parler de la mort à des enfants. On a pris pour habitude d’éviter le sujet, ou de parler avec des métaphores angéliques de ce moment difficile pour tous ceux qui restent, quel que soit leur âge. La pudeur est de mise. Elle ne le sera pas sur le plateau de On ne dit pas j’ai crevé, dont le titre à lui seul signifie l’ambition de départ, un pavé dans la mare d’une bienséance malvenue.

 

 

De cette ambition, et de son expérience personnelle, la comédienne venue de la Bretagne romantique joue seule en scène. L’histoire commence par la FIN, le mot en lettres néon surplombant le plateau. Pour seul décor, une table chirurgicale, une couverture de survie et un vase géant aux fleurs grandiloquentes. Les accessoires soutiennent l’intrigue avec autant de sobriété que de pertinence : le texte démarre sur ce moment bien précis de la mort clinique. Seule en scène, comme dans ce périple qu’elle commence.

Avec douceur et distance, la jeune femme énumère les symptômes à la première personne et au présent. Le cœur ne bat plus, il n’y a plus d’air qui circule dans ses narines, plus de va-et-vient, l’immobilité non voulue, puisqu’elle ne veut même plus. Cerveau point mort.

Arrive alors dans le texte la thanatopractrice, dans la chambre froide. Ose retrouve dans le funérarium. Ici, les détails sont décrits sans pudeur, avec pragmatisme. On y parle maquillage, point de colle aux mâchoires, et dernière tenue. Le public, jeune et moins jeune, est captivé, il apprend, il comprend. Pourtant, à nul moment, on ne saura les raisons du décès, et c’est bien là une réussite de Robin Lescouët, qui n’utilisera d’ailleurs pas une seule fois le mot fatidique : MORT. Beau tour de passe-passe : en évacuant les causes, il rend l’expérience universelle et, en un certain sens, cathartique. Pendant une heure, le souffle du public est captivé, comme suspendu, accompagnant cette jeune femme au mitan de sa vie, mais aux portes de la nôtre, nous qui la regardons, nous qui restons. Le choix des couleurs du costume en color block, pantalon violet pour la spiritualité et couleur jaune complémentaire solaire, dédramatise avec simplicité. Le rythme doux et apaisé de la diction et la présence sereine de la comédienne aussi. Vient le moment de se quitter, dans un moment poignant qui n’a pas fait sourire tous les spectateurs, mais que serait donc cette vie si elle n’était pas marquée par la finitude de l’adieu ? À la vie comme au théâtre, on naît, on s’aime, et on meurt… Sans détour, le Joli Collectif signe ici une pièce nécessaire, sans provocation, sans tragique, et prévient avec des mots simples de ce qui peut arriver aux autres et de ce qui nous arrivera, seule certitude sensible, d’un traitement sans fard et sans pathos, avec une infinie tendresse. Dans le florilège des spectacles proposés au jeune public, notamment de ceux proposés sur la scène du Théâtre Massalia, On ne dit pas j’ai crevé prend une place à part, où nous n’éclaterons pas de rire mais, qui pour sûr, restera dans les mémoires des petits et grands, ouvrant un dialogue et libérant la parole entre générations et vécus divers. Le lien est fait, et nous les en remercions.

 

J.S.

 

On ne dit pas j’ai crevé par le Joli Collectif était présenté le 5/05 à la Friche La Belle de Mai.

Rens. : www.theatremassalia.com/