Joseph d'Anvers © Laurent Sigwald

Joseph d’Anvers (Festival Avec le Temps)

L’interview
Joseph d’Anvers

Ancien boxeur, Joseph d’Anvers garde le goût du challenge, n’hésitant pas à remplacer au pied levé Ronan Luce pour le concert de clôture du festival Avec le Temps.
Rencontre avec un homme toujours ravi de retrouver les terres marseillaises de son complice et guitariste attitré Cédric Le Roux (Lescop, Villeneuve, Phoebe Killdeer, Deportivo, Izia…).

 

Joseph d’Anvers est un artiste multi talents, auteur, compositeur, interprète, écrivain, mais avant tout homme d’image. Il ne peut se départir de sa passion du cinéma ni renier sa formation à la FEMIS et son passé de chef op’. Si, entre ses deux passions, la musique l’a emporté et fait reconnaître, tout son travail reste empreint de cet univers cinématographique. En témoigne son spectacle à succès Dead Boys, road movie musical à partir du recueil de nouvelles de Richard Lange. Cette influence prend d’ailleurs toute sa mesure dans son dernier et quatrième album, Les Matins blancs, dans lequel des titres de références (Regarde les hommes tomber, Surexposé) dialoguent avec des répliques de films mythiques croisant l’ombre de certains chanteurs aimés (Bashung, Darc). D’Anvers va jusqu’à écrire ses textes comme des mini scénarios, aux sonorités poétiques sur des mélodies envoûtantes (Amours clandestines).

 

Les Matins blancs est un album de rupture et pourtant, il n’y a jamais eu autant de chansons d’amour. Comment expliques-tu cela ?
J’ai essayé d’aborder d’autres thèmes, mais il n’y a rien à faire, c’est ma nature, je reviens toujours à la vie, la mort, les femmes. (Sourire)
En fait, un truc paradoxal s’est passé : à un moment donné, j’ai cumulé les ruptures sauf sentimentales. Ma rupture avec Atmosphériques (maison de disques), une rupture du tendon d’Achille et un break avec la personne qui s’était occupée de mon spectacle Dead Boys. Je ne me suis pas dit consciemment « Tiens, je vais écrire sur tout cela », l’inspiration s’est présentée comme ça. De même que je souhaitais revenir au style d’écriture de mon premier album, c’est-à-dire une écriture un peu plus directe, plus simple, moins prolixe.
Souvent on me dit, vous devez être triste car vous faites souvent des chansons tristes, mais j’ai l’impression que lorsqu’on est triste, on écrit des chansons gaies et vice versa. Quand tu écris une chanson, c’est souvent sur quelque chose que tu as digéré de ta propre vie.

 

Musique, roman, spectacle musical ou pour enfants, compositeur pour Bashung et un album pour Dick Rivers… Les Matins blancs ne sont-ils pas la suite de tes nuits blanches à cogiter mille projets dans ta tête ?
Oui. Il a aussi été écrit à une période d’immobilisme et d’immobilité, donc de matins blancs. Mon immobilisme physique m’a miné et obligé à me poser et, du coup, à cogiter. Les Matins blancs sont nés d’une profonde fragilité, mais qui m’a amené à avoir une grande force maintenant.
Après, personnellement, j’ai besoin de varier les projets. Je réponds au fil de la vie. Désormais, j’ai envie de m’investir dans des projets qui ne me feront peut-être pas gagner beaucoup d’argent à la base, mais qui auront le mérite d’exister. Et le tout réuni me définira plus encore dans cette diversité.

Ta musique est souvent qualifiée de pop élégante. Est-ce un terme qui t’énerve ou qui te convient ?
Il me convient totalement. C’est marrant, c’est la première fois que j’ai un peu théorisé un album avant de le faire. Je n’ai pas théorisé sur le fond mais sur la forme. Je voulais un album plus posé. A un moment donné, au quatrième album, tu te demandes où tu veux aller. Maintenant, j’ai davantage envie de fouler les terrains de la pop française, avec une touche classe. Et c’est un son que j’ai réussi à tenir en studio, quand les gars de Daho sont venus et que François Poggio (Lou Douillon, Florent Marchet…) m’a proposé des sons de grosses guitares, un peu crasseux, style Jack White ou The Kills, que j’adore. J’ai pensé : ok, c’est super mais ce n’est pas pour cet album. Là, j’ai besoin des guitares plus classiques, que ça soit beau, chic, tout en finesse. Quand les idées venaient en studio ou quand je faisais des prises ou des mixes, je me laissais porter, il y avait quelque chose que l’on peut trouver sur un plateau de cinéma, une certaine énergie… Mais cela peut aussi te faire dévier de ton idée première. Là, j’ai tenu bon dans cette posture vers laquelle je voulais tendre même si sur scène, ça sera beaucoup plus rock que sur l’album.

 

La chanson Regarde les hommes tomber est donc un hommage à Jacques Audiard ?
Oui, c’est l’un des derniers réalisateurs de ce fameux cinéma du milieu, qui a quasiment disparu, des mecs qui font un cinéma exigeant et en même temps relativement grand public. Ce qui, dans la musique, n’existe plus trop. Soit tu vends 300 000 albums et tu t’appelles Stromae, soit tu t’appelles Armand Méliès, tu vends 1 000 albums et tu joues une musique un peu élitiste — et encore ! Il n’y a plus tellement de gens au milieu. Cette chanson est donc un petit clin d’œil, non seulement à Jacques Audiard et à mon passé, mais aussi à cette classe moyenne qui, d’année en année, souffre de plus en plus.

 

Quels rapports entretiens-tu avec ton public via Facebook ?
Ce que je fais sur Facebook est quelque chose qui, pour moi, coulait de source il y a quelques années. Je tenais à abolir la distance entre les chanteurs qui se mettent sur un piédestal et ceux qui écoutent mes chansons. Pour moi qui venais du cinéma, un milieu beaucoup plus démocratique que la musique, il était important que mon public puisse suivre, presque au jour le jour, l’évolution d’un album.

 

Est-ce que cette proximité a favorisé l’autofinancement de ton album via la plate-forme de crowdfunding KissKissBankBank ?
Je suis sur FB depuis presque sept ans et j’essaye d’entretenir ce rapport, malgré des périodes de doutes où tu te dis « à quoi bon raconter tout cela ? ». Je suis parti du postulat qu’à l’époque où j’étais fan, que je ne connaissais personne, j’aurais bien aimé que les gens que j’écoutais me tiennent au courant de leurs projets, parlent de leur musique, disent où ils en sont. Contrairement à ce que l’on pense, c’est une démarche qui n’est pas narcissique, mais plutôt altruiste. Je montre aux gens ce que je fais, je réponds à tous les messages, ça me demande du temps.
Donc quand je les sollicite via KissKissBankBank, la démarche que j’ai mise en place depuis toutes ces années a un écho, les gens se sentent visés, ils donnent… C’était fou d’avoir récolté la somme en 24h, fou que ce soit le projet le plus populaire et rentable du site et récolte 300 % de la somme prévue. Ça m’a fait plaisir.

 

Peux-tu parler de ta collaboration avec Cédric Le Roux, Marseillais d’origine, qui joue aussi avec Lescop et t’a écrit le titre Marie ?
Nous nous sommes rencontrés via Raphaël Seguinier, mon ancien batteur. Je cherchais un guitariste pur et dur pour ma première tournée. Il m’a dit : « Cédric n’est pas un musicien comme on l’entend, c’est-à-dire qu’il ne va pas déchiffrer la musique, il ne connaît pas le solfège, mais il a un super son et de bonnes idées. » Je suis allé le voir à la Flèche d’Or, je l’ai engagé pour la scène. Il a fait la tournée des Jours sauvages. Il a enregistré les guitares de Rouge fer, et fait la tournée. Pour Les Matins blancs, je ne voulais pas prendre de musiciens que je connaissais intimement, je voulais sortir d’un confort et d’automatisme. J’ai donc changé et pris des nouveaux, qui se sont avérés être les musiciens de Daho. Par contre, pour la tournée, je voulais des gens nouveaux mais avec aussi un élément proche, qui facilite un peu les choses. Cédric, donc. J’ai reconstitué une nouvelle équipe, qui va s’articuler autour de Nicolas Deutsch, contrebasse clavier, un mec super qui joue avec Emilie Simon, Thomas Fersen , Constantin… A la batterie, c’est un jeune mec de 24 ans, Tom Davaux, qui n’a quasiment pas d’expérience. Et Cédric, qui est un sacré atout sur scène. Tout ça fonctionne assez bien car les énergies se recoupent.

 

Tu remplaces Renan Luce au pied levé, pas trop galère ?
On adore le pied levé ! Comme c’est un peu tard pour les réservations, on va nous mettre au Café Julien. Du coup, nous venons en train à l’arrache, nous n’aurons pas notre matos, nos amplis, ni la contrebasse. Ça va vraiment être rock and roll, une version à l’os, un peu brute de l’album…

 

Tu es souvent venu jouer à Marseille, quelles impressions en gardes-tu ?
J’y ai toujours, sans démagogie aucune, des supers souvenirs. J’ai déjà fait trois concerts à Marseille : au Moulin pour le Campus Tour, c’était génial ; au Poste à Galène, premier concert seul pour défendre Les Jours sauvages, peu de monde mais sympa. La famille et les potes de Cédric étaient dans la salle. Nous n’avions pas dormi de la nuit avec Cédric, nous étions repartis au matin, c’était assez fou. Et la dernière fois à l’Espace Julien avec Miossec, j’étais tout seul, c’était la troisième date de la tournée, la ferveur du public avait été dingue et l’after aussi… (Grand rire)
Je ne sais pas pourquoi, à Marseille, il y a un truc que j’aime bien, alors que ce n’est pas forcement le public le plus facile, ni la ville où les gens bougent le plus, en tout cas pour les petits concerts, mais il y a toujours un effet magique. C’est peut être dû au climat, aux gens… Il y a des villes comme ça où il y a un air, une lumière… Ici, je me fais toujours embringuer. En même temps, c’est aussi pour ça que tu fais de la musique. Tu ne peux pas t’amuser à ça tous les soirs car sinon tu meurs à quarante ans, mais à chaque fois où j’ai joué ici, j’ai fêté ça dignement !

 

Quand allieras-tu tes deux passions, cinéma et musique ?
Je vais essayer de développer la musique de film. J’en ai fait une pour un moyen métrage, L’Inconnu me dévore, qui a reçu pas mal de prix. Son réalisateur, Avel Corre, est très inspiré par l’univers de Wong Kar-Wai ; comme j’adore ce réalisateur, cela m’a tout de suite parlé. Etrangement, Avel était en BTS audiovisuel avec moi. Il s’agit de l’histoire un peu surréaliste de deux personnes qui se rencontrent sur le port de Brest. Je me suis éclaté dans cet exercice de composition pour l’image. J’avais fait pas mal de musique de film du temps de la FEMIS et puis un docu-fiction, une commande d’Arte, sur deux enfants malades qui voulaient avoir le droit de s’aimer.

 

Tes autres projets ?
J’ai un projet avec Dimitri Kennes, un Belge qui était PDG des éditions Dupuis, pour l’adaptation de mon album Les Matins blancs. Il s’agirait de partir de mes chansons, que je les réécrive en nouvelles et peut-être les faire adapter ensuite en bande dessinée par une jeune Espagnole, Sasa Pele, la fille du dessinateur qui a repris la franchise Corto Maltese. Je ne sais pas du tout la forme que ça aura. C’est très obscur de repartir de mes chansons écrites et, en même temps, ça me motive à mort. Est-ce que je dois coller à la chanson ou extrapoler, est-ce qu’il se peut que ce soit juste un point de départ ?
Cela va un peu aérer l’aspect promo des Matins blancs… Cette maison d’édition, Kennes, est dans la même optique que moi de toujours créer des objets originaux et les plus beaux possible, sans forcement répondre à une demande commerciale.
J’ai mis en jachère l’écriture de mon deuxième roman parce que j’en suis arrivé à un stade où je ne sais pas si je dois l’étendre à un roman ou en faire un recueil de nouvelles, un roman graphique ou un scénario…

 

Propos recueillis par Maryline Laurin

 

Joseph d’Anvers : le 25/03 avec Armelle Ita au Café Julien (cours Julien, 6e), dans le cadre du Festival Avec le Temps.
Rens. : www.festival-avecletemps.com