Série Testa de Livia Vesperini-Roure

Habitacles, exposition des diplômé·es art & design / Murmurations, volet 2 à la Friche Belle de Mai à Marseille

Espaces à ménager

 

Intégrer, s’insérer, séjourner, territorialiser : autant de verbes qui se jouent de l’art contemporain, ces temps-ci, à la Friche La Belle de Mai. La rentrée s’est ouverte sur plusieurs expositions, dont Habitacles, ou la première monstration collective de la fraiche fournée des trente-sept diplomé·es art ou design des Beaux-Arts de Marseille. Mettant les ambitions collectives et individuelles en dialogue, c’est aussi un état des lieux des enjeux notables qui pétrissent les artistes dans la cité phocéenne.

 

 

Intégrer est sans doute une des principales volontés d’Habitacles, exposition installée au cinquième étage de la Friche. Arts et designs s’y tissent diversement autour d’un thème astucieusement convoqué par la commissaire Jeanne Mercier, qui emprunte à l’écrivain toulonnais Jérôme Orsini son habitacle comme une « attitude », comme une « sensation », comme « une cause à approcher ».

Une fois filées ainsi au-delà de la simple enveloppe, du simple bâti, les œuvres et leurs multiplicités offrent un ensemble bigarré de techniques, de démarches et de sensations, pensées sous forme de chantier, de mobilier, de corps, de confort domestique ou de présence à l’extérieur — un ensemble où se mêlent spontané, prémédité, autorisé, libérateur ou encore aliénant. Bouclant la circularité du parcours, nous sommes accueilli·es à l’entrée et à la sortie par des œuvres qui, ensemble, s’enquièrent de nos habitacles — au sens large, donc — futurs.

Cartes postales du périurbain de Chiara De Bernardi

Comment habiter ? Exempts de tout cartel (un fait d’ailleurs pour le moins discuté par les artistes), les travaux esquissent pourtant des mouvements qui s’engagent, politiquement, socialement. L’exposition invite à déplacer voire à inverser nos points de vues, comme le propose, par exemple, Livia Vesperini-Roure avec sa série Testa, faite d’amphores en céramique, ovoïdes aux visages humains, sommet du crâne sens dessus dessous, posés contre un sol sableux, cous creux ouverts aux coups d’œil curieux. C’est en fait de plus en plus fréquent de voir les arts contemporains frayer avec l’artisanat, jusqu’à s’en revendiquer, comme des Potiches de Renouée Stolon. Elle qui emprunte ses techniques à la vannerie et à la poterie laisse ses œuvres dans une indécision assez abstraite, oscillant entre travail en cours, ouvrage abandonné et objet fini mais trop usé, tombant les traditionnelles hiérarchies de statut et de classe, mais aussi des représentations consacrées du progrès. Mais sculptures, peintures, dessins, œuvres performatives, installations, vidéo, 3D, publications ou vêtements font la multiplicité de l’exposition, conversant pour certaines avec des considérations féministes, avec des consciences écologiques, avec la prégnance capitaliste, contre l’uniformisation, ou pour d’autres, ironisant sur des réalités au long cours. Par exemple, avec son idée d’un monde calqué sur celui du jeu-vidéo, le triptyque motorisé de Philippe Chea Oum narre en peinture une existence dans laquelle nous serions cantonnés à l’un ou l’autre de trois rôles, représentés ici par l’évêque, le CRS ou le ninja. Côté design, Lucie Constantin propose des guides pour excursions dans l’envers du décor idéalisé de Marseille, faisant des zones laissées-pour-compte des lieux idéaux de soin pour nos petits maux ; un travail faisant écho un peu plus loin aux Cartes postales du périurbain de Chiara De Bernardi, qui préfère y montrer les meilleures prises de vues des « Menhirs des Pennes-Mirabeau » ou de l’« A7, Autoroute du Soleil » que du Vieux-Port ou de la Bonne Mère.

Les contextes sont travaillés, pétris des spécificités micro et macro des actualités et des différents environnements, perçus à leurs différentes échelles, rendus à différents niveaux de compréhensions, et de sensations. Pour la plupart de ces artistes nouvellement breveté·es, la suite se verrait bien locale, à Marseille. Après la fermeture de Buropolis et à l’heure presque arrivée de sonner le glas des 8 Pillards, la question des espaces d’atelier se fait encore une fois tremblante.

En un très bon écho à cette question concernant la distribution territoriale des économies de l’art à Marseille, le deuxième volet de l’exposition Murmurations, organisé par Fraeme, se tient au troisième étage. Le premier volet avait accueilli cet été quatorze lieux indépendants où se tiennent beaucoup des expositions qui animent Marseille. Ce second volet, plutôt consacré aux ateliers partagés et aux collectifs d’artistes, permet une efficace et assez globale (mais pas exhaustive) vision d’ensemble des organisations d’espaces artistiques — 16b éditions, Atelier Vé, la Fam, Fuite, Panthera… —, autonomes par choix ou par nécessité, ainsi qu’une critique assez sarcastique de l’économie et de l’institutionnalisation des arts. L’atelier À Plomb’ y a par exemple récupéré des matériaux après le démontage d’Art-O-Rama pour construire un arrêt de bus, espace d’attente dont l’affichage publicitaire et la piste audio à écouter promeuvent en fait une autre exposition, aux 8 Pillards, où ils résident. Les espaces leur ayant été confiés en carte blanche, la scénographie pensée par chaque atelier propose un parcours très fluide, où les œuvres communiquent et se répondent, saisissant parfois, on l’aura compris, avec une ironie toute naturelle, leur séjour sur ces cimaises comme une oblitération bien paradoxale.

 

Margot Dewavrin

 

Habitacles, exposition des diplômé·es 2022 art & design / Murmurations, volet 2 : jusqu’au 16/10 à la Friche Belle de Mai (41 rue Jobin, 3e).

Rens. : www.lafriche.org