Vincent Bourjaillat, directeur de la Spem, le 10 avril 2024 © Emilio Guzman

Plan écoles : “Quand on annonce un chantier, on doit pouvoir le livrer en quatre ans”

Avec 83 projets lancés sur les 188 prévus, le carnet de commandes de la société publique des écoles marseillaises commence à se remplir. Dans un premier entretien accordé à la presse locale depuis son arrivée en 2022, son directeur général Vincent Bourjaillat dresse les enjeux à venir du plan qui enjambera le mandat municipal en cours.

 

 

Elle a la lourde charge de mettre en œuvre un plan de rénovation des écoles à 1,6 milliard d’euros. De donner corps à cette grande cause municipale, dotée d’un soutien inédit de l’État, après l’émergence d’un consensus ces dernières années : les établissements marseillais ne faisaient pas seulement honte à la ville mais à la République elle-même. Restée discrète depuis sa création en février 2022, la société publique des écoles marseillaises (SPEM) commence à s’installer dans le paysage.

Dans ses bureaux situés au-dessus de l’office de tourisme, sur la Canebière, la petite équipe de départ a grossi et frôle désormais la trentaine de salariés. En novembre dernier, pour la première fois, une cheffe de projet SPEM flanquait l’adjoint Pierre-Marie Ganozzi, pour suivre la visite de l’école Marceau, prise en main par la société en cours de route. Alors qu’une nouvelle liste de 39 écoles promises à rénovation a été dévoilée (retrouvez notre carte au bas de l’article), le directeur général Vincent Bourjaillat a accepté de présenter à Marsactu sa feuille de route, sa méthode et de commenter les enjeux du moment.

 

La Ville et l’État ont annoncé récemment le lancement d’une troisième vague de projets. Pouvez-vous revenir sur ce découpage en “vagues” ? Et où en est-on de l’objectif initial de livrer 80 écoles avant la fin du mandat et 188 dans les 10 ans ?

Nous en sommes encore au démarrage du plan et nous restons dans l’organisation générale qui a été pensée, à savoir de faire 188 écoles sur 10 ans – plus ou moins 188 écoles parce que le chiffre final sera peut-être différent – par des vagues d’opérations lancées une année après l’autre. Une programmation globale a été faite, qui donne un volume prévisionnel de chacune des vagues, mais ensuite, à chaque exercice, la Ville de Marseille ajuste la liste des opérations.

 

Sur quelle base ?

Le critère de départ reste celui des difficultés techniques et fonctionnelles [manque de locaux par exemple, ndlr]. Il y a aussi la répartition géographique, qui s’analyse à l’échelle de la Ville et de chaque secteur. Par exemple il y a certains secteurs où on sait qu’on va devoir refaire quasiment toutes les écoles, donc on ne va pas toutes les mettre en chantier en même temps. Et le dernier critère qui joue c’est le financement ANRU [agence nationale pour la rénovation urbaine], qui doivent avoir un début d’engagement avant 2026.

 

Ce qui explique le démarrage très “ANRU”…

Oui on a un démarrage très ANRU, quartiers centre et Nord… La troisième vague a commencé à se répartir plus également. Je pense que la Ville de Marseille a eu le souci de montrer que le plan écoles concernait tout le monde.

 

Donc la programmation du contrat est souple et à un moment vous recevez une commande d’une nouvelle liste…

Oui et notre travail consiste à la rendre opérationnelle. On n’a pas vraiment à se positionner sur la liste, mais on a bien analysé chacun des sites pour voir comment on fait avancer le projet. Par exemple sur la vague 2, qui comprend 16 sites, on a validé lors du conseil d’administration [en février] d’en passer 13 en phase opérationnelle parce qu’on considère qu’ils sont mûrs. Et puis il y en a trois sur lesquels il reste un travail complémentaire à faire avant de lancer un appel à candidature.

Nous savons qu’il y a un enjeu important d’amplifier, parce qu’il y a un retard à rattraper, une attente forte, beaucoup de situations qui ne sont pas normales. Et en même temps chaque école est un cas particulier, une communauté éducative particulière, une relation à son quartier, parfois une histoire. Ça ne sert à rien d’arriver en force en disant : “maintenant on a décidé”.

 

Justement sur la méthode, vous avez récupéré des chantiers lancés par la Ville, c’était la vague 1. Sur la vague 2 et encore plus la 3, on va être plus sur la “patte SPEM”…

On a pris le parti de prendre la vague 1 telle quelle. La vague 2, c’est la première que nous faisons, mais certains projets avaient déjà été travaillés par la Ville et nous n’étions pas encore très bien installés. On a commencé à mettre notre patte, notre méthode. À partir de la 3, on a davantage façonné cette méthode et elle a vocation à se développer sur les vagues suivantes.

 

Si on suit la programmation, la vague 4 sera la plus importante, avec 64 écoles. Est-ce que vous serez prêts à encaisser cette montée en charge ?

Cette vague va se lisser, en fait. L’idéal pour nous serait d’avoir une vague par an avec une quinzaine de sites, pour éviter d’avoir à gérer des pics d’activité. Pour construire des écoles, on a besoin d’architectes et d’entreprises. Pour les architectes, on n’a pas trop de soucis, mais nous avons certains marchés de travaux sur lesquels nous savons qu’il n’y a que 10 à 15 entreprises à pouvoir répondre. Si on en met trop en même temps sur le marché, on a un risque de ne pas avoir de candidats ou suffisamment de concurrence.

 

On imagine qu’il y aura quand même à un moment une pression, je reviens à cet objectif initial des 80 écoles livrées avant la fin du mandat, pour en lancer le maximum… Après le conseil d’administration de la SPEM, la ministre Sabrina Agresti-Roubache a avancé le chiffre de 45 écoles en 2028.

Pour l’instant sur les trois vagues lancées, ça fait déjà 14 + 31 + 38, soit 83 écoles engagées. Pas livrées, mais engagées. Le chiffre de 45, ce sont les écoles des vagues 1 et 2. Pour la vague 4, qui serait annoncée début 2025, c’est effectivement un sujet mais c’est un peu trop tôt. On aura la méthode pour la prendre en charge. Si on nous dit c’est 45 sites en même temps, on va sous-découper. Il y a ce jeu d’équilibre à trouver entre l’objectif politique, qui fait consensus et correspond à une vraie demande, et d’avoir une maîtrise technique de sa mise en œuvre.

 

D’autant plus, pour aller davantage dans le concret, qu’il y a des premières difficultés sur des chantiers, aux Abeilles (1er) et à Saint-André-La Castellane (15e), où Emmanuel Macron et Benoît Payan ont été interpellés. Ça vous inquiète ?

Dans nos métiers, ça fait partie des règles : sur une série d’opérations, il en y a toujours une ou deux sur lesquelles c’est compliqué. Qui plus est quand on demande d’aller vite. Pour les Abeilles et Saint-André La Castellane, le sujet est le même, c’est la défaillance d’un sous-traitant important, puisque chargé du gros œuvre, celui qui coule du béton. Sachant qu’une liquidation, c’est tout un process juridique, avant d’avoir l’autorisation du tribunal de commerce d’aller chercher une autre entreprise. Aux Abeilles, le gros œuvre était presque fini mais a été mal fini. L’entreprise qui arrive doit donc corriger les choses… À Saint-André-La Castellane, l’entreprise n’avait pas démarré donc la mécanique va se relancer, avec du retard à l’allumage.

 

On parlait de la “patte SPEM”. Pour l’instant dans le débat public on parle surtout des marchés globaux de performances. La Ville a lancé cinq de ces MGP [marchés globaux de performance] en 2022, que vous avez repris et la SPEM vient d’en lancer cinq autres. Des architectes et collectifs disent qu’on nous ressert le PPP, qu’on confie les chantiers à des grands groupes et qu’on fait gérer les écoles par le privé. Qu’est-ce que vous leur répondez ?

Le premier point c’est le cadre contractuel dans lequel on travaille avec la Ville de Marseille. C’est un accord-cadre qui est conçu dans une approche en coût global des opérations. C’est-à-dire qu’on nous demande de concevoir des projets y compris dans leur phase d’exploitation. Cela conduit notamment à aller vers des marchés globaux de performance, où on a travaillé dès le départ avec les entreprises cette question de l’entretien.

La deuxième entrée, c’est que le plan écoles est un projet de très grande ampleur. On ne peut pas le construire sans embarquer tout le monde. Si on ne compte que sur les entreprise de BTP qui font des MGP, on risque de ne pas y arriver aussi facilement que prévu. On a donc proposé dans la vague 2 de panacher, avec un certain nombre de projets sur lesquels on sollicite les architectes.

 

Mais la Ville ne refuse pas forcément de reprendre tout de suite la maintenance ?

Il faut se souvenir que le plan existe aussi du fait d’un déficit d’entretien de la Ville. Elle fait de gros efforts pour reconstituer un service de qualité mais tout cela ne se fait pas en un jour. Je crois que ce ne serait pas faire un cadeau à la Ville qu’on fasse tant de projets et qu’on lui rende en disant : “maintenant c’est à vous”. On rénove, on garantit que les entreprises assurent l’entretien pendant plusieurs années et elle prendra le relais quand elle sera structurée.

 

Je parlais tout à l’heure de débat public mais on est désormais sur le plan juridique, avec un recours déposé contre cet accord-cadre. C’est une fragilité pour la SPEM ? Vous allez participer à la procédure ?

Nous avons préparé un mémoire, qu’on n’a pas encore envoyé, au cas où, pour donner notre point de vue de société. Mais on ne conduit par notre stratégie en fonction du résultat de cette procédure. On reste un outil, une organisation qui doit être capable de proposer des solutions à une commande politique. Si demain il faut ajuster on n’aura pas de difficulté à le faire. Ça ne changera pas le besoin de faire le projet.

L’audit réalisé en 2019/2020 relève notamment des enjeux forts dans le centre-ville, avec une démographie importante et des manques de locaux, souvent pas adaptés. On les retrouve finalement peu dans les premières vagues…

C’est vrai qu’il y a beaucoup de défis à relever dans le centre et on a déjà quelques écoles avec les Abeilles, National… Souvent ce sont des écoles “maison de ville”, c’est-à-dire des bâtiments qui ne sont pas conçus pour être des écoles. La deuxième difficulté c’est que toutes les écoles sont pleines, la troisième qu’il n’y a pas de foncier…

Sur National (3e), école emblématique, la commande initiale était de maintenir les effectifs, de garder un des bâtiments et d’en démolir deux. Mais on a conduit des études complémentaires et on va se retrouver à faire des bouts de construction neuve qu’on va devoir articuler avec une rénovation d’un bâtiment pas conçu pour être une école. Donc on a proposé de tout démolir et de repartir sur un bâtiment neuf complet, cohérent.

 

Avec une opération tiroir, donc ?

Oui, les élèves de National vont aller sur Busserade, dont les élèves vont aller sur Marceau. À partir du moment où vous partez d’un manque et où les écoles sont remplies, vous devez trouver des solutions provisoires. Cela n’avait pas été pensé comme tel, mais, avec l’expérience des vagues 1 et 2, nous considérons désormais que l’organisation des écoles provisoires doit être traitée comme sous-projet à l’intérieur du projet.

 

Pour cette école National, cela a pris beaucoup de temps pour acheter le garage voisin… Est-ce que vous n’allez pas rentrer dans le dur quand vous allez vouloir intervenir plus fortement dans le centre-ville, en devant dire à la Ville “attendez là, il nous faut déjà quatre ou cinq ans pour trouver un terrain”…

C’est surtout vrai dans les 1/7 et 4/5, je mettrais moins les 2/3 dedans, mais vous avez bien identifié le sujet. Il y a de la maîtrise foncière, mais il reste aussi un choix politique : à qui on l’affecte ? Parce qu’il y a aussi d’autres enjeux dans le centre : logement, végétalisation… Ce n’est pas à nous d’arbitrer ces débats, même si on participe à les alimenter.

 

Et le programme partenarial d’aménagement (PPA) n’a pas du tout pavé la voie là-dessus…

Si on compare avec les projets de rénovation urbaine, c’est vrai que le fait de dire de façon systématique il y a des rénovations d’équipements publics dont les écoles, c’est quasi gravé dans le marbre. Dans le PPA, c’est un peu plus flou, je pense, parce que le PPA lui-même n’est pas encore abouti.

 

Je reviens à la liste, à ces 174 écoles qui sont devenues 188… Pourquoi ?

La programmation initiale des 174 écoles n’intégrait pas certaines financées ANRU et il y a eu une demande de l’État pour que toute opération financée par l’ANRU soit dans le plan.

 

Mais il vient d’où ce chiffre, elle existe cette liste ou c’est un volume prévisionnel de commande ?

Il y a une liste, oui, oui. Le point de départ c’est qu’après l’échec du PPP en 2019, la Ville a relancé un diagnostic technique de l’ensemble des écoles et c’est à partir de là qu’elle a hiérarchisé, par criticité de dysfonctionnement. Ça a abouti à dire qu’entre 35 % et 40 % du parc nécessitaient des travaux lourds. Après, pourquoi 174 et pas 150 ou 200, je pense que cela a été une forme de dimensionnement par le montant, sur lequel il pouvait y avoir un accord des partenaires financiers.

 

Donc la liste existe. Pourquoi est-ce qu’elle n’est pas rendue publique ?

Elle n’est pas diffusée à la demande de la Ville, et je pense aussi de l’État. Premièrement : évitons d’être dans le dialogue “pourquoi pas moi”, c’est un débat qui peut être infini. Le deuxième argument c’est que cette liste n’est pas complètement figée.

Dire aujourd’hui à un parent d’élève, “ne vous inquiétez pas votre école est dans la vague 6, elle sera rénovée en 2030”, on est en 2024, ses gamins n’y seront plus ils seront au collège ou au lycée, bon… Quelle est la valeur d’une annonce pour dire “dans 6 ans on fera les travaux” ? Il faut qu’on annonce des choses qui ont une visibilité opérationnelle dans la durée du cycle de vie des parents. Mon souci quand la Ville me propose une liste [pour une vague] c’est : quand on nous confie un chantier, qu’on l’annonce, on doit pouvoir le livrer en quatre ans. Parce que déjà quatre ans c’est long, il ne faut pas qu’on aie d’ambiguïté sur ce délai.

 

Vous nous dites que la liste peut bouger, selon des considérations techniques, démographiques, mais aussi politiques, y compris en cas d’alternance… On voit des communications séparées des actionnaires, et ça ne va pas s’arranger avec une ministre députée de Marseille. Vous ne craignez pas d’être pris entre deux feux ?

C’est là où, on se positionne comme un outil. Dans nos statuts, c’est au maire et au préfet de région de construire le compromis, les arbitrages. Mais je ne trouverais pas inutile, je l’ai déjà dit au préfet et au maire, qu’il y ait, une fois par an, un comité de pilotage où on partage l’avancement de la mise en œuvre du projet et on répond aux questions sur les vagues d’après. C’est vrai que la situation actuelle crée les conditions d’une polémique, ou en tout cas d’un débat peu maîtrisé, alors que globalement tout le monde est gagnant dans ce plan. Je crois qu’on va aller par là, cela se structure…

 

Quel rôle jouent les maires de secteur pour vous ? On a déjà entendu des interrogations lors des deux premières vagues, dans les 11/12 par exemple, sur le fait de ne pas être dans le plan.

Notre actionnaire, c’est la Ville, la mairie centrale. Ce n’est pas notre job d’aller interférer dans ces relations. Et même si on voulait y aller, on n’aurait pas tous les tenants et aboutissants et on risquerait de complexifier encore le jeu. C’est à la mairie centrale de gérer ces relations avec les mairies de secteur.

 

Y compris dans les concertations, quand le projet descend dans la rue…

Oui il faut qu’il atterrisse effectivement. On travaille avec le cabinet de concertation Res Publica, et on a appliqué le même principe : nous on fait de la communication pour réussir les projets, notre objectif est de toucher les usagers – les enseignants, les personnels de la Ville, les parents d’élèves et ponctuellement les associations qui utilisent les locaux scolaires. On ne sort pas de cela car si on élargit trop, on risque de récupérer des sujets qui n’ont plus grand chose à voir avec les écoles. Mais pour les 12 concertations qu’on a menées, ça s’est très bien passé. On en tire un enseignement, on va être prudents, provisoire : les écoles restent d’abord un sujet de consensus politique et personne n’a intérêt à retarder la mise en œuvre d’une rénovation.

 

La liste actuelle des écoles comprises dans le plan :

Julien Vinzent