Marseille Jazz des Cinq Continents 

Jazz-de-marée

 

Si la saison Marseille Jazz des Cinq Continents dure trois mois, le festival éponyme, lui, dure du 7 au 23 juillet. Cette année marque le retour à son rythme de croisière de l’évènement, dont la programmation conjugue l’excellence avec le populaire. Déjà, les propositions en amont se sont déployées dans la grande périphérie métropolitaine (1). Cependant, le cœur de l’événement, ce sont les concerts organisés en centre-ville, entre Vieille Charité, Mucem et Palais Longchamp.

 

 

C’est d’ailleurs déjà complet pour des têtes d’affiches proposées au Panier : pour la star du piano Hiromi et pour le saxophoniste Pierrick Pédron (dont le répertoire fifty-fifty remet à l’heure les pendules du be-bop), il faudra repasser. N’empêche, on pourra toujours se délecter de la prestation de Sylvain Rifflet : le sax’ ténor continue à honorer Stan Getz avec un groupe d’excellence dans lequel figure cette année son confrère Julien Loureau, ce qui augure de méchantes joutes. La cour de la vénérable institution, qui abrite en son sein le trop ignoré Musée des Arts Océaniens Africains et Amérindiens, va résonner d’échos du Continent Noir avec rien de moins que le big-band de Christophe Dal Sasso, qui revisite l’album Africa/Brass de Coltrane (une assemblée de musicien.n.e.s tous plus excellent.e.s les un.e.s que les autres, dont Géraldine Laurent au sax alto…), le set du pianiste guérisseur sud-africain Nduduzo Makhathini — certainement l’une des pépites de la prog’— et la création inédite de Radio Babel pour un bal vocal et musical intitulé Afrorumbaclub qui devrait nous faire danser jusqu’au bout de la nuit. Sans oublier les matinales, qui font la part belle à la jeune garde locale : Élise et Moi, le projet impertinent porté par la fantasque et fantastique jeune chanteuse Élise Vassallucci avec ses compagnons de la classe de jazz du conservatoire, ou encore Jeed 4, emmené par le saxophoniste Julien Florens (le fils du pianiste légendaire Henri Florens, qui semble avoir hérité du sens poétique de son père), dans une esthétique croisant jazz et classique.

Direction la terrasse du Fort Saint-Jean ensuite : le jazz y est confirmé comme partie prenante des civilisations européennes et méditerranéennes le temps d’une soirée… mais quelle soirée ! Le public pourra notamment s’y régaler du nouveau répertoire de Tigran Hamasyan, StandArt : une relecture de classiques restitués avec l’émotion pour tout horizon. Avant, métissage tous azimuts avec l’un des meilleurs ensembles des musiques gnawa contemporaines, ainsi qu’avec Natalia M. King, la blueswoman américaine établie en Arles qui a composé un hymne LGBT. Respect. Comme pour se faire pardonner cette programmation sulfureuse, l’orga propose un concert du pianiste expérimentateur Édouard Ferlet en l’abbaye de Saint-Victor au préalable — pas sûr que les grenouilles de bénitier en croassent d’aise cependant.

La suite, loin de faire retomber la température, aura heureusement lieu en bord de mer. Dans l’amphithéâtre enchanteur du Théâtre Silvain, pas question d’ignorer la première partie de Magma : le quartet du batteur d’origine antillaise Arnaud Dolmen, dont les propositions oscillent entre be bop, musique impressionniste et gwo-ka, devrait laisser le public sur les rotules. Idem pour le lendemain : on guettera encore une fois avec avidité la première partie, avec rien de moins que le jeune prodige du piano jazz Joey Alexander, désormais grand du swing parmi les grands. Après lui, Stacey Kent devrait ramasser la mise. Le malicieux Hugues Kieffer, responsable de la prog’, plus décidé que jamais à mélanger les publics, aligne le surlendemain dans ce lieu une bonne dose de testostérone blues avec Jean-Jacques Milteau et un ensemble féminin en passe de devenir légendaire, le Lady All Stars de l’organiste aux pieds nus Rhoda Scott (avec rien de moins que Géraldine Laurent, Airelle Besson…).

Enfin, Longchamp. Les essences arborées plantées il y a environ cent cinquante ans devraient frétiller d’aise sous les ondes chamaniques de la batterie d’Anne Pacéo, et peut-être faudra-t-il appeler les pompiers pour éteindre l’incendie que ne manquera pas d’allumer Herbie Hancock, qui tourne depuis quelques temps déjà avec les immenses Lionel Louéké (guitare) et Terence Blanchard (trompette). Ne pas manquer l’heure de l’apéro : la fanfare foutraque du Pompier Poney Club devrait rapidement faire sortir le public de la torpeur estivale. Après une soirée soul et funk des plus appétissantes (avec The New Power Generation, les zicos qui ont accompagné Prince de 1990 à 2013), retour à un jazz d’exigence avec Charley Rose trio (le sax’ d’origine béarnaise qui, avec Enzo Carniel au piano et Ariel Tessier à la batterie, marche sur les traces d’un Lee Konnitz ou d’un Ornette Coleman : l’album est excellent) en première partie de la diva Diana Krall — dont on se doute qu’elle ne nage pas que la brasse. Bonne idée que d’aligner la même soirée l’extraordinaire Yessaï Karapetian, le pianiste qui voit au-delà du jazz, avec l’ensemble électro d’excellence General Elektriks : gageons que les publics se retrouveront pour ne former plus qu’un. Retour à l’Afrique pour terminer. Dans cet espace construit sous un Second Empire qui tirait une grande partie de sa fortune du pillage colonial, juste retour des choses qu’une soirée alignant le trio féminin Nout, qui tire son nom de la déesse de la voûte céleste dans la mythologie égyptienne (une instrumentation atypique — flûte, harpe, batterie — au service de la danse et de l’émotion, issue du réseau Jazz Migration, que d’aucun.e.s auront apprécié à Vitrolles), suivi de l’afrobeat d’Asa et du hip-hop à la kora de James BKS, fils naturel du regretté Manu Dibango. Comme une contre-colonisation culturelle donc.

Saluons la réitération du partenariat avec l’Alcazar. Le dispositif Alcajazz accueille dans le hall de la BMVR l’exposition 40 Bulles de Jazz, prêtée par le festival Jazz à Vienne : la bande dessinée est-elle soluble dans le jazz ou inversement ? Vous avez quatre heures. Des projections de films construits autour de la musique sont également au programme : ainsi du très rare Mickey One d’Arthur Penn, dans lequel les improvisations de Stan Getz sont plus qu’une simple B.O., et que le sax Sylvain Rifflet prendra plaisir à venir commenter. L’harmonica blues, quant à lui, est-il un instrument diabolique ? Jean-Jacques Milteau devrait faire vibrer d’aise l’immeuble du cours Belsunce lors d’une conférence avec le musicologue François Billard. Un concert d’exception ponctuera les festivités : le contrebassiste le plus en vue de la place marseillaise, Pierre Fénichel, proposera avec ses musiciens une recréation de l’album Time Out de Dave Brubeck. Claque m’en cinq, comme dirait l’autre.

Et si jamais on n’en a pas assez du festival, on pourra continuer à suivre la saison de Marseille Jazz jusqu’au début du mois d’août à Tarascon notamment, avec le concert de l’accordéoniste Christophe Lampediccia, accompagné pour l’occasion par le percussionniste argentin Minino Garay — son dernier album mixe bop et musette avec une remarquable intelligence collective. Vous en voulez encore ? Sait-on jamais, on pourra se retrouver le 14 juillet pour danser le lindy-hop avec les Shoeshiners d’Alice Martinez au Parc de Maison Blanche, à moins que l’on ne reste dans son lit douillet…

 

Laurent Dussutour

 

 

• Marseille Jazz des Cinq Continents : du 7 au 23/07 à Marseille.

Rens. : www.marseillejazz.com

La programmation complète du festival Marseille Jazz des Cinq Continents ici

 

• Jazz des Cinq Continents (saison de Marseille Jazz) : jusqu’au 5/08 à Marseille et en Provence.

La programmation complète de Jazz des Cinq Continents ici

 

 

 

 

 

 

 

 

Notes
  1. Romain Morello sextet faisait ainsi la première partie des anglais Portico Quartet à Jouques, deux concerts pour la Fête de la Musique dont le classieux So Miles de Nicolas Folmer à Marseille, une concentration de big bands à Salon-de-Provence…[]