L’Interview : Yves Degrise (collectif Berlin)

L’Interview : Yves Degrise (collectif Berlin)

Berlin filme des villes. Des portraits vivants que le collectif belge présente comme des images de notre planète : la ville est un monde et le monde, une scène. A l’occasion de la présentation en intégralité de leur cycle Holocène par le Merlan, rencontre avec Yves Degrise, l’une des trois têtes pensantes de la compagnie.

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Holocène, le dernier projet du collectif Berlin, consiste à filmer plusieurs villes du monde. Après Jérusalem en 2004, ce fut le tour d’Iqaluit, la capitale des Inuits, suivie par Bonanza, la plus petite ville du Colorado (et du monde), et enfin Moscou, capitale et plus grande ville de Russie.
Le recul sur la réalité annoncé par l’intitulé du projet (l’Holocène est la période géologique dans laquelle nous vivons) laisse prévoir une démarche documentaire. Pourtant, les spectacles de Berlin s’approchent de l’art de la performance : les films sont présentés sur plusieurs écrans, et la bande-son de Moscou est jouée en direct par un quatuor à cordes. Par ailleurs, comme au théâtre, des personnes filmées individuellement se répondent et forment ensemble de véritables intrigues — sans s’être jamais rencontrées. La différence entre les arts s’émousse, ce qui ne pose aucun problème aux créateurs flamands. Yves Degrise, Bart Baele et Caroline Rochlitz suivent simplement une voie qui leur est propre.

Comment choisissez-vous les villes sur lesquelles vous travaillez ?
Dans nos choix, il y a un équilibre entre méthode et intuition. L’idée de filmer Jérusalem nous est venus de manière intuitive. Ensuite, c’est un choix conscient qui a confirmé notre décision : la situation politique de cette ville en fait un lieu primordial, qui entretient d’importants rapports avec le reste du monde. Après le tournage, mouvementé, nous avons eu le désir d’un retour au calme, d’où le choix de travailler sur Iqaluit par la suite.

Pourquoi utiliser plusieurs écrans ?
Il est plus facile de faire des films pour plusieurs écrans que pour un seul. Avec plusieurs écrans, on peut contrôler le temps. Par exemple, à Jérusalem, lorsqu’on est arrêté à un checkpoint, on reste souvent quarante minutes dans sa voiture. Avec un seul écran, il est impossible de montrer cette réalité quotidienne — c’est beaucoup trop long ! Mais avec plusieurs, c’est possible : la vie continue sur les autres écrans. D’autre part, l’utilisation de plusieurs films nous permet d’organiser des dialogues entre personnages. Ce procédé est au centre de Tagfish : Horror Vacui, notre prochain cycle, où des personnes filmées discutent autour d’une table, alors qu’elles ne se sont jamais rencontrées.

Vous considérez-vous comme des artistes ou des documentaristes ?
Disons que nous partons d’une perspective théâtrale, parce que c’est de ce milieu que nous venons. J’ai fait une école de théâtre à Anvers et Bart a appris les lumières et le design sonore à Amsterdam.
C’est pour cela que nous recherchons la poésie, non seulement dans le texte mais aussi dans les images. Parfois, on reste une heure dans la rue à attendre : on attend l’invisible. Cela dit, nous ne parlons jamais de ce rapport, ce n’est pas une question que nous nous posons dans le travail.

Faites-vous intervenir votre subjectivité ?
Autant que possible, la ville doit être racontée uniquement par ses habitants. Mais notre opinion intervient forcément au montage : nous entretenons une certaine distance, mais il est impossible d’être entièrement objectifs, puisque nous ordonnons les séquences.

Allez-vous filmer Marseille ?
Il y a des projets ! Nous sommes en discussion avec le Merlan à ce propos. Il a aussi été question de Tchernobyl, Rio de Janeiro… Mais pour l’instant, nous nous concentrons sur Tagfish : Horror Vacui — ce projet est long à mettre en œuvre.

Propos recueillis par Samuel Padolus
Photo : Iqualuit par Berlin

Holocène
: du 18 au 23/10 dans divers lieux de Marseille. Rens. 04 91 11 19 30 (Théâtre du Merlan) / www.berlinberlin.be
Iqaluit (projet partagé avec Lieux Publics / Small is Beautiful) : du 18 au 23 au Palais de la Bourse (9, la Canebière, 1er)
Jérusalem + Bonanza : du 19 au 23 à la Friche la Belle de Mai (41 rue Jobin, 3e)
Moscow : du 20 au 23 sous chapiteau, place de la cathédrale de la Major (2e)