L’entretien | Clara Ysé

Autrice-compositrice et interprète à l’incroyable tessiture, Clara Ysé rencontre un grand succès depuis la sortie de son premier album, Oceano Nox. Entre plateaux télé et radio, elle enchaîne les Victoires de la Musique, un live Arte Concert au Palais de Tokyo et démarre prochainement une grande tournée dont une dizaine de dates affichent déjà complet. Rencontre à l’occasion de son concert à l’Espace Julien le 16 mars, dans le cadre du festival Avec Le Temps.

 

 

Comment ça va, Clara Ysé, dans toute cette effervescence ?

J’avoue que depuis la rentrée avec les Victoires, la tournée à préparer et beaucoup de promo, c’est plutôt un moment très intense de travail, mais c’est très chouette, j’adore !

 

Tu entames une énorme tournée (avec un Olympia complet en novembre prochain), comment l’envisages-tu ?

Je suis super heureuse dans le sens où je viens du live à la base, je joue depuis que je suis très jeune. Et même si en faisant cet album, j’ai découvert à quel point j’adorais le studio aussi, pour moi tout prend sens quand je suis sur scène. En tout cas, ce qui me bouleverse dans la musique, c’est le fait de réunir et de proposer un espace de trêve, d’hospitalité et d’accueil. Nous, spectateurs et musiciens, on fait bloc ensemble pendant l’heure, ou l’heure et demie, du concert, et c’est pour moi ce qu’il y a de plus bouleversant… Après, c’est la première fois que je vais autant tourner, c’est à la fois hyper excitant et un peu vertigineux, mais j’ai hâte ! Et puis j’ai vraiment de la chance d’être entourée par des gens géniaux sur scène… Les musiciens avec qui je joue sont merveilleux et l’équipe aussi, les ingé’ son, la régie, donc ça donne encore plus envie quand on a une belle équipe !

 

Tu viens jouer dans le cadre du festival Avec Le Temps, est-ce que tu connais Marseille ?

Oui j’ai trop hâte de jouer à Marseille ! On devait venir sur la tournée de mon premier EP, et à cause du covid, ça a été annulé. Donc c’est la première fois que je viens jouer à Marseille et je suis trop contente, j’adore cette ville et j’ai aussi pas mal d’ami·es qui habitent ici !

 

Depuis ton premier EP il y a presque cinq ans à ce premier album, que sest-il passé, beaucoup de travail en studio ?

Beaucoup de travail, beaucoup de recherches, à la fois des temps de composition et d’écriture, donc des temps seule. Et j’ai aussi passé beaucoup de temps à trouver l’équipe avec laquelle j’avais envie de travailler. J’avais envie de co-réaliser l’album avec quelqu’un, donc j’ai rencontré plusieurs personnes avant de faire la connaissance d’Ambroise, Sage (son nom d’artiste, ndlr). On s’est vraiment enfermé en studio pour travailler ensemble, puis on a fait venir beaucoup de musiciens, des gens que j’adore. Et voilà, cet album est particulier comme tous les premiers albums, mais c’est vrai que l’EP n’avait rien à voir, je l’ai fait très rapidement, complètement en auto-production… Alors que là, pour l’album, il y a eu un énorme travail de recherche en studio et une construction super progressive, et c’est un chemin que j’ai adoré faire !

 

Tu viens du lyrique, on dit que ta voix ressemble à celle de Barbara et il y a même quelque chose d’Anne Sylvestre dans la voix et les thèmes abordés…

Oh bah, j’adore Anne Sylvestre !

Mais on sent aussi dans tes prod’ des inspirations pop, voire hip-hop, avec le recours à des breaks, et même dans ta manière de chanter dans Pyromane, Souveraines et Dans le désert, il y a quelque chose qui semble se rapprocher du rap…

Ouais, complètement, je pense que c’est un album où j’avais envie de trouver « mon » son, mais c’est presque une quête un peu mystique, t’as l’impression que tu cherches un peu dans le noir… Et c’est un album aussi qui, en termes de prod, est habité par beaucoup des choses que j’écoute et qui me touchent. Par exemple, on peut entendre le son du doudouk (1), ou bien les polyphonies vocales qu’on a construites avec mes ami·es, en s’inspirant de la musique grecque trad’… Et en même temps, j’écoute énormément Rosalia par exemple, Nathy Peluso et Kendrick Lamar aussi… Ce qui m’intéresse, ce sont les projets qui essaient de faire des hybridations pour inventer une langue et c’est ce que j’ai essayé de faire dans Oceano Nox. C’est probablement pour ça qu’on entend des espèces de flash d’inspiration d’univers assez différents.

 

Douce, ta chanson la plus médiatisée, au texte poétique et féministe, a été choisi pour les Victoires de la Musique. Était-ce prévu ou une surprise ?

Pour moi, c’était pas tellement une surprise, dans le sens où j’avais l’impression d’avoir mis le plus de moi à l’intérieur de cette chanson, c’est une des chansons je préfère de cet album… Mais a priori pour le label etc., c’était pas forcément la chanson qui était censée être le single. Du coup, c’est drôle, notamment pour les Victoires, c’était une surprise pour tout le monde, et pour moi aussi, parce que c’est une chanson qui parle de sujets pas facilement audibles… Et c’était très joyeux pour moi puisque j’ai l’impression que ça me donne comme une espèce d’encouragement : quand on essaie d’aller dans une certaine forme de radicalité, c’est finalement toujours là où il y a quelque chose qui s’aligne avec les gens qui nous écoutent !

 

Pour les Victoires, tu as chanté avec un chœur, composé des personnes qui t’accompagnent depuis longtemps dans ta carrière musicale…

C’étaient mes meilleur·es ami·es qui m’accompagnaient. Ce qui est génial aux Victoires, c’est qu’on a cette possibilité de réarranger la chanson. Comme il y a un orchestre, j’ai demandé à Arthur Simonini, que j’adore, de faire un réarrangement de la chanson pour orchestre entier. Et j’ai demandé à mes meilleur·es ami·es de m’accompagner, qui sont donc Lou Du Pontavice, Daphné Kritharas, Paul Barreyre et Clélia Prot, des gens avec qui je chante depuis que j’ai dix-huit ans, qui font tous partie des voix qu’on entend dans l’album. C’était trop beau de pouvoir être ensemble parce que ça fait sens pour moi, c’est vraiment comme ça que je conçois la musique et j’ai l’impression que la musique a ce pouvoir assez magique de créer des alliances très belles et très émouvantes !

 

Tu as écrit un roman, Mise à feu (paru en 2021). On sent une musicalité dans ton écriture, as-tu toujours de la place pour la poésie ? Et as-tu pour projet de continuer à écrire de la fiction ?

Absolument, j’ai un recueil de poèmes qui va sortir en mai, c’est pas encore complètement annoncé mais ça va pas tarder, et donc ça fait toujours et tout le temps partie de moi, l’écriture, ça m’accompagne.

 

Auras-tu un livre de chevet pour t’accompagner pendant ta tournée ?

En littérature, j’ai un truc un peu boulimique avec les livres. Là, ça fait au moins un mois que j’ai très très peu le temps de lire, mais après quand je replonge dedans, j’ai tendance à bien digger… Le dernier auteur que j’ai découvert qui m’a complètement bouleversée, c’est Antoine Wauters, un auteur belge, hallucinant. Il avait gagné pas mal de prix avec Mahmoud ou la Montée des eaux, et un recueil de nouvelles sublime, Le Musée des contradictions, c’est la dernière grosse claque que j’ai prise en littérature contemporaine.

 

Est-ce que tu connais Océan mer d’Alessandro Baricco ? Un récit qui résonne avec ton album et la signification littérale dOceano Nox (dans L’Énéide de Virgile) « la nuit qui s’élance de locéan »…

Oui c’est un de mes livres préférés, j’adore ce roman ! (rires)

 

Dans ton album, tu évoques les nuits, la part sombre en soi… c’est une source de créativité pour toi ?

Ouais, complètement. Selon les personnes, on est plus ou moins en lien conscient avec cette part de nous, mais je crois qu’on en a tous des parts d’angoisse ou des parts plus sombres ou plus inaudibles à l’intérieur de nous, et j’ai l’impression que la musique a un pouvoir transformateur incroyable là-dessus. Je pense que c’est assez primordial qu’il puisse y avoir des langages dans lesquels ces émotions-là puissent être écoutées, entendues et transformées. Pour moi, la musique est un medium assez merveilleux pour ça ! Et c’est un peu ce dont parle Douce d’ailleurs ; c’est une chanson qui parle aussi de la colère qu’on peut avoir à l’intérieur de soi et de comment on donne une place à cette colère-là pour qu’elle ne se transforme pas en violence. Comment on la rend audible, comment on peut l’associer à la douceur, et comment la douceur peut être une grande alliée aussi… quand on accepte qu’elle puisse être habitée aussi par la colère, par l’indignation, par des émotions moins audibles. Et encore une fois, la musique est là pour plein de choses, mais notamment pour donner une voix et un espace à un cri, pour que ce cri-là ne nous dévore pas à l’intérieur, et qu’il puisse se transformer en quelque chose du côté de la création… et du côté de la vie !

 

Et ce pouvoir transformateur passe par la projection d’un avenir grisant ?

Complètement ! Je crois même qu’on a presque un devoir par rapport à ça ; l’album parle de l’océan-nuit qui nous habite à la fois intimement et collectivement, et je pense qu’on serait tous d’accord pour dire qu’on traverse un moment particulièrement angoissant socialement. Essayer d’imaginer un futur désirable, c’est presque un devoir, dans le sens où c’est en imaginant des solutions, ou en tout cas en réinvestissant un rapport au monde plus désirant, du côté de la vie plutôt que du côté de l’angoisse, qu’on a des chances de faire bouger un peu les lignes. Et je pense que la musique, ou l’écriture, peut avoir ce rôle-là !

 

Qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour ces mois à venir ?

Que tous les concerts soient complets ! (Rires) Et qu’on fasse une belle tournée ! Non, en vrai, je sais pas ce qu’on pourrait me souhaiter… Je suis trop heureuse de tout ce qui se passe, donc j’ai juste hâte de le vivre, je crois !

 

Propos recueillis par Lucie Drouot

 

 

Si les concerts à Hyères (Tandem) et Marseille sont déjà complets, il reste quelques places pour le concert du 17 mars à Nîmes (La Paloma).

Rens. : https://festival-avecletemps.com/

 

 

 

 

Notes
  1. Le doudouk, ou duduk, est un hautbois, instrument phare de la musique traditionnelle arménienne[]