Le jour où Nicolas Sarkozy est devenu Président de la France

Le jour où Nicolas Sarkozy est devenu Président de la France

Au « non » du référendum de mai 2005 a succédé le « oui » du plébiscite de mai 2007. Oui à la France qui se lève tôt contre celle qui passe son temps libre à frauder

Au « non » du référendum de mai 2005 a succédé le « oui » du plébiscite de mai 2007. Oui à la France qui se lève tôt contre celle qui passe son temps libre à frauder[1]. Oui à la France qui s’acquitte de l’Impôt de solidarité sur la fortune contre celle qui ne peut payer que la TVA et les taxes sur l’essence et les clopes. Oui à la France de souche contre celle issue de l’immigration. Oui à une justice dépendante du pouvoir politique, à la fermeté aveugle. Oui à une police qui réprime et nous regarde de près. Oui à une politique étrangère qui renie ses anciens principes et amis. Oui à un Etat Providence réduit à la maxime « Aide-toi et le ciel t’aidera ».
Oui, les Français se sont jetés dans la gueule du loup providentiel, cet homme qui, à l’appui d’une propagande efficace relayée et encadrée par des chiens de garde zélés, va relancer la machine à retourner le cerveau. Oui, la France est peuplée de racistes bêtes et méchants. Oui, la France renonce à la fraternité et régresse vers la politique usée du chacun contre tous pour le bonheur de personne.
Oui, le candidat de l’omnipotente UMP a remporté la bataille des idées face à une gauche incapable d’imposer des solutions à l’urgence sociale que le Front populaire de 36 et la mobilisation ouvrière et étudiante de 68 avaient su imaginer. Oui, le petit homme d’Etat va sournoisement mettre en coupe réglée le pays en fichant chaque individu suspect ou non. Le fichier national automatisé des empreintes génétiques répertorie déjà chaque délinquant soupçonné ou condamné (délinquants sexuels mais aussi fumeurs de cannabis, voleurs ou tagueurs). Les fournisseurs d’accès à Internet vont devoir conserver les données de connexion de leurs abonnés que la police pourra consulter sans l’autorisation d’un juge. Le ministère de l’immigration et de l’identité nationale va recenser les « pedigrees »[2] des étrangers présents sur le territoire et les répartir entre les places choisies par le patronat et les places disponibles dans les charters d’Air France.
Alors la déception passée, la colère reprendra le dessus. Certains se lèveront pour dire non. Non, lorsque le gouvernement rognera un peu plus l’Etat social pour le malheur des faibles et des exclus. Non, lorsque les libertés fondamentales vont s’effacer derrière les « nécessités de s’adapter à un monde en changement », c’est-à-dire ployer sous la concurrence des Etats au moins disant légal et fiscal. Non, lorsque la révolution conservatrice remplacera dans les faits notre devise universelle « Liberté, égalité, fraternité » par l’inquiétante doctrine « Travail, autorité, morale » de notre cher dirigeant[3]. Non, lorsque la nécessaire laïcité laissera le champ libre à la séparation des églises par l’Etat. Non, lorsque se multiplieront les arrestations violentes de la police de l’immigration devant les écoles, dans les gares et sur les chantiers. Non, lorsque la politique culturelle d’exception sera confiée à Gilbert Montagné, Jean-Marie Bigard et Enrico Macias.
Mais qui se lèvera, me direz-vous ? La France est-elle vidée de ses travailleurs, de ses intellectuels, de ses activistes et de ses bénévoles ? A-t-on déjà vu un Président élu contesté dans la rue le soir et la semaine suivant son élection ? La vérité est que Nicolas Sarkozy suscite toujours la méfiance et la peur. L’exercice et l’usure du pouvoir rendront inéluctable la contestation. La mainmise sur les médias traditionnels entraînera inévitablement un manque de confiance grandissant en eux, laissant la place à des voies indépendantes. L’ensemble du journalisme citoyen des professionnels et des amateurs de l’Internet[4] l’attendra au tournant et alertera les Français à la moindre bavure. La presse, pas toute entière soumise à la censure et à la pression ouverte des hommes du Président[5], portera plus encore la fondamentale liberté d’expression.
Alors oui, le résident du maltais Paloma enfile aujourd’hui le costume du Président. Oui Nicolas Sarkozy a entre ses mains la puissance de feu nucléaire et la force de l’ordre. Mais la politique du quotidien, la résistance pratique restent entre nos mains et nos pieds, à notre portée. Plus que jamais nécessaires.

Texte : Pascal Luongo (avec CC)
Illustration : Guillaume Seguin

Notes

[1] Cf. l’édifiant numéro de l’émission Droit de savoir intitulé — accrochez-vous — « Faux chômeurs, RMIstes fraudeurs et malades imaginaires : enquête sur la France qui triche » du 1er mai 2007 (sic). A ce sujet, lire l’indispensable note « Où TF1 enlève le bas » des deux responsables de la rubrique Télé de Libération, Isabelle Roberts et Raphaël Garrigos, sur leur blog : http://instantstele.blogs.liberation.fr/instantstele/

[2] Citons cette phrase, parmi la mémorable collection de mauvais mots, du désormais Président de la République qui avait proféré le 19 novembre dernier : « Si j’avais un reproche à me faire, c’est que compte tenu d’un certain nombre d’individus que nous avions face à nous et leur pedigree judiciaire, le mot racaille est sans doute un peu faible. » Pedigree : Origine et généalogie d’un animal de race.

[3] Ou en l’occurrence, quand il profère « Le travail, c’est la liberté », ce que l’on peut traduire en allemand par « Arbeit macht frei »…

[4] Qui, en attendant, préfèrent « en rire que s’en foutre ». On vous recommande vivement de taper « manif de droite » dans le moteur de recherche d’un site de partage de vidéos (http://www.dailymotion.com/relevance/search/manif%2Bde%2Bdroite/video/x1tl2l_manif-de-droite) et de jeter un œil à l’incroyable site http://www.delation-gouv.fr/

[5] En témoigne la récente révélation de la censure qui a frappé un article du Journal du Dimanche nous apprenant que la première dame de France n’aurait pas voté.