Festival de Marseille

Passeport d’attache

 

Pour sa dernière saison à la tête du Festival de Marseille, Jan Goossens a prévu un été grandiose, entre heureuses trouvailles et chaleureuses retrouvailles, avec un programme foisonnant et multisensoriel entre Europe et Afrique. Tour d’horizon.

 

 

« Paris est une attraction, Marseille est un passeport », affirmait Jean-Claude Izzo, dont l’un des textes, sublime, sert d’édito à cette nouvelle édition. Ce cru 2021 du Festival de Marseille en est la parfaite illustration : la cité phocéenne, dont la porte est toujours ouverte, comme l’exprimait si bien l’écrivain qui avait fait de la ville son personnage principal, donne rendez-vous au monde.

 

Du Caire à Maputo

 

À commencer par le Continent Noir, Saison Africa2020 oblige. Venu du Caire, le duo féminin Nasa4Nasa s’empare d’un terrain de squash pour une performance qui explose les cadres spatiaux, une ode flamboyante au mouvement. Leur compatriote Tamer El Said, qu’on a pu découvrir en 2017 avec le magnifique film Les Derniers Jours d’une ville (également présenté pendant le festival), dévoilera le fruit de sa résidence à Marseille avec l’artiste sonore Youssra el Hawary, un projet collectif audiovisuel autour de l’amour en temps de confinement. Le chorégraphe Olivier Dubois nous offrira également une escapade en Égypte avec Itmahrag, exploration artistique du courant musical Mahraganat, né après la chute de Moubarak, véritable porte-voix de la jeunesse des quartiers populaires.

Faustin Linyekula nous emmènera quant à lui sur les traces d’une statue de l’ethnie Iengola, dans le village de Banataba en République Démocratique du Congo, dont il est originaire. Son duo avec la danseuse Moya Michael sera l’occasion d’interroger la mémoire de toutes ces communautés africaines dont l’héritage culturel a été pillé, et par là même, l’histoire obscure de la RDC. Comme en écho à la pièce, l’artiste néerlandais Renzo Martens accompagnera son documentaire White Cube, qui explore les relations complexes entre les travailleurs des plantations congolaises et les musées occidentaux. À la Friche, la jeunesse kinoise se racontera pour sa part dans la pièce documentaire Sept mouvements Congo de Michael Disanka : un chant de rage, une danse pour survivre.

Méconnue dans nos contrées, la culture mozambicaine se frayera aussi un chemin jusqu’à Marseille avec le chorégraphe le plus éminent du pays, Panaibra Gabriel Canda, qui présentera deux pièces : Time and Space, une série de solos interrogeant l’histoire de son pays à travers des questionnements existentiels et l’énergie de la musique marrabenta ; et Borderlines, création pour cinq interprètes dont les corps font résonner les blessures et les déchirures d’un peuple qui a connu quatre guerres civiles successives.

 

De Bruxelles à Marseille

 

Plus près de nous, la création belge se taillera de nouveau une place de choix dans la programmation du festival. Pour la première fois à Marseille, Alain Platel présentera son emblématique Out of Context – For Pina, avec les danseurs originels du spectacle, créé voilà dix ans. Sous la houlette de Quan Bui Ngoc, et les baguettes de Bert et Stijn Cools, le collectif Granvat nous offrira la première française de Come On Feet, pièce hybride mêlant les saccades du footwork (une street danse née à Chicago) à la danse contemporaine. Mêlant lui aussi les disciplines et les genres, le compositeur et saxophoniste Fabrizio Cassol rend hommage autant à Monteverdi qu’à l’âme rom avec I Silenti, un spectacle conjuguant musique, danse (avec Shantala Shivalingappa), opéra (avec le chant tzigane de Tcha Limberger) et théâtre (mise en scène de Lisaboa Houbrechts). La metteuse en scène Adeline Rosenstein poursuivra quant à elle son exploration des mécanismes de l’Histoire avec le troisième volet de son cycle documentaire Laboratoire Poison, dans lequel elle questionne la « fabrication des traîtres » pendant les guerres d’indépendance des pays colonisés par la France, la Belgique et le Portugal. Où l’on regarde une fois de plus vers l’Afrique…

Résolument tourné vers l’ailleurs, le festival offrira également ses plateaux aux artistes d’ici.

En ouverture du festival, le chorégraphe et artiste visuel Éric Minh Cuong Castaing présentera ainsi sa nouvelle création, Forme(s) de vie, réunissant les danseurs professionnels de la compagnie Shonen et des adultes en perte de mobilité, tandis que le jeune collectif (La)Horde et les danseurs du Ballet National de Marseille livreront une vision performative de leur fulgurant Room With A View, créé avec le musicien Rone (ici sans sa présence). La jeune danseuse et chorégraphe Nach s’illustrera quant à elle avec deux solos et une conférence dansée sur l’histoire du krump, cette danse tout en contractions née dans les ghettos de Los Angeles pendant les années 90. Les sonorités chamarrées d’Ahamada Smis, la plongée au cœur des territoires et des architectures du Groupe Crisis et la Parade futuriste et « gender fluid » de la compagnie L’Autre Maison complètent cette mise à l’honneur de la création phocéenne.

Sans oublier la performance poétique Moun Fou de la compagnie Rara Woulib, qui viendra embellir la fin de l’Été marseillais. Car le festival joue les prolongations cette année, prenant ses quartiers fin août dans toute la ville, avec notamment un temps fort « Hip-hop non stop » au Théâtre Silvain.

Autant de rendez-vous qui annoncent des retrouvailles à la fois joyeuses et conscientes avec la culture. Toutes les cultures.

Cynthia Cucchi

 

 

Festival de Marseille : du 17/06 au 11/07 et du 24 au 29/08 à Marseille.

Rens. : https://www.festivaldemarseille.com

Le programme complet du Festival de Marseille ici