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L’Entretien | (LA)HORDE

Après une journée consacrée à leur travail et à leur œuvre le 17 octobre dernier à la Criée, clôturée en beauté par une performance inédite et en avant-première de la création Room with a View qu’ils viennent de réaliser avec le musicien Rone, nous sommes allés à la rencontre du triumvirat à la tête de notre Centre chorégraphique national, qui souffle un vent galvanisant dans l’institution qu’est le Ballet National de Marseille.

 

Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Il s’agit avant tout d’une rencontre d’amitié. Nous faisions des études d’art et nous fréquentions les milieux communautaires de type LGBT sur Paris, souvent proches des milieux artistiques dans lesquels nous étions aussi. Marine (Brutti) et Jonathan (Debrouwer) se connaissaient déjà des Arts Déco de Strasbourg où ils avaient étudié en section « Art hors format », axée performance et vidéo, alors qu’Arthur (Harel) venait plutôt du milieu chorégraphique, de chez Rick Odums en passant par le CND et le Conservatoire de Paris.

On peut dire qu’on fait ensemble quelque chose qui nous habite et qui nous abrite tous les trois.

 

Vous avez renouvelé presque intégralement l’équipe du Ballet National de Marseille. Comment cela s’est-il passé ?

Nous avons toujours travaillé avec des communautés de danseurs déjà existantes, pour lesquelles nous nous mettons en posture de metteurs en scène. Nous aimons les grands groupes. Forts de notre expérience, nous avons commencé par supprimer la différence des statuts qui coexistaient au sein du Ballet. Il y avait des CDI, des CDD et ceux qui étaient en apprentissage, ce qui plaçait les danseurs dans une forme de compétition. Nous avons donc choisi de supprimer les CDD, préférant le statut sécurisant du CDI, et le maintien des apprentis. Il y a donc aujourd’hui, sur vingt-deux danseurs, quinze permanents et sept apprentis. Ils viennent de tous les coins du monde.

 

Quelle qualité de danse leur demandez-vous ?

Nous leur demandons d’être techniquement solides bien sûr, mais que cela reste versatile. Nous voulons que nos danseurs aient de l’ouverture d’esprit et un état d’esprit collaboratif. Nous aimons les individualités fortes, qui ont cependant une capacité à faire groupe. La virtuosité doit avant tout être collective. Nous multiplions les approches et les écritures chorégraphiques, mais il nous paraît essentiel que la virtuosité ne soit pas l’apanage des ballets classiques. On ne va pas bouder le spectaculaire, et on pourrait même affirmer que c’est parfois dans l’unisson que les individualités se révèlent.

 

Quelle est votre méthode de travail ?

Dans nos premières créations, on s’est intéressés au jumpstyle, cette danse née sur Internet. On était alors très étonnés de découvrir tous ces jeunes qui, plutôt que de jouer au foot, dansaient dans leur chambre, en se créant des avatars et des pas sur de la techno hardcore. Au fur et à mesure, on s’est rendu compte de la puissance de leur corps politique : de l’espace intime de leur maison, ils passaient de plus en plus dans des espaces publics. Il se trouve qu’en 2016/2017, dans un contexte de tensions sociales, le Front National essaie de les attaquer… mais ces gens confondent causes et conséquences ! Le jumpstyle n’est pas vraiment une communauté comme on l’a stigmatisée, ce n’est pas une communauté hétéro, masculine et blanche. Cela nous a interpellés car nous saisissions le caractère excentré de leur pratique. Au final, ce sont souvent des jeunes gens qui n’ont pas accès à la culture, notamment parce qu’ils ne vivent pas à côté des structures qui en proposent, mais qui ont envie de rencontrer l’autre, et ce par le post de leurs vidéos. On a eu envie de mettre alors des cailloux dans les rouages. On les a réunis physiquement. (…)

Dans notre façon de faire, on commence par la mise en place de situations. Puis on crée un cercle vertueux mais critique de nos échanges de paroles, un espace de réflexion qui circule. De là se matérialise un « safe space » où les corps vont pouvoir librement dialoguer et trouver le pourquoi de leurs tabous. Nous ne sommes plus ensuite que dans l’orchestration de ce consentement qu’on a créé entre les danseurs et entre nous.

 

Quel projet avez-vous porté dans votre candidature à la direction du BNM ?

Nous en avons fait un manifeste de jeunes artistes. Pour nous, l’ambition était de faire œuvre à travers la structure, autrement dit nous n’avons pas annoncé ce que nous voulions faire, mais comment on voulait faire. Nous portons un projet global, inclusif, dans le respect des équipes. Notre projet est fondamentalement un projet de société car nous sommes conscients qu’il s’agit de la direction d’une institution. Nous voulons une activité très forte, avec une masse d’opportunités pour l’underground également. L’inclusivité, ce n’est pas prendre uniquement en considération des spécificités, mais ne pas les négliger non plus…

En termes d’action culturelle, nous avons rencontré différentes communautés, et notamment la communauté comorienne, très présente à Marseille, avec qui nous pourrons travailler sur le krump. On travaille sur les danses post-Internet avec le programme « Danse à l’école ». On travaille aussi avec des CFA, des formations qui vont avoir une entrée dans la danse par une approche spécifique, inhérente à leur pratique professionnalisante. Par exemple, on a demandé à des écoles de paysagistes de venir travailler la danse et leur corps dans le parc Henri Fabre. La danse est partout, et la jeunesse sait se mettre en scène. Nous devons partir de leurs outils pour en ramener la fiction. Nous sommes convaincus qu’il faut investir les gens de ce qu’ils savent. L’apprentissage est parfois conçu comme quelque chose de trop passif à nos yeux et on a invisibilisé le travail avec la seule perspective de le présenter. Nous voulons plutôt nous ancrer dans le réel. On ne dit pas qu’on va révolutionner l’action culturelle, mais à situation identique, on change la méthode : de simples façons d’appréhender les choses peuvent changer les choses.

Pour ce qui est de l’accueil studio, nous avons réduit les accompagnements pour ne pas saupoudrer ; nous voulons donner à la jeune création une aide vitale. Notre regard se tourne plutôt sur les nouvelles recherches chorégraphiques, sur les danses post-Internet, mais aussi sur les artistes de la région. On veut tout simplement donner aux artistes les moyens de ce qu’ils ont dans leur tête.

 

Comment voyez-vous votre avenir à l’issue de votre contrat, quoiqu’il soit renouvelable, comme dans tous les Centres Chorégraphiques Nationaux ?

Au bout d’un an, on voit que les choses sont possibles… mais quatre ans, ça passe très, très vite !

 

Propos recueillis par Joanna Selvidès

 

Rens. : www.ballet-de-marseille.com/fr / http://collectiflahorde.com/

Œuvres vidéo à voir ici : https://vimeo.com/lahorde

 

Room with a View, qui devait se jouer les 9 & 10 février au Grand Théâtre de Provence (Aix-en-Provence), est visible gratuitement jusqu’au 23 août sur le site de France TV