Edito 240

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Hadopi voleuse

Le PDG de la FNAC en rêvait, l’UMP l’a fait. La semaine passée, seize députés (sic) ont voté le projet de loi « favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet », tristement connu sous le nom de loi Hadopi. Visant à créer une Haute Autorité indépendante (de quoi ? De qui ?) pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet, elle prévoit la mise en œuvre par ladite autorité d’une « réponse graduée » au téléchargement de fichiers audio ou vidéo sur le Net (en trois étapes : courrier d’avertissement par e-mail, courrier d’avertissement par lettre recommandée et coupure de la ligne Interne).
Avant même son vote en toute hâte, le projet n’a pas manqué de lever une armée de boucliers contre lui. Et pour cause, sa mise en œuvre apparaît non seulement coûteuse (1), pour des gains non garantis (aucune étude ne prouve que les personnes s’arrêtant de pirater achèteraient pour autant les produits qu’ils auraient eu envie de télécharger (2)), mais aussi d’une rare complexité. Sachant que la riposte graduée vise le propriétaire de la ligne, comment s’assurer en effet que la sanction s’appliquera bien au « pirate » et non à quelqu’un dont on a usurpé l’adresse IP (3) ? Sans compter que certains internautes percevant la loi comme un défi, le Peer To Peer classique pourrait laisser place à de nouveaux réseaux entièrement cryptés, poussant l’Hadopi à ne sanctionner que des personnes dépourvues de la compétence technique nécessaire pour échapper aux contrôles.
Et surtout, au-delà de la complexité et du coût de sa mise en œuvre, le projet de loi, qui part d’un constat biaisé — selon les promoteurs de la loi, la crise que connaîtrait le secteur culturel (4) incomberait au téléchargement, ce qu’ils sont incapables de prouver — tend à protéger une industrie infichue de s’adapter à la nouvelle donne du Net au détriment du partage et des libertés individuelles. Les arguments ne manquent pas, mais la place dans nos colonnes, si, aussi rendez-vous au prochain numéro.

CC

Notes
  1. Le ministère de la culture a prévu un budget de 6,7 millions d’euros par an (encore une partie de son maigre budget qui n’ira pas dans la poche des artistes), auquel il faut ajouter l’investissement des FAI pour adapter leur infrastructure (entre 60 et 100 millions d’euros selon LeMonde.fr). Sans compter le coût de la mise en place de filtrages supplémentaires par les entreprises envers leurs employés ou encore celui de repérage et de signalement, à la charge des ayant-droit et répercutés sur les revenus des artistes.[]
  2. Une étude réalisée conjointement par l’UFC-Que choisir et un laboratoire de recherche de l’Université Paris XI sur les habitudes de copiage des Français présente des résultats évocateurs sur l’impact quasiment nul de la copie sur les comportements d’achat. Cf. http://www.quechoisir.org/pages/communiques/Une-etude-inedite-des-comportements-des-internautes/2BC68459FD363005C12570D900576C79.htm?f=_[]
  3. Une manœuvre très facile à effectuer, comme l’a démontré l’UFC-Que choisir devant huissier.[]
  4. L’emploi du conditionnel est de rigueur, dans la mesure où le chiffre d’affaire global du secteur musical (en incluant les concerts) est en augmentation, tandis que le cinéma a battu des records d’entrées en 2008 ou que les jeux vidéo ont augmenté leur chiffre d’affaire de 22 % en 2008 par rapport à 2007.[]