Voyage au bout de l’inconscient

Voyage au bout de l’inconscient

Entre poésie et provoc’, l’étrange bestiaire de Shellachrymellaecum a fait un tabac à l’Embobineuse. Succès oblige, The Buchinger’s Boot Marionnette rempile pour deux soirs : courez-y !

Entre poésie et provoc’, l’étrange bestiaire de Shellachrymellaecum a fait un tabac à l’Embobineuse. Succès oblige, The Buchinger’s Boot Marionnette rempile pour deux soirs : courez-y !

Shellachrymellaecum est un mot qui n’a pas de sens. Fruit de l’imagination de Patrick Sims, il traduit l’indicible, « ce que les hommes ne parviennent à exprimer ». A la manière d’un triptyque de Jérôme Bosch, The Buchinger’s Boot Marionnette met en scène un bestiaire répugnant qu’on croirait tout droit sorti de l’atelier d’un taxidermiste. Mi-hommes, mi-bêtes, les marionnettes sont ici les tristes jouets du Destin, incarné par le gant noir et implacable des manipulateurs. La poésie sonore et visuelle de Sims plonge le spectateur dans un monde angoissant, oscillant entre jeu macabre et provocation permanente. Enveloppé par la douce folie qui gagne la salle, on ose sourire, rire franchement même, puis c’est de nouveau le malaise. On frôle la schizophrénie. Le son strident d’un vinyle qui tourne en boucle sur le gramophone, les cris des enfants qu’on étouffe et celui de la bête qu’on torture sont autant de souffrances inintelligibles et insupportables qui peuplent notre inconscient. Serait-ce le paradoxe entre l’inavouable et notre actuelle obsession pour la communication qui fascine l’auteur ? Devant la question, Sims reste muet, comme s’il refusait d’en dire plus. Ses créatures à l’expression figée font voler en éclats tous les tabous — non sans un certain humour. Libre au spectateur d’y voir ses propres hontes et fantasmes inavoués. Plongé dans la pénombre de l’Embobineuse, mi-amusé, mi-choqué, le public est fasciné par le surréalisme de la pièce et par les transgressions morales qu’elle impose à la vue. Il se surprend à éprouver de la compassion pour les tristes créatures qui s’agitent vainement sur scène. Pitoyables et pourtant touchantes, comme ces sinistres « bébés-monstres » que l’on clone, reproduit, puis supprime dans leur sommeil. Comme dans nos pires cauchemars, des blouses blanches sans visages viennent pratiquer sur ces âmes damnées de sanglantes opérations chirurgicales. Quel sens donner à tout ça ? Volontairement énigmatique, Shellachrymellaecum est tel un merveilleux fourre-tout, où l’on viendrait avec délice se perdre un moment. Pour faire face à ses propres angoisses, disent les uns. Pour canaliser nos pulsions bestiales, répondent les autres. Quelle que soit son impression finale, le public est ravi. Parions que Freud le serait aussi.

Jennifer Luby

En raison de son succès, Shellachrymellaecum est repris mercredi 4 et jeudi 5 à l’Embobineuse (11 Bd Bouès, 3e) à 21h. Rens. 04 91 50 66 09