Terrain glissant

Terrain glissant

Reprenant le célèbre Journal d’un fou, Hervé Novazio met en scène et campe la lente désillusion du fou de Gogol avec intimité… (lire la suite)

Reprenant le célèbre Journal d’un fou, Hervé Novazio met en scène et campe la lente désillusion du fou de Gogol avec intimité

Contrairement au titre et au nom de l’auteur, le quotidien de cet homme semble normal. Employé d’un ministère, il accomplit consciencieusement sa tâche en espérant qu’un jour, il sera enfin considéré par ses supérieurs. Lorgnant les puissants qu’il côtoie, il s’imagine très bien à leur côté, échangeant bons mots et séduisant leur fille. Rien n’est plus banal. On s’y croiserait presque, dans ces couloirs qui préfigurent le Kafka administratif des vieux garçons montés à la ville. Depuis sa chambre, ses efforts d’imagination n’y changeront rien : il ne sera jamais du monde. Alors notre « conseiller titulaire » commente ce qu’il voit à la première personne du singulier, persuadé que tout n’est qu’une histoire de budget, de temps et que bientôt… Au contraire, le costume s’use et, sans âge, sa pensée se trouble au point de confondre sa non-existence avec la vie de ceux qu’il sert chaque jour. Ça devient une question de salut à laquelle on s’accroche au point de voir des signes partout. Le chien de cette dame n’a-t-il point regardé dans sa direction ? Le public veut y croire et feint la crédulité jusqu’au bout, sur l’air des : « C’est ça, c’est ça, bien sûr… ». Dans une sobre et habile mise en scène, Hervé Novazio nous guide dans le circuit fermé qu’est la solitude de son personnage. Il y souligne les détails invisibles qui séparent la bonne humeur de l’auto-persuasion et, loin de la psychiatrie lourde du titre, on capte l’évolution qui transforme lentement la naïveté rigolote dans un absurde drôle à pleurer. Le regard dans le vide — d’un Becket pensant à voix haute que « tôt ou tard, quelqu’un va venir » —, son « conseiller titulaire » retrace, dans toute sa longueur, la limite qu’il ne faudrait pas franchir.

Emmanuel Germond

Les 10 et 11/03 à la Ferronnerie. Rens. 04 91 08 16