Tapage Nocturne : Anja Schneider vs Troy Pierce

Tapage Nocturne : Anja Schneider vs Troy Pierce

Si la musique électronique s’est largement démocratisée ces dernières années, la dance music, elle, a plutôt suivi un vent contraire : elle s’est anoblie, intellectualisée. Jamais, en effet, hédonisme n’a autant rimé en club avec élitisme, décadence avec excellence. Preuve en est le succès… (lire la suite)

Si la musique électronique s’est largement démocratisée ces dernières années, la dance music, elle, a plutôt suivi un vent contraire : elle s’est anoblie, intellectualisée. Jamais, en effet, hédonisme n’a autant rimé en club avec élitisme, décadence avec excellence. Preuve en est le succès planétaire d’une certaine caste d’artistes, aux prétentions dépassant de loin le seul cadre du très éphémère « tube dancefloor » : Richie Hawtin ou Ricardo Villalobos, pour citer les plus connus, ont fait de l’expérimentation une constante, ouvrant ainsi la voie à d’autres tronches en la matière… telles Troy Pierce et Anja Schneider. Le parallèle entre ces deux-là, programmés cette semaine le même soir à quelques encablures l’un de l’autre, semblait évident tant leur conception de la musique est singulière. Et volontiers barrée… Photographe à ses heures, Troy Pierce, à l’instar d’un réalisateur de films noirs, parvient à créer dans la majorité de ses oeuvres un climat bien souvent à la limite du glauque (son excellent album sous pseudo Louderbach) avec un minimum d’éléments et une réelle maestria. Délicate à décrire, tant elle est minimaliste et radicale, sa musique s’éprouve plus qu’elle ne s’écoute à volume élevé, au risque de passer totalement à côté. Faites le test : inécoutable sur un baladeur, son hit 25 bitches peut transcender une foule assoupie en trois mesures lorsque joué sur le sound-system d’un club… Tout ici repose sur ces ambiances, suggérées par d’énormes infra-basses et les murmures de la voix de Pierce, maltraitée au point d’acquérir des accents psyché (le lunaire Grace/Anxiety). On retrouve ce paradoxe chez Anja Schneider. Mais si l’Américain basé à Berlin vient défendre son esthétique en électron libre (ce protégé de Hawtin n’a signé que peu de productions sur son label M_nus), la belle Allemande, elle, se déplace avec sa casquette de patronne de Mobilee. Difficile de passer à côté de ce petit label berlinois, tant chacune de ses vingt et quelques sorties affole les amateurs (et pointures) du genre : ces maxis possèdent un charme indéniable et chaque artiste sa touche, bien que l’ensemble du catalogue reste archi cohérent. D’Anja Schneider (le classique Rancho Relaxo : deep et décharné) à Magda (issue du même collectif que Troy Pierce) en passant par la révélation Sebo K ou la sophistication de Pan/Pot, tous ont en effet un point commun : rendre l’expérimentation ludique. Chaque micro-élément sonore, si étrange soit-il, est une pièce d’un puzzle rythmique s’emboîtant méthodiquement aux autres, comme autant de rouages d’une mécanique invitant à la transe, chaloupée, percussive, irrésistible. Bref : Mobilee est sans doute l’un des seuls labels à pouvoir se targuer d’exploiter au mieux le talent de ses artistes, pour mieux les faire converger vers la même direction… un peu comme Warp à son époque. Toutes proportions gardées, cette analogie pose dès lors la question : et si l’intelligent dance music, en 2007, c’était ça ?

JPLX

Anja Schneider (dj-set), le 2 au Spartacus (Aix-en-Pce)
Troy Pierce (dj-set), le 2 au Studio 88 (Aix-en-Pce)
www.mobilee-records.com et www.klonk.com