Propos de tables

Propos de tables

Ces jours-ci, le centredesignmarseille se met à table, faisant le pari de demander à trente-trois designers et plasticiens de transformer une table quelconque en une création singulière. Une idée judicieuse, qui permet surtout d’appréhender la diversité des approches par rapport à un même objet… (lire la suite)

Ces jours-ci, le centredesignmarseille se met à table, faisant le pari de demander à trente-trois designers et plasticiens de transformer une table quelconque en une création singulière. Une idée judicieuse, qui permet surtout d’appréhender la diversité des approches par rapport à un même objet.

Que fait-on autour d’une table ? A priori, on mange, on parle. Certains hommes illustres y ont puisé une source pour leur réflexion : la table est un lieu de rencontre pour certains esprits que le parfum d’un met savoureux ou les effluves d’un grand cru rendent volubiles. Coleridge se plaisait à écouter ses contemporains lors de réunions autour d’un brandy ou d’un sandwich, jusqu’à y consacrer un volume de ses écrits, certes pas le plus clair, mais assurément le plus fécond. Luther lui-même n’a-t-il pas développé certains traits de sa pensée religieuse dans ces discussions de table, alors que rien ne nous dit qu’il était un bon vivant ? Certains des designers et plasticiens présentés dans le cadre de l’exposition semblent avoir oublié le rôle social et convivial de cet objet dans notre vie. Peut-être la table n’est-elle plus pour eux qu’un objet de décoration insipide, au même titre que n’importe quelle autre babiole achetée une fortune chez Coran Shop. Luther n’aurait certainement pas renié la stérilité conventionnelle que s’attribuent certains artistes au nom de la défense de la ligne pure et de l’élégance. Mais cette austérité froide ne laisse de place qu’au silence. Où allons-nous chercher la chaleur si même la table, ce centre de vie, quelle que soit la culture —au ras du sol ou sur pieds —, devient un pur élément du décor ? Parce que notre philosophie n’est pas nécessairement celle du paraître, mais tend plutôt à envier le monde gargantuesque de Rabelais, on a volontairement écarté du jeu les pièces du décor pour ne retenir que les univers de quelques créateurs pour qui une table n’est pas simplement faite pour prendre la poussière. Parce qu’on a alors tout le temps, on peut pénétrer sans retenue dans l’environnement créé par Laure Fernandez. La table, renversée, en dit long sur l’envers du décor : un extérieur peuplé d’êtres hallucinés, les yeux grands ouverts, les uns sur les autres au pied de grandes tours. Pour passer de l’autre côté, juste le trou d’une serrure où se glisse l’œil du voyeur. Un intérieur fou, dantesque, où un grassouillet se dévergonde sur un vaste fauteuil, louchant sur la poitrine de sa dame de compagnie. De là, il n’y a qu’un pas à faire pour observer la proposition de Jean-jacques Surian, Africa games, dont le titre seul résume déjà la provocation et les multiples nœuds qu’il soulève. Deux tentatives, en guise de plat de résistance peut-être un rien épicé, pour susciter le désir et le dégoût, l’envie de se bousculer autour de ces deux tables car elles sont tout sauf neutres. Antithèse, pour calmer le jeu et adoucir le goût du piment : Bivouac de Philippe Turc, une table carbonisée, noire de cendre, réduite quasiment à un souffle léger, où fume encore comme une odeur de café bouilli — le clin d’œil humoristique d’un inconditionnel du vagabondage. Et parce qu’il faut aussi, après tant de méditation, prendre du plaisir à table, on retiendra la pirouette initiée par Alexis Tricoire avec Scrabble qui, bien que simple, rappelle au beau souvenir de nos sens que l’utilisation d’une table est multiple et que les mots « érotisation » et « excitation », entre autres, sont aussi liés à l’univers de la table. Parfois, il faut bien débarrasser la table de ces a priori : plus de fourchette ni de couteau, simplement un espace libre pour la pensée, le désir et le plaisir.

Diane M.

Sur table… Jusqu’au 22/06 au CDM (6 av de la Corse, 7e). Rens. 04 91 54 08 88 / www.designmarseille.org