Francesca Poloniato

Portrait | Francesca Poloniato

Comme à la Maison

 

Depuis un an, le Théâtre du Merlan a trouvé sa direction, en la personne de Francesca Poloniato. Elle définit sa nouvelle saison comme une traversée, avec l’autre et vers les autres. Ce ne sera pas celle du désert au vu de ses cinquante propositions, parmi lesquelles trois créations et de multiples collaborations avec divers acteurs locaux, théâtres, compagnies et festivals.

 

Italienne de naissance, seule fille d’une fratrie de quatre, Francesca Poloniato grandit au sein d’une cellule familiale forte. Pas de culture à la maison, si ce n’est quelques films italiens et Au théâtre ce soir que sa mère regarde. C’est à Nantes, où elle arrive très jeune avec ses parents, qu’elle fait ses classes professionnelles.

Mais c’est à Marseille, au Théâtre du Merlan, qu’elle vient de décrocher, il y a un an, son premier poste de direction avec un projet ayant comme emblème la Maison. Une maison à l’image de sa directrice : ouverte, chaleureuse et festive — ses salles sont pleines et son public un des plus mixtes et respectueux de la région.

Peu l’appellent Madame Poloniato, elle est Francesca, et c’est pour elle le gage du succès de son projet. Dans sa Maison, elle met en partage ce qu’elle a, ce qu’elle aime et ce dont elle rêve. Elle s’en arrange au milieu des contraintes et des réalités de son lieu d’implantation, de son budget. Le reste, elle l’imagine et elle tisse avec d’autres ce qui lui manque. Tisser des liens est la chose qu’elle sait le mieux faire, instinctivement. Parfois, elle brode avec Edith Amsallem (projet Broder la ville), une des artistes de sa « Ruche » (avec Arthur Perole et Fanny Soriano). Parfois, elle sort, en festivals ou au centre social, avec sa « Bande », parce qu’au quartier, « artistes associés », ça fait pas sérieux, et surtout parce que ce qui l’intéresse, c’est construire ensemble. Ils sont sept — Nevché, Pauline Bureau, Antonella Amirante, François Cervantes, Mickaël Phelippeau, Nathalie Pernette et Céline Schnepf — à investir la scène du Merlan pendant trois ans. « La Bande, elle m’accompagne, la Ruche, je les accompagne », scande Francesca, qui encourage la circulation des artistes (Arthur Perole, qui réalise la chorégraphie de la création de Mélanie Laurent Le Dernier Testament au Théâtre du Gymnase, fera sa création Rock’n chair à Chaillot et à Klap). Il a aussi fallu rentrer dans la bande des habitants, des habitués, et régler doucement la fréquence de l’équipe sur la nouvelle FM (Francesca du Merlan). Elle vient d’intégrer dans son équipe un jeune du quartier en service civique aux relations publiques.

Elle espère pouvoir bientôt leur offrir un joli accueil, repeint et agréable — c’est important, le beau — afin de les inciter à passer et même à venir regarder la télé si ensuite cela les emmène dans la salle.

 

La transmission

La première bande qu’elle fréquente, c’est celle des enseignants de son collège, tous issus de la génération Jean-Marc Ayrault, qui éveilleront sa curiosité artistique en l’emmenant dans divers lieux et festivals au moment où Nantes est un pôle culturel innovant et très prolifique (Royal de Luxe, le Festival des 3 C…). Elle se choisit même une « mère culturelle » en la personne de sa professeure d’histoire.

Pivot de sa base culturelle, la transmission est l’élément fort de son projet. Son goût pour la danse, qu’elle a pratiquée à partir de l’adolescence, et pour le théâtre l’amène, alors qu’elle est encore éducatrice spécialisée, à initier des ateliers en faveur de jeunes filles abusées. Devenant passeuse d’art à son tour, elle les emmène assister au spectacle Texane du directeur du Centre Chorégraphique National de Nantes, Claude Brumachon, interprété par Benjamin Lamarche. Brumachon est le premier à lui faire confiance et à l’intégrer dans son équipe, la faisant passer du social au monde professionnel de la culture. Elle restera sept ans au CCN de Nantes, parvenant jusqu’au poste de secrétaire générale. « J‘étais à ma place dans ce milieu, se souvient elle. J’y ai très vite été reconnue. Il faut dire que c’était de très belles années économiques et culturelles, nous avions les moyens. »

Vingt ans après, le premier décembre prochain, comme pour marquer son récent envol en solo, Francesca l’invitera, ainsi que Benjamin Lamarche, avec Icare, en même temps que Grand Remix d’Hervé Robbe et Béjart, dans le cadre de sa désormais traditionnelle journée du répertoire dansé en partenariat avec le Théâtre du Gymnase. La marque d’une belle fidélité, et un juste retour des choses pour Francesca que d’acheter ce spectacle qu’elle a vendu plus de deux cents fois au sein de leur structure, formant ainsi une boucle de transmission. D’autant que pour elle, programmer un spectacle du répertoire donne les clefs pour comprendre la création contemporaine actuelle.

Francesca ne se raconte pas en dates mais en rencontres et en projets. Ainsi, Didier Deschamps, lorsqu’il est nommé responsable du Ballet de Lorraine à Nancy, l’embarque dans une aventure où tout est à reconstruire. Elle y restera onze ans, jusqu’à ce que Deschamps parte au Théâtre de Chaillot. C’est alors Anne Tanguy, qu’elle a aidé à lancer sa compagnie, qui la réclame. La transmission est là et la scène Nationale de Besançon l’accapare pendant deux ans.

 

Comme un roman

Si le maire de Marseille l’a récemment mariée, ce n’est dû qu’à un concours de circonstance rocambolesque, comme tant ont émaillé sa vie personnelle et professionnelle. Des rencontres clefs ont jalonné et tracé son parcours atypique. Sa vie personnelle influencera toujours sa vie professionnelle, ce qu’elle explique par le fait d’être la même partout. Une de ses collaboratrices dit que sa vie ressemble à un roman, Francesca a aussi le bagout pour la raconter.

Son double parcours professionnel, culturel et social, sa double culture franco-italienne, son vécu dans les quartiers de Nantes, sa passion pour la danse, son sens du relationnel et son goût du défi lui donnent sa légitimité. Des atouts qui l’aident à appréhender les enjeux et les difficultés d’une politique culturelle pour tous, enjeux encore plus décisifs dans ce quartier difficile de la cité phocéenne. Loin des beaux discours qui ne dépassent pas le programme, elle remanie : politique tarifaire, réaménagement des locaux, ateliers pour les habitants du Merlan, multiplicité des coopérations avec les voisins (Klap, le Centre social des Flamands, la Bibliothèque…). Un vrai projet de territoire qu’elle met en place avec tous les partenaires de bonne volonté.

Un autre atout de Francesca est la présence. Présence dans le territoire afin de mettre la culture dans le quotidien des habitants. Son festival Les Envolées, créé en mai dernier, en est la plus belle illustration, avec Kelemenis dans la galerie marchande de Carrefour, Yvonne princesse de Bourgogne dans une cour de maternelle…

Présence dans le lieu, la maison mère, le théâtre. Nul ne peut, à part les jours de prospections de nouveaux spectacles aux quatre coins de l’Europe, lui reprocher de diriger de loin. En bonne maitresse de maison, elle accueille ses compagnies invitées, partage le couvert et le conseil, et cela dans le lieu même de restauration du théâtre, parmi le public qui aime prolonger le spectacle autour d’un verre ou d’un bon plat de Fred du Waaw. Car ici, la proximité n’est pas un objectif, mais une base de travail et de rencontres. De ce théâtre lointain pour bien des raisons, Francesca est en train de faire un lieu incontournable d’échange, de création, de circulation de parole, comme ce fut le cas après les attentats de novembre, où elle n’a pas fermé les portes de sa Maison par protection.

 

La nouvelle programmation

Elle est peuplée de parcours et de visages de femmes (Jessica and me sur les vingt ans de la collaboration de Cristiana Morganti avec Pina Bausch, la femme de ménage de Mohamed El Katib, Face à Médée de Cervantes…) et basée sur des thèmes de sociétés (Voyage à Tokyo de Dorian Rossel, son coup de cœur pour Nos territoires de Baptiste Amann, qui sera également en résidence à Montévidéo…). Toujours partante, elle ouvrira sa Maison au nouveau festival littéraire marseillais Oh ! Les beaux jours, avec du foot à l affiche.

Le schéma de première page de son programme ressemble bien à une toile d’araignée qui a tissé sa toile et d’un fil à l’autre constitue la trame d’un projet citoyen autant qu’artistique.

« Ma ligne de programmation s’appuie sur le fait que les artistes aient des choses à dire et fassent passer des messages. Et qu’ils soient extrêmement généreux ! Comment ils choisissent des sujets graves, drôles, importants ou légers et comment ils s’en emparent et veulent le transmettre au public le plus large possible. »

Finalement, Francesca Poloniato ne fait qu’appliquer avec enthousiasme et rendre ce qu’elle a reçu. Principe auquel elle croit énormément et sur lequel repose son projet au Merlan : ouvrir, construire et partager la maison commune comme un projet de vie. Elle met à disposition des propositions, dont chacun peut s’emparer, ou pas, dans un climat qui est chaleureux.

Rendez-vous à la Maison le 23 septembre pour le lancement de saison avec les surprises préparées par les artistes de la Bande et de la Ruche et le spectacle de voltige Noos de Justine Berthillot et Frédéri Vernier.

Marie Anezin

 

Rens. : Le Merlan, Scène Nationale de Marseille (Avenue Raimu, 14e).

04 91 11 19 20 / www.merlan.org

Lancé de saison le 23/09 à partir de 19h (entrée libre sur réservation)

Les prochains spectacles au Théâtre du Merlan ici