Peter Granser - Sun City, à l’Atelier De Visu

Peter Granser – Sun City, à l’Atelier De Visu

Arizona Dream

En adoptant une démarche à la fois de « photo-reporter » et d’« artiste-photographe » selon ses propres termes, Peter Granser nous fait découvrir un phénomène étonnant : une ville privée située en Arizona, uniquement peuplée de personnes de plus de cinquante-cinq ans, Sun City.

Granser-man-with-a-bag.jpgCette ville a été bâtie dans le désert d’Arizona au début des années 1960 par le richissime agent immobilier Del Webb. Il y fit construire 27 000 maisons, des terrains de golfs, des piscines, des terrains de tirs, des hôpitaux, des centres commerciaux. Protégée de l’extérieur par un accès contrôlé, cette ville réservée à une population socialement, culturellement et surtout générationnellement homogène, est autogérée par ses habitants. En écho à cet ordre social établi, tout en y révélant son apparente tranquillité et son artificialité, Peter Granser élabore ses photographies en adoptant une certaine systématicité de la prise de vue (à la fois une proximité avec son sujet et une frontalité, en nous tenant à distance). Les personnes photographiées paraissent à la fois pathétiques et totalement irréelles ou encore suspendues hors du temps. Granser ne photographie pas des masses, mais des personnes isolées ou des petits groupes (des majorettes, des shérifs, etc.), en interrogeant par là même un des problèmes posés par cette ville : le communautarisme. Cette ville exprime-t-elle l’identité d’un groupe, la crise de l’urbanité américaine, la réalisation d’idéaux de séparatisme communautaire ? Toutes les maisons, architecturalement, semblent identiques et sont agencées à l’échelle de la ville sur un mode circulaire. On peut y voir la volonté de se démarquer et de rompre avec la topographie habituelle des villes, d’être le plus éloigné des formes urbaines courantes. L’attention portée par Granser à la végétation de Sun City, composée essentiellement de cactus et de palmiers, soulignent son implantation dans une région ensoleillée et désertique et surtout l’impression de dépaysement. Mais l’on peut également penser que ce choix topographique est lié à la volonté d’accentuer un sentiment de sécurité, en donnant à la ville l’apparence d’un cocon.
La photographie fonctionne ici comme une découpe, un prélèvement, une recomposition aussi. Comme cette ville, entièrement fabriquée dans le but d’accueillir une population spécifique, modelée topographiquement mais également culturellement et idéologiquement. A quel point et dans quels sens se tissent des liens entre dispositifs architecturaux, modes de vie et état d’esprit des habitants ? Lequel se modèle sur l’autre ou détermine l’autre ? Au-delà de la critique « facile » ou « évidente » qui porte sur la dimension pathétique et effrayante de ce mode de vie et de la vision du monde qu’il véhicule, c’est aussi notre regard sur ces photos que nous pouvons interroger. Si nous nous sentons à distance de ce qui est montré, en quel sens le sommes-nous ?

Elodie Guida

Peter Granser – Sun City, jusqu’au 18/07 à l’Atelier De Visu. Rens. 04 91 47 60 07 / www.atelierdevisu.fr