Passe ton Offenbach d'abord !

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La musique classique est-elle soluble dans les quartiers populaires ? A l’occasion d’une résidence de l’Orchestre Régional de Cannes, la semaine dernière dans les quartiers nord, notre journaliste a tenté d’y voir plus clair.. (lire la suite)

La musique classique est-elle soluble dans les quartiers populaires ? A l’occasion d’une résidence de l’Orchestre Régional de Cannes, la semaine dernière dans les quartiers nord, notre journaliste a tenté d’y voir plus clair

André Malraux, premier ministre de la culture en 1958, croyait au choc esthétique provoqué par la confrontation directe d’un public initié ou non avec l’œuvre d’art :  » Il appartient à l’université de faire connaître Racine, mais il appartient seulement à ceux qui jouent ses pièces de les faire aimer.  » L’Orchestre Régional de Cannes a tenté l’expérience la semaine dernière, en apportant les notes de compositeurs de musique classique jusqu’aux oreilles des habitants des quartiers nord de Marseille. Quel acte pourrait être plus emblématique en termes de démocratisation culturelle ? Cela aurait pu en rester au souvenir d’une anecdote un peu provocatrice ou, pour les musiciens, à celui d’une aventure à grand frisson… Ce serait sans compter l’enthousiasme général suscité par ces trois jours de rencontres musicales entre les quarante artistes et quelque six cents adolescents, issus du Centre de formation d’apprentis Corot, du lycée technique régional Denis Diderot et du quartier de la Belle de Mai. Le projet : enrichir l’univers sonore de ces jeunes nourris de musique ultra-médiatisée en leur faisant entendre des pièces du répertoire classique, en « live » et dans une proximité avec les musiciens d’orchestre propice au dialogue. Le chef d’orchestre, Philippe Bender, s’est étonné de la qualité d’écoute et de l’intérêt révélé par les questions posées, allant du mystère des sentiments provoqués par la musique (« comment ça se fait qu’une note soit triste ?« ) à la réalité sociale du métier de musicien (« Combien de temps ça travaille un musicien, et combien ça gagne ?« ). Le choix du programme était risqué : inviter une jeune génération de cultures mixtes et populaires à partager musicalement la griserie de la société bourgeoise parisienne du dix-neuvième siècle devant le mouvement des jupons des danseuses de french cancan (La gaieté parisienne d’Offenbach) ou la gravité d’un homme au début de ce même siècle, s’interrogeant sur la grandeur et la décadence de l’Empire napoléonien (symphonie n°5 de Beethoven). Et pourtant… Emotions vraies et partagées, sourires irrépressibles et souffle retenu pendant la fabuleuse prestation du clarinettiste Michel Lethiec, ancien habitant du quartier de la Belle de mai – ceci pourrait-il expliquer cela ? – swinguant sur un arrangement de Porgy and Bess de Georges Gershwin au cours du concert final à la Friche, vendredi dernier. Mystère de la musique, caractérisé, pour reprendre les mots du musicologue Jean-Pierre Armengaud[1], par « le non-dit incontrôlable de ses messages qui échappe à toute explication rationnelle et objective et peut mettre en mouvement de façon imprévisible les affects individuels et collectifs. » Il semblerait bien que, transcendant les différences identitaires, la musique révèle un espace commun de dignité et d’échange libre entre les êtres – cette fameuse cohésion sociale ? Soyons réalistes, ces jeunes ne vont pas subitement renouveler le public des concerts de musique classique, ni relancer le marché du disque. Mais selon Catherine Morschel, directrice administrative de l’orchestre, « il faut savoir laisser derrière soi un désir… » Désir partagé par les musiciens et leurs nouveaux auditeurs de se retrouver l’an prochain. Désir, aussi, exprimé par Alain Hayot, vice-président délégué à la culture et à la recherche au Conseil Régional, de favoriser ce type d’action à plus long terme, à travers notamment le nouvel Orchestre Régional des Jeunes PACA. Pour que la démocratie culturelle ne soit ni rêvée ni regrettée mais vécue, au-delà des idéologies, dans une réalité sociale, mouvante et variée dans ses expressions.

Texte : Géraldine Pourrat
Photo : Laurent Saccomano

L’Orchestre Régional de Cannes PACA était en résidence dans les quartiers nord de Marseille du 31 janvier au 2 février 2007.
Contact ORC : 04 93 48 61 10
www.orchestre-cannes.com

Notes

[1] La musique : thérapie de la démocratie in Le Monde Diplomatique n°57