L'usine Pillard © Damien Boeuf

Ouvertures d’Ateliers d’Artistes

Antre nous

 

Profondément ancrées dans notre territoire et liées aux mutations de la cité phocéenne, les Ouvertures d’Ateliers d’Artistes, organisées par le Château de Servières depuis vingt-deux ans, témoignent chaque année de la vitalité d’une scène artistique marseillaise en perpétuel renouvellement.

 

« De tous les cadres, enveloppes et limites — généralement non perçus et certainement jamais questionnés — qui enferment et “font” l’œuvre d’art (l’encadrement, la marquise, le socle, le château, l’église, la galerie, le musée, le pouvoir, l’histoire de l’art, l’économie de marché, etc.), il en est un dont on ne parle jamais, que l’on questionne encore moins et qui pourtant, parmi tous ceux qui encerclent et conditionnent l’art, est le tout premier, je veux dire : l’atelier de l’artiste. »

Daniel Buren,  Fonction de l’atelier, 1971

 

Si l’atelier est, comme le dit Buren, le lieu où le travail se fait, à l’opposé de la galerie qui est le lieu où le travail se voit, ouvrir l’atelier au public n’est-il pas contre-nature ?

L’atelier d’artistes est un lieu par définition privé, maintes fois représenté au cinéma, dans la photographie, ou par les peintres eux-mêmes. Il a subi depuis ces dernières décennies des bouleversements observés par les critiques, les commissaires et les artistes eux-mêmes. Lieu de production et de non production, lieu de réflexion et de non réflexion, lieu d’isolement ou de collaboration, lieu de cohabitation et de recherches, lieu de l’échec, l’atelier, dont la vision romantique perdure malgré Warhol et la Factory, demeure un objet de fantasme pour le grand public. Certains artistes ont théorisé cet intérêt pour les coulisses de la création jusqu’à l’intégrer dans leur pratique même, à l’instar de Marcel Broodthaers, Robert Filliou, Claes Oldenburg ou plus récemment Emmanuelle Lainé, mélangeant ainsi espace intime et espace public, espace de production et espace d’exposition. S’il s’agit de produire, l’atelier est aussi le lieu stratégique des rendez-vous, des visites de professionnels de l’art, des collectionneurs aussi parfois ; c’est un antre au fort pouvoir symbolique avec lequel le white cube ne rivalisera jamais.

Permettre aux artistes d’ouvrir leurs ateliers au public comme le fait chaque année le Château de Servières permet de favoriser la rencontre entre l’artiste et l’amateur d’art contemporain, d’ouvrir la porte aux curieux aussi et, pourquoi pas, d’accueillir des commissaires, des programmateurs, des étudiants en art ou des professeurs qui inviteront par la suite ces artistes à intervenir sur des projets pédagogiques si prisés par le ministère de l’éducation et la DRAC. C’est aussi une occasion pour le voisin d’oser passer la porte du local d’à côté. C’est surtout pour l’artiste une façon de réaffirmer sa place au sein de notre société, de montrer qu’il est au centre d’une économie et d’une production nécessitant du matériel, des machines, des investissements et que l’artiste plasticien du 21e siècle est finalement plus proche de l’auto-entrepreneur que de l’artiste maudit isolé au fond des bois.

 

« L’atelier me fait plus participer à la société que mes expositions. »

— Neil Beloufa

 

Les formes expérimentales d’ateliers — tiers-lieux que l’on observe partout en Europe —, nous les retrouvons aussi à Marseille qui, depuis quelques années maintenant, opère une indiscutable attraction sur les plasticiens. Le phénomène n’avait d’ailleurs pas échappé à Edouard Monnet, commissaire de l’exposition Sud Magnétique en avril 2019 chez Vidéochroniques, qui montrait déjà la vivacité de cette nouvelle scène marseillaise. Si la misère est moins pénible au soleil, la réalité économique du secteur des arts plastiques, dont on aura pris conscience dans les plus hautes instances grâce au SODAVI (1), demande encore aux plasticiens qui ont déjà la chance d’avoir un atelier d’y travailler avec deux pulls en hiver. Face à la précarité, les artistes s’organisent seul. L’atelier de l’artiste contemporain est collaboratif et pluridisciplinaire. Et à Marseille, les exemples ne manquent pas, à l’instar de Coco Velten ou des Ateliers de la Blancarde, pour ne citer qu’eux, formes hybrides et polymorphes, tiers-lieux qui accueillent des artistes mais développent également une économie autour de l’art contemporain et de ses enjeux sociétaux tout en tentant d’inventer de nouveau modèles. Chaque année, de nouveaux ateliers rallongent ainsi la liste des participants aux OAA : après Hyph, Panthéra, Vé, Oxymore ou Destré, la vingt-deuxième édition accueille les ateliers Fuite, Ficus, Double Serpent, La Rouille, Les Petits Labos…

Du 28 au 30 août, alors que nous serons prêts à attaquer la rentrée, 181 artistes nous ouvriront la porte de leurs cinquante-six ateliers et prolongeront nos vacances. Si leur répartition se fera essentiellement selon cinq quartiers (Blancarde-Chave-Cours Julien, autour de Longchamp et des Ateliers d’artistes de la Ville boulevard Boisson, Panier-Joliette-Porte d’Aix et Belle de Mai), on ne saurait trop vous conseiller de ne pas faire l’impasse sur les ateliers éloignés du centre, par exemple aux Catalans où Camille Goujon propose un atelier Stop Motion durant le week-end, ou à Malmousque pour l’apéro vue sur mer de l’atelier EOP.

Plusieurs lieux inaugurent leurs espaces à l’occasion des OAA, comme Ugo Schiavi à la Belle de Mai le samedi de 16h à 19h, les Ateliers de la Blancarde ou les 8 pillards à Plombières, gigantesque espace dans une ancienne usine qui regroupe plus d’une dizaine d’artistes que l’on pourra découvrir le vendredi pour leur soirée d’ouverture. Vingt ateliers sur cinquante-six participent pour la première fois et renouvellent la manifestation, autant appréciée du grand public que par les professionnels.

Pour voir les cinquante-six ateliers, il faudra bien étudier avec méthodologie le livret édité cette année et le plan, organiser des parcours et, pourquoi pas, faire les OAA à vélo pour en voir plus et/ou en groupe pour en discuter. Chaque atelier est repérable de loin grâce à son fanion. Le calendrier des évènements sera réactualisé sur le site internet du Château de Servières durant le week-end, de nouvelles festivités s’organisant au dernier moment, Covid oblige ! Il va sans dire que les artistes nous accueilleront dans le respect des règles sanitaires en vigueur fin août. Les livrets et les plans seront disponibles au Château de Servieres et dans tous les lieux culturels dès mi-août et sur le site internet du Château pour les versions web.

 

Céline Ghisleri

 

Ouvertures d’Ateliers d’Artistes : du 28 au 30/08 à Marseille.

Rens. : http://chateaudeservieres.org

 

Notes
  1. Schémas d’orientation pour les arts visuels (SODAVI) est un outil de construction conjointe des politiques publiques en faveur des arts visuels, au service des acteurs professionnels des arts visuels et des publics. Il est décliné selon les spécificités territoriales, accompagné ou mis en place par les DRAC (Directions régionales des affaires culturelles).[]