L’Interview : Nicolas Bouchaud

L’Interview : Nicolas Bouchaud

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Il y a près de vingt ans, le comédien Nicolas Bouchaud regardait un entretien filmé entre le philosophe Régis Debray et le critique cinéma Serge Daney… Il en a tiré La Loi du marcheur, programmé dans le cadre du festival ActOral.

Pourquoi cet entretien vous a-t-il interpellé ?
J’ai été frappé par l’acuité de la pensée de Daney et comment il a intégré le cinéma à sa propre vie. Il m’a touché en racontant que le cinéma fait partie de l’enfance. Lui, il y allait avec sa mère. Moi, c’était avec ma grand-mère. A l’époque, on n’allait pas « voir un film », on allait « au cinéma ». Peu importait le réalisateur ou les acteurs, ce qui comptait, c’était « la promesse d’un monde », comme disait Daney.

En tant qu’artiste, vous êtes souvent exposé à la critique. Comment envisagez-vous cette profession ?
A partir du moment où on prend un risque devant des gens, où on se met dans cette position, il est normal d’avoir un retour. Maintenant, on peut se poser la question de la qualité du retour. Tant que je sens qu’on a regardé le travail, je n’ai pas de problème avec les mauvaises critiques. Aujourd’hui, les articles un peu fouillés sont sur Internet, alors que dans les années 80, une critique de Daney faisait la une de Libération.

Dans la pièce, vous invitez les spectateurs à classer des films par catégories. Comment réagissent-ils ?
Parfois, ils se mettent à débattre. Avec les films qui ont « regardé notre enfance », on devine l’âge des spectateurs ; dans la catégorie des « films que tout le monde a aimés sauf moi », on retrouve souvent Amélie Poulain. Ensuite, je fais redémarrer le texte, sans en avoir l’air, et le public continue parfois de parler. A Rio, les gens ne s’arrêtaient plus.

Le titre de l’entretien est Itinéraire d’un ciné-fils. Pourquoi avoir intitulé votre spectacle La loi du marcheur ?
Ça vient d’un critique des Cahiers du Cinéma, qui a dit : « A la loi du marché, Serge Daney opposait la loi du marcheur. » La marche faisait partie de la cinéphilie. Il fallait marcher dans Paris pour aller voir un film de Lang ou de Preminger, parfois sans sous-titres. Et, tandis qu’on marchait, on parlait longuement des films.

Pourquoi avoir fait appel à Eric Didry pour la mise en scène ?
J’avais vu son Boltanski / interview. Il traite de l’oralité avec une très grande force. L’entretien de Daney, c’est une parole, une pensée qui se construit à vue, celle d’un homme qui s’efforce d’élucider sa vie. Eric a conservé les hésitations, les approximations, y compris les fautes de français. Ce qui donne un rythme, une musicalité très particulière.

Pourquoi avoir adapté cet entretien à deux en un solo ?
Au moment du tournage, Daney connaît l’imminence de sa mort. Pour moi, il y avait l’idée d’un récit, celui de quelqu’un qui re-parcourt sa vie avant de partir. Debray pose très peu de questions. Sa grande délicatesse, c’est d’avoir laissé Daney parler, d’avoir compris qu’il avait besoin de transmettre quelque chose.

Quel autre travail d’adaptation avez-vous réalisé ?
D’une part, je m’adresse au public. D’autre part, Rio Bravo est projeté sur un écran. C’est sur ce film que Daney a écrit sa première critique. Moi, je l’ai vu adolescent et je le revois souvent. Sur scène, je m’amuse avec les images. Encore cette connivence entre l’enfance et le cinéma.

Propos recueillis par Capucine Vignaux
Photo : Nicolas Bouchaud dans La loi du marcheur par Giovanni Cittadini

La Loi du marcheur : du 4 au 8/10 à La Criée (30 quai de rive neuve, 7e). Rens. 04 91 37 14 04 / www.actoral.org