L'évènement : le Théâtre du Centaure

L'évènement : le Théâtre du Centaure

Juste faire hennir les chevaux du plaisir

A l’occasion de la création d’Otto Witte au Théâtre du Gymnase, rencontre avec les fers de lance du Théâtre du Centaure, au leitmotiv délicieusement utopique : rêver de l’impossible.

Otto-Witte.jpg« Ni cheval, ni cavalier : ce sont de vilains mots. » Le « manifeste » du Théâtre du Centaure donne le ton. Depuis presque dix ans, la compagnie, créée à l’aube des années 90 en Bourgogne par Manolo, impose dans le paysage théâtral contemporain des acteurs hors normes, mi-hommes mi-animaux : les centaures. Un être chimérique, parce que « nous préférons un corps qui n’existe pas, plutôt qu’un corps qui existe à moitié… Nous croyons tous les jours à quelque chose d’impossible. » Cette utopie, la « famille » de Camille (qui co-dirige le Centaure depuis 1992) et Manolo — quatorze membres, sept quadrupèdes et autant de bipèdes — la vit au quotidien, au sein de la Campagne Pastré, où elle s’est installée en 1995. « C’est un choix de vie, un engagement complet et collectif. Tous les jours, on se lève, on travaille avec nos moitiés animales et on crée une relation à l’autre. Le centaure ne parle que de ça : pour exister, on a besoin de la confrontation à l’autre. »
« On ne dirige pas les chevaux, on ne fait qu’un avec eux, renchérit la douce Camille. C’est vraiment une interaction, une fusion entre une partie humaine et une partie animale. Avec le temps, on arrive à un tel degré d’écoute qu’on n’a presque plus besoin de “se parler”, comme dans une relation humaine où parfois on se comprend sans rien se dire. Les animaux, les chevaux en tout cas, ont une écoute très sensible. Ils ont un rapport à l’autre et au temps présent très fort. » Jouer aux côtés de ces êtres instinctifs, qui n’ont que faire du passé ou de l’avenir, demande donc une attention de tous les instants. Et un travail au long cours, très technique : « On est plus des athlètes et des danseurs que des circassiens, ajoute Camille. On s’entraîne tous les jours, comme les danseurs qui sont quotidiennement à la barre ou le violoniste qui fait constamment ses gammes. Mais la technique n’est jamais une fin en soi, c’est un moyen pour raconter des histoires. » Des histoires toujours vraies — l’autre particularité de la compagnie —, à l’instar de l’épopée d’Otto Witte, monologue à deux têtes écrit pour l’occasion par Fabrice Melquiot. « C’est dans la vie que se tisse un centaure. C’est à l’intérieur de chacun qu’il s’élance, là où les secrets ont leur sauvagerie, l’inconscient son étrangeté, le désir sa magie, là où l’avenir s’arpente à plusieurs. »

CC

Rens. www.theatreducentaure.com


L’interview : David Mandineau (et Koko Bottom)


Alors que notre journaliste recueillait les impressions de David Mandineau, Koko, baudet du Poitou et acteur avant tout, s’est mêlé à la conversation.

Comment se passe le travail avec un âne ?
David Mandineau :
Ça fait partie du principe de la compagnie : chaque artiste a sa partie animale. C’est une rencontre du troisième type. Faire rentrer sur un plateau de théâtre un animal nécessite beaucoup de confiance et d’amour ; c’est un apprentissage et une éducation au jour le jour. D’ailleurs, je passe tellement de temps avec lui que parfois, j’appelle mon fils Koko et mon âne Ethan, comme mon fils ! Plus sérieusement, l’intérêt et la force du spectacle vivant, c’est d’être ancré dans le présent. Et travailler avec un animal m’y oblige, car un animal ne vit pas dans une projection dans le futur ou le passé comme le font les hommes, mais seulement dans le présent.

Et toi, Koko, quel effet ça te fait, d’être sur scène ?
Koko :
Cela me fait énormément plaisir ! J’adore être entouré, qu’on me regarde, avoir l’attention du public. Alors être sur scène, c’est du plaisir. Ma partie humaine est sur scène avec moi et ensemble, on interprète plusieurs personnages.

Mais ce n’est pas trop difficile de vivre parmi les hommes, parmi leurs folies et leurs bêtises ?
K :
Je ne les comprends pas toujours. Au Centaure, j’ai rencontré des hommes qui parfois veulent me faire faire des trucs un peu bizarres, mais j’aime le spectacle. J’aime faire rire les gens et être applaudi, mais sinon, je m’occupe surtout de manger, de boire et de braire !

Comment nous vendriez-vous la pièce ?
D :
C’est une histoire vraie, celle d’un usurpateur. Il y a un peut-être un parallèle à faire avec le fait qu’un baudet rentre au théâtre et usurpe le lieu, notamment avec ses dorures et ses fauteuils rouges. J’aime ce décalage entre le chic du Gymnase et ce personnage foutraque et poilu.
K : C’est une très bonne pièce ! J’ai même mon grand moment, lorsque je monte sur un tabouret ! Je suis fier et heureux parce que je suis le plus grand, je domine le public. C’est le top pour un acteur, non ?

Propos recueillis par Bénédicte Jouve


La pièce


Otto, vite !

Ou l’incroyable épopée d’un va-nu-pieds devenu (brièvement) roi d’Albanie, racontée par un centaure plein de dreadlocks.

En 1913, alors même qu’il ne sait ni lire ni écrire, Otto Witte intègre les services secrets de l’Empire. En pleine guerre des Balkans, ce clown et avaleur de sabres allemand accède contre toute attente au trône d’Albanie sous le nom d’Othon 1er. A peine quelques jours plus tard, après avoir notamment déclaré la guerre à ses voisins, il prend la fuite avec le trésor de la couronne et une partie du harem. De retour en Allemagne, ayant échappé de peu à l’asile psychiatrique, il emporte la procédure judiciaire qu’il avait intentée pour la reconnaissance de son titre. Il passera le restant de ses jours en habit de roi à raconter son incroyable épopée devant sa roulotte, transformée en château… En 1957, un an avant sa mort, il s’indignera encore d’être la seule tête couronnée européenne à ne pas être invité au mariage du prince Rainier avec Grace Kelly !
Découverte dans Courrier International, la fabuleuse histoire (vraie) d’Otto semble taillée sur mesure pour le couple improbable formé par David Mandineau et Koko Bottom (dont on se demande lequel arbore le plus de dreadlocks), ce « corps qui parle sur un corps qui braie » permettant toutes les métaphores. Camille et Manolo décident naturellement d’en confier l’écriture à Fabrice Melquiot, qui crée le texte à partir des improvisations gestuelles de David et Koko. Si l’auteur — à l’instar du compositeur Christian Boissel, qui joue en direct — a dû s’adapter au comportement parfois inattendu de son « acteur à deux bouches, quatre oreilles et mille visages », il livre un récit très écrit, sans répit, sans repos, au rythme de la vie d’Otto, cet homme qui courait après l’impossible.

CC

Otto Witte : du 13 au 21/02 au Théâtre du Gymnase (4 rue du Théâtre Français, 1er).
Rens. 04 91 24 35 24 / 0820 000 422 / www.lestheatres.net