Le privé dans le privé

Le privé dans le privé

La galerie de Sam Dukan et Marc Hourdequin nous offre un regard sur la peinture contemporaine à travers une exposition intitulée Far West One et sur une proposition de Philippe Segond, artiste de la galerie Xippas (Paris)…

La galerie de Sam Dukan et Marc Hourdequin nous offre un regard sur la peinture contemporaine à travers une exposition intitulée Far West One et sur une proposition de Philippe Segond, artiste de la galerie Xippas (Paris).

Le Far West, c’est un mythe et une réalité : une étendue de paysages désertiques parsemée de cactus. Une lumière brûle tout sur son passage, un serpent lové sous une roche attend son heure. Combien de films et combien d’histoires ? De versions et de partis pris sur la sauvagerie des Indiens et la conquête de l’Ouest par des visages pâles venus chercher un nouvel Eldorado ? Une réalité : le génocide du peuple amérindien et l’inexorable implantation des puits de pétroles, l’american way of life peut commencer. Comment la peinture peut-elle s’exprimer et se découvrir dans un tel contexte et sous un tel titre ? La force de l’art, c’est le jeu de la dissonance et la rencontre de l’autre. Le travail du grand écart rassemble des éléments disparates pour les remodeler dans une nouvelle époque, un nouvel essor.
Far West One est la rencontre de cinq peintres : Pascal Pinaud, enseignant à la villa d’Arson, Craig Fisher, New-Yorkais au français impeccable, Regine Kolle, Allemande en résidence sur Paris, Pierre Moignard, dont le travail tisse des liens avec Los Angeles, et Philippe Segond. La peinture entre la France et les Etats unis, c’est une longue histoire : les plus belles toiles de Poussin et Chardin se trouvent au Cleveland et Washington Museum, Le fifre de Manet au Metropolitan, les premiers tableaux de Picasso achetés au Bateau-Lavoir par un collectionneur américain et Edward Hopper perfectionnant sa technique sur les bords de la Seine. Dire que la peinture américaine prend son essor et sa culture (sa nature) en France est un mythe crédible. D’un mythe à l’autre, tout un territoire, une imagerie, une fiction et une poésie possible.
Que vient faire Marseille dans cette histoire ? La galerie Dukan & Hourdequin est un espace ouvert sur la rue d’Aubagne. Vouloir exposer de l’art contemporain dans ce quartier est un pari risqué. On connaît le Daki ling, l’association Mille pattes et Art tribal pour leur travail d’insertion à travers des arts multiples : l’acrobatie, le théâtre, les performances sonores et les expositions d’artistes locaux. Chez Dukan & Hourdequin, il s’agit d’une entreprise privée où le collectionneur (l’acheteur) peut trouver et construire un réseau qui sort de Marseille et trace des ponts sur le monde et les foires. La peinture est iconoclaste, elle se regarde seule, sur le mur puis chez soi, le jeu de la couleur et de la tache crée un corps à corps ; il existe un phénomène de vibration, d’hypnose, une habilité des sens. Au regard de l’agitation du quartier, pénétrer dans ce lieu est un phénomène d’immersion, une visite monacale, une étrangeté dans le parcours. Far West One est d’une certaine manière, la conquête d’un territoire dans le formidable chaos du quartier Noailles. On est saisi par des murs au bleu ardent, on avance, on s’égare, on se retourne, le théâtre du pigment sur la surface fabrique des alcôves dans l’intensité du mur. Ici, on est loin de la notion de générosité et plus proche de l’effet de préciosité et de rareté. Il existe un art élitiste qui s’assume tel quel. Il existe des lieux ouverts à tous, mais où ceux qui rentrent se reconnaissent dans cet univers.
Arrêtons-nous sur le travail de Pascal Pinaud. Deux peintures laquées sur aluminium où la trace du pinceau est absente. La première joue le jeu de support surface : des taches brunes dessinées par un pistolet à air comprimé invitent le regard dans le motif répétitif d’une fleur (une rose ?). Chaque tache est à la fois unique et identique dans son apparence. Derrière le lissé parfait et le vernis invisible, il y a l’originalité et la pertinence de la fabrication. Pascal Pinaud travaille dans un garage, un lieu en activité, une petite entreprise où l’espace est organisé, le geste calculé. On ne prend pas sa place dans un garage avec un simple sourire. Il faut gagner la confiance des autres, valider son travail par une réflexion crédible et produire sa peinture avec les outils du carrossier. La peinture de Pascal Pinaud est une réflexion sur le passage du temps, les modes de production, sur l’annulation du talent par le simple don du dessin. L’atelier s’inscrit dans l’organisation d’une PME, il sort l’artiste de son isolement et l’expose au regard de la critique. Travailler chez un carrossier, c’est créer un aller-retour sur des astuces de fabrication et des rapports dans le dialogue. Far West One est une expression en soi. Un terme inventé qui prend son contenu dans l’utilisation anachronique d’un territoire, d’un mode de production et dont la finalité est une réflexion sur l’avenir et le devenir, les croisements et l’enrichissement.

Karim Grandi-Baupain

Jusqu’au 30/06 à la galerie Dukan & Hourdequin (83 rue d’Aubagne 1er).
Rens. 04 91 33 65 80 / wwww.dukanhourdequin.com