La grande évasion

La grande évasion

A Aubagne, le festival Danse en mai/ Dedans-dehors proposait dix jours en couleurs et en mouvements où la liberté des corps était à l’honneur…

A Aubagne, le festival Danse en mai/ Dedans-dehors proposait dix jours en couleurs et en mouvements où la liberté des corps était à l’honneur.

Cette année, un peu moins de dix compagnies ont envahi la ville des santons pour proposer un bouquet tout frais de créations locales ou plus lointaines.
Dehors, l’édition s’ouvrait sur un immense pique-nique au centre de la cité, animé par Artonik, une compagnie questionnant notre rapport au temps libre et à l’utilisation de l’espace public. Sur fond d’extraits radiophoniques des années 1950 à 1970, plusieurs personnages nous ont fait revivre les grands moments de cette période de mutation de la société : départs en vacances, bains de soleil… Ou comment la civilisation des loisirs est née. Autour de ce thème, la compagnie aubagnaise Boutabou nous a plongés dans l’univers populaire du camping avec une chorégraphie fraîche et légère. Toujours en plein air, sur le bitume, la compagnie Las 24 a mêlé flamenco et danse contemporaine évoquant le couple « 24h sur 24 » et le partage de l’espace.
Dedans, le théâtre Comoedia offrait son plateau à la danse contemporaine « amateur » d’Aubagne. Lycée, conservatoire et écoles de danse ont présenté un travail de grande qualité, prouvant la vitalité de l’enseignement artistique à l’école et ailleurs. Le temps fort du festival fut la présentation de May B, œuvre majeure et rare de la chorégraphe Maguy Marin. Cette pièce culte, créée en 1981, se base sur l’œuvre de Samuel Beckett : « Ce travail sur Beckett, dont la gestuelle et l’atmosphère théâtrales sont en contradiction avec la performance physique et esthétique du danseur, a été pour nous la base d’un déchiffrage secret de nos gestes les plus intimes, les plus cachés, les plus ignorés. Quand les personnages de Beckett n’aspirent qu’à l’immobilité, ils ne peuvent s’empêcher de bouger, peu ou beaucoup, mais ils bougent », explique la chorégraphe. Les danseurs constituent sur scène un amalgame des personnages de Beckett, avec des visages recouverts d’une couche de craie grise qui s’envole lorsqu’ils bougent. Ils cheminent à l’unisson, solitaires et isolés, avec des gestes remarquablement précis, lents ou saccadés, vers la découverte de soi. May B signifie « probablement », « sans doute », « peut-être » (c’est aussi May Beckett, la mère de Samuel). Ou comment utiliser l’hésitation comme un nouveau mode expressif, un nouvel outil de travail pour montrer la peur, l’hostilité, la tendresse, le côté cru et grotesque de tout être humain comme sa part de poésie et d’immense beauté. Après plus de vingt-cinq ans de représentation, May B touche encore au plus profond, au plus sensible, là où l’humain n’existe que par le mouvement. Bref, un festival qui met en avant le langage profond de corps libres, et cela dans notre société du culte de l’apparence et de la parole bien souvent creuse et hypercontrôlée…

Texte : Eva D
Photo : Olivier Ryckebusch

Le festival Danse en mai/Dedans-dehors s’est tenu du 3 au 12 mai à Aubagne