Jérémie Setton – Boxroom à la galerie Complex

Jérémie Setton – Boxroom à la galerie Complex

On y voit double

La galerie Complex, qui réunit une agence d’architecture, un lieu d’art contemporain et de stylisme, met au défi les artistes d’investir un cube de deux mètres de côté, afin de créer un réseau européen de boîtes dont les plus réussies seront exposées pour Marseille 2013. Défi doublement réussi par Jérémie Setton et sa Boxroom (1).

Une fois le rideau levé, nous voici pris au piège dans la boîte en présence de multiples objets disposés au sol ou sur des étagères en verre, un peu à l’image d’un cabinet de curiosités ou… d’une scène de crime. Seuls témoins, Les époux Arnolfini de Jan Van Eyck (1434) sont figés dans une reproduction réalisée par l’artiste à l’aide de l’un de ces « tableaux magiques » de notre enfance. Très vite, le spectateur pressent qu’il n’est pas simplement dans une boîte au milieu d’objets inanimés et qu’il va lui falloir se faire acteur, œuvrer entre drame et jeu. Laissez-moi vous donner un indice en vous comptant une légende de Pline l’ancien : il y avait à Corinthe une jeune fille dont le père, nommé Butadès, était potier. La belle enfant se trouva abandonnée par l’homme qu’elle aimait. Il devait partir pour l’étranger. Dans son désespoir, la fille de Butadès eut l’idée d’éclairer avec sa lanterne le visage qu’elle ne reverrait sans doute jamais plus. Le profil se dessina alors sur le mur de la maison et elle entoura d’une ligne l’ombre projetée. Emu par ce geste, Butadès appliqua un peu de son argile sur les contours de l’esquisse murale. Il en réalisa un moule et, après l’avoir fait sécher, le mit à durcir au feu avec le reste de ses poteries. Si bien que lorsque le jeune homme s’éloigna, ce portrait en argile fut tout ce que l’amoureuse garda de lui. L’ombre d’une ombre. Ce « mythe des origines » de la pratique artistique met en exergue comment l’art peut conjurer l’absence, ou le risque de l’oubli. Quel rapport me direz-vous entre cette légende et une boxroom ? A l’instar du couple Arnolfini, nous nous retrouvons pris au piège dans une scène d’intérieur, au milieu de ces objets, entre ces murs peints, immergés dans l’espace pictural comme pour mieux en découvrir les fondements. En somme, c’est une leçon de peinture que nous offre Jérémie Setton, nous rappelant une vérité trop souvent oubliée : le regard n’est pas une lecture de l’état de fait, mais une collection et une construction de sensations. C’est à ce jeu que devra se livrer le spectateur, se souvenant de la leçon de Novalis — « La perceptibilité est attention » — qui implique un acte d’attention au sens étymologique du terme : l’attention comme attente, attente muette. Ainsi, celui qui ne saura pas regarder ces objets et jouer avec passera simplement à côté du travail. Or, ici, il s’agit de voir double. Vous en dire davantage reviendrait sans doute à vous donner la clef de l’énigme et prendre le risque que l’artiste me mette dans une boîte où peu de personnes pourront me rendre visite. Je me limiterai à un dernier indice : « …D’une part le dehors, de l’autre le dedans, ça peut être mince comme une lame, je ne suis ni d’un côté ni de l’autre, je suis au milieu je suis la cloison, j’ai deux faces et pas d’épaisseur c’est peut être ça que je sens, je me sens qui vibre, je suis le tympan, d’un côté c’est le crâne, de l’autre c’est le monde, je ne suis ni de l’un ni de l’autre… » (Samuel Beckett, L’innommable, éd. de Minuit)

Nathalie Boisson

Jérémie Setton – Boxroom : jusqu’au 26/07 à la galerie Complex (3 rue Pastoret, 6e).
Rens. 09 54 92 23 21 / www.complexmarseille.fr

Notes
  1. Débarras, petite chambre, cagibi[]