Il faut savoir raison garder

Il faut savoir raison garder

Au fur et à mesure qu’augmentent les connaissances, les richesses et les échanges mondiaux, on peut voir régresser, depuis 2001 à vue d’œil, la qualité de ce que l’on appelait le débat intellectuel. Avec l’impact grandissant de médias contrôlés par des groupes d’intérêts économiques, les symptômes d’un grand « n’importe quoi » imminent se font réguliers, presque quotidiens… (lire la suite)


Au fur et à mesure qu’augmentent les connaissances, les richesses et les échanges mondiaux, on peut voir régresser, depuis 2001 à vue d’œil, la qualité de ce que l’on appelait le débat intellectuel. Avec l’impact grandissant de médias contrôlés par des groupes d’intérêts économiques, les symptômes d’un grand « n’importe quoi » imminent se font réguliers, presque quotidiens. Nul ne semble plus s’en offusquer. A présent que tout un chacun a accepté la consommation obligatoire comme anxiolytique citoyen, l’exemple le plus symbolique de cette régression infernale est sans aucun doute le grand thème du racisme. La politique en général, elle, a quitté depuis longtemps le terrain de la réflexion pour ne devenir qu’un chapelet de brèves de comptoir, nourries de « on dit », d’anecdotes médiatiques et surtout de pensées- minute. Lequel d’entre nous a seulement lu les programmes mis dans nos boîtes aux lettres avant les élections ? Pas besoin, on sait grâce à nos conversations amicales que « Chevènement et Sarko, c’est des fachos », que « Hollande, il est pas cool… ». Pour revenir au sujet brûlant du racisme, les derniers remparts de l’intelligence sont en trains de tomber. Le sujet subit l’utilisation abusive de la figure de la victime dont l’efficacité en audimat n’a d’égal que sa capacité à passionner les esprits — et les communautés. Ainsi, en mélangeant pêle-mêle les références aux grands fantômes de l’histoire — esclavage, Shoah, colonie, fascisme, goulag, laïcité — et l’évocation sensationnaliste des faits divers que nous connaissons actuellement, nous nous acheminons vers une impasse dramatique : le racisme réel. Illustration : les « vraies » études récentes montrent que les actes et les a priori racistes ont diminué considérablement depuis 1960, alors que depuis un an, la population se reconnaissant comme raciste a augmenté de 30 % ! La presse, qui a perdu toute capacité d’explication, joue invariablement le jeu du Choc des civilisations[1] dont les défenseurs, devant les conséquences déjà visibles, ne pourront que commenter d’un « Nous l’avions bien dit ! ». En d’autre temps, les intellectuels auraient maintenu le cap vers la raison. Remplacés par des représentants partisans (Ramadan, Finkelkraut, BHL), ils n’ont pour action que de théoriser la tension en la rendant légitime. Dans un monde où les inégalités augmentent jusqu’à un point aussi critique, les événements suivent leur logique. Les émeutes apolitiques de cet automne, l’immigration massive et les prises d’otage contre rançon[2] sont des évènements qui vont se multiplier obligatoirement. En apportant une émotion démesurée sur les victimes que l’on transforme en martyrs d’une discrimination grandissante, en séparant racisme et anti-sémitisme et en offrant à ces faits-divers une couverture médiatique démesurément inégale selon la confession ou la couleur des victimes, en pratiquant un libéralisme offensif mêlé de protectionnisme (surtout à l’encontre des pays miséreux), on ne fera qu’augmenter l’aigreur et la colère d’individus qui ne vont pas subir en silence. Ne pas sanctionner Sarkozy quand il veut « nettoyer au Kärcher » une population que l’on devine musulmane implique que l’on ne s’indigne pas démesurément quand le brillant laïc Dieudonné est maladroit. Quoi qu’en disent les groupes de pressions. De la même façon, n’associer le voile qu’à un prosélytisme intégriste engendre la frustration d’une population à qui l’on n’avait jamais dit qu’intégrer, c’était vivre à l’identique. A juste titre. Face à ce robinet permanent d’idées simplifiées, il ne nous reste plus, dans un premier temps, qu’à le fermer. Et/ou à accepter l’idée que le pire reste à venir.

Texte : Emmanuel Germond
Photo : Karim Grandi-Baupain

Notes

[1] Théorie de Samuel Huntington utilisée par l’administration Bush pour justifier sa politique sécuritaire.

[2] Exemple : au Brésil, dont la société est séparée en deux classes, les prises d’otages sont quotidiennes.