Films Femmes Méditerranée

Quand le cinéma déploie ses elles

 

La seizième édition des rencontres Films Femmes Méditerranée investit sept lieux de la cité phocéenne et cinq salles en région, pour proposer un programme des plus passionnants, consacré aux œuvres de femmes, toujours trop peu représentées dans une industrie à dominante patriarcale. Au menu, films, invitées, rencontres, événements à découvrir sans réserve !

 

 

Si l’une des fonctions du cinéma est d’explorer et donner à voir les représentations du monde — et non pas du réel, c’est la puissance du faux, ces ressorts de l’image en mouvement définis par Deleuze dans L’Image-temps —, il est dans son histoire une double lecture à considérer dans cette historiographie du cinéma, l’une exogène, l’autre endogène. Les récits d’un monde sans cesse en mutation traversent les œuvres cinématographiques dès leurs origines. Mais parallèlement, l’industrie se fait l’exégèse d’un système de domination où s’opposent ces questions de représentation et de structuration. L’un des exemples probants a été révélé au grand public lors de la sortie du documentaire consacré à Alice Guy : un pan essentiel dans l’existence même du cinéma était alors dévoilé, les femmes en avaient été les précurseuses, ayant majoritairement, de chaque bord de l’Atlantique, contribué à faire émerger le cinéma comme art et industrie, jusqu’au jour — essentiellement au moment de la Grande Dépression aux USA — où les hommes ont fait main basse sur ce travail remarquable pour en prendre dorénavant les rênes. Opérant ainsi un double crime : effacer des livres d’histoire ce récit de la naissance du Septième Art, et reléguer dans une portion congrue (scripte, monteuse, maquillage) la place des femmes dans les mécanismes de création. Plus encore, le cinéma, comme système de domination patriarcale au cœur de sa fabrication, s’est rendu, depuis plus de cent-vingt ans, responsable (coupable ?) de construire une représentation féminine binaire — la maman et la putain — dont on mesure encore peu les impacts sur les consciences, et les freins ainsi rencontrés pour toutes formes d’émancipation. Cette évidence reste d’actualité : il suffit pour s’en convaincre de lire les rapports récurrents sur la place des femmes dans la production, la réalisation, les films sélectionnés en festivals — cette année encore, à Cannes, sur vingt-quatre films en compétition officielle, seules quatre cinéastes étaient en lice pour la Palme d’Or.

Chaque pierre qui permettra d’abattre cette intolérable domination se révèle alors essentielle : le festival phocéen Films Femmes Méditerranée en fait ainsi partie. En mettant en lumière de nombreuses femmes cinéastes, actrices, autrices, photographes, outre alimenter notre désir et plaisir cinématographique via des œuvres de toute beauté, les organisatrices contribuent sans nul doute, par ce geste, à construire cette égalité réelle. Pour sa seizième édition, aux cinémas Les Variétés, Le Gyptis, La Baleine, Le Videodrome 2, L’Alhambra, ainsi qu’à L’Institut culturel italien et à la Mairie 1/7, sans omettre cinq salles en région, ce sont près d’une trentaine d’opus, de seize pays, une quinzaine d’invitées et de nombreux événements qui font de cette nouvelle programmation un rendez-vous incontournable.

Parmi les rencontres que propose cette nouvelle édition, citons d’emblée la présence de la réalisatrice Shahrbanoo Sadat pour la projection de son film L’Orphelinat, lors de la belle sélection parallèle Femmes afghanes, au risque de la liberté, où l’on retrouvera également l’excellent opus Au bruit des clochettes de Chabname Zariab, sans omettre les échanges avec la photographe Rada Akbar. Suivront Angeliki Antoniou pour la séance de Green Sea, Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter pour le bouleversant documentaire Ailleurs, partout — une séance construite avec Image de Ville — ou la cinéaste iranienne Firouzeh Khosrovani pour Radiograph of a Family. Autre moment forts de cette programmation, le coup de cœur consacré à la photographe et cinéaste Cecilia Mangini, dont on connaît les collaborations avec Pier Paolo Pasolini, en présence de Paolo Pisanelli. Enfin, d’autres événements remarquables font de cette seizième édition un retour en salles de toute beauté, à l’instar des rencontres avec la réalisatrice Lina Soualem, dont le documentaire intime Leur Algérie nous plonge avec intelligence dans la vie des Algériens en France, avec la cinéaste Kaouther Ben Hania pour L’Homme qui a vendu sa peau, la leçon de cinéma d’Angeliki Antoniou ou les journées professionnelles. C’est non sans plaisir que l’équipe de Films femmes Méditerranée nous offre après une période sanitaire difficile un tel programme dense, pluriel et enthousiasmant.

 

Emmanuel Vigne

 

 

Films Femmes Méditerranée : du 20 au 25/11 à Marseille et en Région Sud-PACA.

Rens. : 04 91 31 87 80 / www.films-femmes-med.org/

Le programme complet du festival Films Femmes Méditerranée ici