Audrey Vernon dans Comment épouser un milliardaire

Festival Voyages en solitaire(s)

Seuls pour tous

 

Troisième édition très engagée du festival Voyages en solitaire(s), consacré aux solos d’acteurs.

 

Initiés par Ivan Romeuf en 2014, ces Voyages en solitaire(s) sont nés de l’envie de donner un coup de projecteur sur une forme théâtrale intime et multiple, souvent présente dans la programmation du Théâtre de Lenche, dont les dimensions du plateau et la qualité du rapport scène/salle conviennent parfaitement à ce type de proposition. Le seul en scène est un geste artistique singulier, un témoignage personnel qui répond à un besoin de dire essentiel, terriblement humain. Le monologue existe pour que l’acteur se confronte seul avec un texte, face à un public ; en cela, c’est un laboratoire et une exploration de l’acteur qui se met à nu pour risquer la vérité de son être. Chacun y retrouve des parcelles de lui-même, le renvoyant à sa propre humanité ; c’est là toute la force de cette forme dramaturgique inépuisable, toujours renouvelée, qui est l’essence même du théâtre. Cette troisième édition est d’une grande qualité, nous proposant six solos aussi différents qu’originaux dans les trois lieux du Théâtre de Lenche. On commence très fort par Comment épouser un milliardaire, l’excellent one woman show économique de la belle Marseillaise Audrey Vernon, à propos de la liste de Forbes qui vient d’être actualisée, mais aussi réflexion sur le rire obligatoire et la dérision généralisée. Cette fiancée candide cachant une alchimiste marxiste au sourire acéré nous fait rire tout en décryptant la mécanique économique de la mondialisation et de l’explosion des inégalités qui rend la destinée humaine débile. Tout ce qu’elle dit, tous les chiffres qu’elle cite sur notre capitalisme finissant au détour d’une vanne, sont vrais, aussi grotesques soient-ils. Authentique militante dont l’engagement ne fait aucun doute (elle a joué ses spectacles dans les usines devant les salariés en grève notamment chez les Fralib, ArcelorMital et Pétroplus), Audrey Vernon est une voix exceptionnelle dans le monde artistique d’aujourd’hui. Il ne faut pas rater son spectacle, qu’elle jouera pour la première fois dans sa ville natale.
Ulysse Bataille, création clownesque de la compagnie des Malapeste, présente elle aussi tous les signes de la militance avec son histoire de clown amoureux se mettant au travail pour les yeux de sa belle. Francis Lebarbier a écrit ce texte dans une période troublée par le Printemps arabe, le mouvement des indignés et la multiplication des suicides au travail : on y entend du Victor Hugo, du Pasternak et du Marx. Il y interroge le travail avec le recul que permet le nez rouge.
La Ronde de nuit, d’après un roman de Patrick Modiano, est le portrait d’un homme qui, se croyant libre, joue un double jeu. Travaillant pour la gestapo française, le protagoniste infiltre la résistance et sombre dans l’abjection : il ne saura être ni un traître, ni un héros, juste un salaud, un bâtard angoissé en quête d’identité dans un monde déserté. La mise en scène fascinante de Jean-François Matignon sert magnifiquement la troublante performance très habitée de l’acteur Thomas Rousselot, fragile enfant perdu sans repère, comme il en est tant aujourd’hui.
Dans Miroir d’Elles, Marie-Laure Favry fait apparaître neuf femmes comme autant de facettes que l’on croise dans un miroir. Chacune est un instantané de vie : drôle, léger, émouvant, tragique, c’est selon. La comédienne passe du cri au murmure pour dire les mots d’auteurs contemporains masculins se confrontant à la question de la féminité et de sa représentation.
Dans ton jardin à toi est une prise de parole, oscillant entre humour grinçant et poésie, où théâtre et imaginaire sont mêlés. L’improvisation de Martine qui « n’a rien à dire », arrivée en retard à l’atelier « Confiance en soi et emploi » va amener un série d’interrogations sur l’aseptisation de notre société qui nous enjoint à entrer dans la norme et rend plus âpre la possibilité de vivre selon son désir intime et sa singularité.
Jeu de délivrance et de renaissance, J’ai tué maman du poète et metteur en scène transylvannien Andràs Visky, décrit les tentatives inlassablement répétées d’une orpheline pour recomposer sa réalité fragmentée. La réappropriation de l’identité passe par le recours au théâtre, qui permet de trouver la force de conserver son essence humaine en rejouant les événements traumatiques du passé pour en faire un présent tangible et se trouver. Bâti dans l’esprit du théâtre pauvre de Grotowski, le spectacle donne corps à la pulsation interne du texte, quasi exclusivement par le jeu, la voix et la présence de la comédienne.

Olivier Puech

 

Voyages en solitaire(s) : du 15/03 au 2/04 au Théâtre de Lenche, à la Friche du Panier et au Mini-Théâtre du Panier (Place de Lenche et Rue de l’Evêché, 2e).
Rens. : 04 91 91 52 22 / www.theatredelenche.info

Le programme complet du festival Voyages en solitaire(s) ici