Festival Jazz sur la Ville 2018
La fleur de jazz
Cent ans de jazz, douze ans de Jazz Sur la Ville. L’évènement automnal serait-il une fontaine de jouvence ? La profusion des propositions et des lieux qui les accueillent donne à voir un jazz buissonnant, débordant le cadre métropolitain sans se défausser de son urbanité originelle.
L’évènement jazzistique automnal se singularise par des résurgences surprenantes. Ainsi de la programmation de l’extraordinaire trio Villéger/Milanta/Bramerie : leur dernier album en hommage à Billy Strayhorn est un précieux recueil de fables composées par le légendaire compagnon de route de Duke Ellington. Et, connaissant l’appétence de ce trio pour varier les plaisirs de l’improvisation, on se doute qu’ils ne livreront pas tout à fait le même set à l’Hôtel C2 et à l’Osons Jazz Club (une grange à l’acoustique impeccable, gérée par des passionnés en Haute-Provence). Sachant que pour André Villéger, le jazz c’est « comme une fondue de poireaux », on se délecte d’avance. D’un compositeur de légende à l’autre : des hommages à Léonard Bernstein par des musiciens classiques à la sauce « Broadway », rappelant ce que le jazz doit à la comédie musicale (en gros, une bonne partie de son répertoire originel). De même y aura-t-il des hommages à Lalo Schifrin : le créateur du thème de Mission Impossible, grand jazzman parmi les grands, se verra honoré tant à la mandoline (à l’Alcazar) que par un orchestre plus qu’étoffé — le Cri du Port recevant l’orchestre du pianiste Jean-Michel Bernard, dont l’hommage au chef hollywoodien d’origine argentine a été salué par la critique internationale, avec rien de moins que le légendaire Gascon Pierre Boussaguet à la contrebasse.
Bien sûr, les notes bleues buissonneront dans leurs antres habituels. Le susnommé Cri du Port recevra par exemple le trio de Thomas Bramerie : le sémillant contrebassiste toulonnais de classe internationale et néanmoins d’origine périgourdine sort enfin un album à son nom, avec LE pianiste qui monte sur la place de Paris, Carl-Henri Morrisset. Bramerie sortant enfin de son statut de « sideman », la livraison live de son album Side Stories devrait laisser le public espanté. C’est une évidence de retrouver l’association Charlie Jazz dans l’évènement : tant qu’à buissonner, autant que le jazz le fasse sous les platanes de Fontblanche, fussent-ils sans feuilles et fût-ce en salle. En l’occurrence, du jazz venu de Finlande (Aki Rissanen Trio), histoire de se réchauffer un chouïa. L’AJMI d’Avignon sera de la partie avec le bien nommé groupe Novembre, emmené par les redoutables improvisateurs que sont Antony Ti-Hoang et Thibault Cellier (membre par ailleurs des doux dingues de Papanosh). Du jazz actuel également au Petit Duc à Aix avec le trio de la fantasque batteuse Anne Pacéo, ou encore avec Pierre de Bethmann, somptueux pianiste qui, avec Sylvain Romano à la contrebasse et Tony Rabeson à la batterie, décloisonne les genres musicaux dans une joyeuse sarabande.
Sans oublier le projet joyeusement iconoclaste des Hard Dixie Four de Jean-François Bonnel : le camarade mestre aixois et ses acolytes proposent une relecture des morceaux les plus emblématiques du jazz moderne (Ornette Coleman, Wayne Shorter…) avec une instrumentation New Orleans — la musicalité du jeu de tuba d’Élise Stut conférant à l’ensemble la force de la féminité d’une musique trop souvent masculine, voire « masculiniste ».
Le buisson jazzistique d’automne a besoin d’éléments nutritifs, qu’il va puiser notamment dans les viviers éducatifs que sont l’IMFP (à noter la présence de l’excellent bopper Gaël Horellou), la Cité de la Musique (où le terrible jeune saxophoniste Maxime Atger invite son « grand frère » Raphaël Imbert). Saluons également la programmation par la Mesón à l’auditorium de Cabriès d’un ciné-concert à destination du jeune public (mais pas que !) autour du film Le Petit Fugitif : le pianiste « machiniste » Nicolas Cante s’y livrera à quelque expérimentation musicale dont il a le secret. La veine éducative ne sera pas en reste avec le nouveau projet poético-didactique de la puissante pianiste Perrine Mansuy : la redoutable improvisatrice nous livrera quelques secrets de son art, a priori sans rien céder à la sensuelle magie du jazz.
Et puisqu’il s’agit de nourrir une musique de danse, quoi de mieux que d’aller s’essayer au lindy hop avec les Shoeshiners d’Alice Martinez à la Bibliothèque du Merlan ou de se trémousser sur les rythmes caribéens d’Antony Joseph, dont les paroles savent aussi faire bouléguer les neurones (au Cabaret Aléatoire). Tant qu’à buissonner, autant laisser le jazz pousser hors des sentiers battus avec les maîtres improvisateurs que sont Claude Tchamitchian et Marc Ducret, ou bien (se ré)jouir à l’Embob’ lors du Coïtus Interruptus des frères Ceccaldi !
Et puisqu’il s’agit d’un festival « sur la ville », l’on se prend à rêver d’une session d’improvisation collective sur la Plaine : à l’heure où le cœur métropolitain est la proie des aménageurs, quelque performance jazzistique en notre agora eût été plus que la bienvenue… Gageons que le souffle du swing saurait abattre la muraille que les édiles y font installer !
Laurent Dussutour
Festival Jazz sur la Ville : du 5/11 au 2/12 à Marseille et en Région Sud-PACA.
Rens. : www.jazzsurlaville.fr
Le programme complet du festival Jazz sur la Ville ici