Edito 290

Edito 290

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la Grèce sans jamais oser le demander (2)

Ma mère, qui n’a jamais eu la langue dans sa poche (ce qui aurait été véritablement problématique pour la bavarde invétérée qu’elle est), ni les yeux en face des trous (mais je vous parlerai de ses problèmes de vue une autre fois), a sommé dernièrement un colporteur — ne pas confondre avec le défunt compositeur Cole Porter — d’aller se faire voir chez les Grecs ! Parce qu’il ne faut pas pousser mémé dans les orties, parce qu’on peut porter des Tchin-Tchin© sur le nez et ne plus vouloir trinquer, la femme qui ne tournait jamais sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler (d’où l’absence de ladite poche) s’est permis d’éconduire l’imprudent commercial venu lui proposer de changer d’abonnement téléphonique, voire plus si affinités. Aussi désuète et cocasse soit-elle, cette injonction, en forme d’invitation au voyage hellénique et révélatrice du tempérament bien méditerranéen de ma génitrice, nous rappelle certes aux bons souvenirs de Demis Roussos et Georges Papandréou, mais nous ramène surtout cinq siècles en arrière. En effet, à la fin du XVIe siècle, alors qu’il n’existe pas vraiment d’expression consacrée pour signifier à autrui qu’on ne veut pas de son abonnement téléphonique, hormis la définitive « Va au diable », un intellectuel français, en pleine digestion de la Grèce Antique, traite un ami de pédéraste et l’engage par là même à aller se faire voir chez les Grecs. Pas peu fier de son effet d’annonce, l’insulteur explique à l’insulté courroucé qu’il n’est pas atteint d’une maladie incurable, mais qu’il est bon pour une punition sodomite. Aïe. Et oui, si la pédérastie évoquait du côté d’Athènes, cinq siècles avant J.-C., une relation « pédagogique » entre un homme mûr et un jeune garçon que la morale ne réprouvait pas encore, elle charrie désormais, travestie par l’évolution sémantique et l’œuvre du temps, son lot de références et d’insinuations homosexuelles… Aujourd’hui, même si le jeune du XXIe siècle préfèrera toujours lâcher un très direct « Va te faire enculer », il n’est donc pas rare, grâce à quelques irréductibles Gaulois, de se faire insulter, encore et toujours, à l’ancienne. Cependant que les pédérastes, autres temps, autres mœurs, n’habitent plus à la Grèce indiquée.

Henri Seard