Edito 159

Edito 159

Il faut bien reconnaître qu’à première vue, l’expression « commerce équitable » peut faire sourire (jaune). Souvent rangé aux côtés de son compagnon de route faussement alter le « développement durable »… (lire la suite)

A sens inique ?

Il faut bien reconnaître qu’à première vue, l’expression « commerce équitable » peut faire sourire (jaune). Souvent rangé aux côtés de son compagnon de route faussement alter le « développement durable »[1], cet oxymore[2] ne manque d’ailleurs pas de détracteurs. Qui lui reprochent de ne pas être si moral qu’il le prétend. Ses accointances avec la grande distribution notamment[3] ne manquent pas de faire grincer des dents, jusque dans les rangs mêmes des associations impliquées dans le commerce équitable[4] ! Autre critique récurrente : ce système contribuerait à réduire la part de l’agriculture vivrière au profit des cultures d’exportation, rendant ainsi dépendantes des achats du Nord des populations qui pourraient développer leur souveraineté alimentaire indépendamment des habitudes de consommation des pays riches. D’autres encore soulignent ses méfaits sur l’environnement — par l’appauvrissement des sols et de l’écosystème qu’induit l’abandon de l’agriculture traditionnelle au profit des seules cultures rentables. Enfin — et c’est certainement là le nœud du problème —, en s’inscrivant dans la mondialisation, le commerce équitable viendrait renforcer le système sous couvert d’une fausse contestation (et d’une bonne conscience), empêchant ainsi toute remise en cause des problèmes à leur racine. Autant d’arguments qui ne manquent pas de jugeote et soulignent la complexité du sujet, au-delà de la représentation simpliste que les médias, peut-être réellement animés par une volonté pédagogique louable, veulent bien en donner. Mais alors que doit décider le citoyen lambda ? N’est-il pas préférable, quitte à accepter l’inacceptable — le monde tel qu’il va (mal) —, de commencer à agir à son échelle, fut-elle minime, plutôt que d’attendre un hypothétique grand soir en sirotant son café même pas labellisé Max Havelaar ? Le mieux n’est-il pas l’ennemi du bien ? D’autant que s’il n’est certes pas si équitable que ça, le principe en question s’avère tout de même moins inique que le négoce traditionnel. Rappelons qu’il permet d’assurer une plus juste rémunération du travail des producteurs de pays en voie de développement tout en garantissant le respect des droits fondamentaux de l’être humain[5]. Soulignons aussi son rôle éducatif, puisqu’il permet de sensibiliser les consommateurs aux difficultés auxquelles sont confrontés les petits producteurs du sud. Enfin, n’oublions pas que si le commerce équitable ne se montre pas toujours sous son meilleur jour (au supermarché, dans le même rayon que l’autre filière bobo-rentable : le bio), il possède un autre visage, plus humain et plus exigeant. Un visage que l’on ne manquera pas de contempler cette semaine, alors que s’achève en grandes pompes (Veja ?) la Quinzaine qui lui est consacrée[6].

Texte : CC
Photo : Karim Grandi-Baupain

Notes

[1] Comment un développement qui induit des sacrifices écologiques monstrueux peut-il être durable ?

[2] Figure de style qui consiste à placer côte à côte deux termes antinomiques. Les littéraires ont tous en tête la fameuse « obscure clarté » de Corneille. Les cyniques pensent quant à eux à la récente « guerre propre », faite à coups de « frappes chirurgicales »…

[3] Tandis qu’Auchan et Carrefour axent une large partie de leur communication sur cet argument, le label Max Havelaar ne cesse de se targuer d’être distribué dans un nombre croissant de grandes surfaces et chez McDo.

[4] Label éthique, petite structure basée dans les quartiers sud de la ville, nous expliquait ainsi en 2004 : « L’une des dimensions du commerce équitable consiste à ré-encadrer le marché dans un contexte de libéralisation des échanges. Ce qui a probablement l’avantage du réalisme, mais risque d’aboutir à une alliance curieuse, notamment entre ONG et grande distribution… »

[5] Interdiction du travail des enfants, santé et sécurité au travail, interdiction du travail forcé (esclavage), non-discrimination entre hommes et femmes, entre personnes de races, de religions différentes, contrôle des heures de travail, liberté syndicale, etc.

[6] Du 12 au 14, Label éthique propose plusieurs manifestations (voir agenda), dont un marché équitable sur le cours Julien (stands de produits et d’infos, dégustations, animations) : voilà qui élimine de facto l’épineux problème de la grande distribution ! Rens. www.labelethique.org