Deschamps © Karin Gousset

Deschamps : troisième album

Un héros très discret

 

Le duo de krautrock marseillais Deschamps sort discrètement son troisième album et sample Adjani, faisant de son Chérie je panique la plus belle surprise de la rentrée. De loin.

 

La scène s’ouvre sur l’actrice qui essaye de se trancher la jugulaire. Son mari la retient. La musique saccade à vous donner le vertige. Impossible de raccrocher.
Alloallo
, c’est le nom du morceau. Le clip est sur Youtube, et l’album sera distribué gratuitement dès la soirée Microphone Recordings (le label), qui inaugurera l’espace Club du nouveau Moulin. « Allo », le sample, est issu D’un taxiphone, extrait de l’album qu’Isabelle (également sur la pochette, tirée du splendide Nosferatu d’Herzog) a co-écrit, au début des années 80, avec Gainsbourg. Rien à voir avec la choucroute ? Pas si sûr. « Je suis un grand amateur de pop, mais mes limites techniques font que cela ne m’influence pas du tout », explique Laurent, désormais unique membre d’un groupe de musique cosmique qui œuvre dans l’obscurité depuis 2006, date de sortie des premiers Mouvements dans l’espace. La suite ? Assurer les premières parties de ses « héros » en tournée dans le coin (Why?, Silver Mount Zion, Do Make Say Think, Spectrum ou Rœdelius…), pas mal de Dj sets, une émission radio bimensuelle sur Radio Grenouille et, surtout, la sortie d’un autre album (Moonfake) et d’un maxi compilant des remixes pour Nation All Dust, Andromakers, Odd Nosdam et Angela Aux.
Loin de s’afficher comme bon nombre de groupes marquetés locaux, « sans attendre le moindre retour lucratif », Deschamps rend discrètement hommage aux maîtres du rock allemand, le fameux krautrock qui a bouleversé l’histoire de la musique du XXe siècle. Et bien plus encore.

Nouveau !
« Le premier groupe qui a ébranlé mes certitudes a été, comme pour beaucoup de monde j’imagine, Sonic Youth. Là, je me suis dit : je suis en face de quelque chose que je ne comprends pas… De manière générale, je suis motivé par les artistes qui parviennent à imposer leur vision envers et contre tout : rien de plus beau que Neu! qui débarque en plein rock progressif, aux pochettes ornées de dragons et d’elfes, pour y opposer leurs morceaux sur deux accords et leur pochette blanche où trône ce simple patronyme souligné comme un cri de guerre. » C’est en explorant la discographie de Stereolab que Laurent s’est plongé dans tout un tas de mouvances, de l’exotica au space rock. Mathieu de Oh! Tiger Mountain (« un ami depuis longtemps, quelqu’un d’incroyablement motivé et talentueux »), à la tête du label dont fait partie Deschamps, dit du duo qu’il fait « de la musique violente avec beaucoup de douceur. » Monté à partir d’anciennes sessions enregistrées avec Alexa (l’ex-second membre) au Farfisa et retravaillées en solo, Chérie je panique dévoile un minimalisme surprenant de justesse. Agréable à l’écoute, il n’en demeure pas moins, et c’est tout à son avantage, versé dans l’acide. Les compositions partent d’une trouvaille, simple en apparence, et l’étirent jusqu’à dévoiler une tout autre facette. « Je ne suis absolument pas musicien. Je serais bien incapable d’aboutir à une idée que j’aurais eue à l’avance. Je pars au contraire de mes limites et je vois ce que je peux faire avec », précise Laurent. Et même si et on y devine un brin d’humour il avoue avoir acheté sa première guitare électrique au lycée, « pour mal jouer du Nirvana, comme à peu près tout le monde à l’époque », il ne s’est à l’inverse pas laissé avoir par une virtuosité inappropriée.
Non, Deschamps fonctionne à l’émotion, secrète mais intime. Sans aucun pathos : le pseudonyme n’est pas sans nous rappeler que le sérieux artistique, celui qui étale sans complexe son ridicule, est proscrit. « Cela vient d’une vieille blague. Je cherchais un jeu de mots pourri pour ma première soirée en tant que Dj, je suis donc devenu Dj Deschamps… »

Perdus dans la ville
La référence à Didier n’est pas si anodine : dur de s’y retrouver, en tant qu’amateurs de rock indépendant, dans la ville que les clichés cantonnent au foot et au pastis. « Je me rappelle les années 90, période où l’on pouvait voir presque chaque semaine les nouvelles sensations du moment ou d’autres artistes plus confirmésIl y a eu une forte régression de ce côté-là depuis les années 2000. Il manque à Marseille l’équivalent des gars du MIDI Festival de Hyères, véritables têtes chercheuses capables de faire jouer Girls avant tout le monde, ou de choper la reformation des Young Marble Giants. En revanche, je nous trouve plutôt bien servis au niveau des musiques expérimentales avec le GRIM, l’AMI ou encore l’Embobineuse, probablement la meilleure salle de concerts marseillaise à l’heure actuelle. » Il est clair que la musique de Deschamps détonne toujours dans le paysage local, mais loin de nous l’idée de l’effet de style. Naturellement, à l’instar du krautrock, elle puise ses racines aussi bien dans les saturations de guitares qu’auprès des précurseurs de l’électronique expérimentale. Ceux qui tranchaient les bandes analogiques depuis plusieurs décennies déjà, comme pour créer la bande-son parfaite de la vie quotidienne des étoiles. L’album se conclut d’ailleurs sur le spatial Pitch, longue agonie qui piétine une dernière fois les frontières temporelles. On est déjà ailleurs.

 Jordan Saïsset

 

Deschamps sera en concert à l’occasion du Bal Psychédélique organisé par Microphone Recordings le 3/10 au Moulin (47 boulevard Perrin, 13e), et en Dj set tous les jeudis au Sunset Café (Aix-en-Pce).

Pour télécharger gratuitement Chérie je panique : http://deschamps.bandcamp.com

Pour le commander « en vrai » par courrier : deschampslalala@hotmail.fr

 

Le Top 10 des albums préférés de Deschamps… commenté par Deschamps.

 

Stereolab – Dots & Loops

Un pur chef-d’œuvre, rêveur, dansant, mélancolique, expérimental…

 

Komeda – Pop pa svenska

Si une seule personne découvre ce fantastique groupe suédois injustement méconnu grâce à ce Top, alors il aura servi à quelque chose ! Une merveille pop kaléidoscopique.

 

Cluster – Zuckerzeit

Il fallait de toute évidence choisir un album de Cluster, va pour celui-ci, indispensable, comme tous les autres. Nous avons eu la chance d’assurer la première partie de Hans-Joachim Rœdelius à Munich. Souvenir inoubliable.

 

NEU ! –  2

Parce que je trouve Für immer, calque de Hallogallo, encore meilleure que l’originale. De par ce qu’ils ont créé, avec leur esthétique, avec leur attitude, ce sont de véritables héros.

 

Einstuerzende Neubauten – Silence is sexy

Un des rares groupes culte à avoir réussi la gageure de tenir la distance tout en se renouvelant complètement, mais en restant aussi bon qu’à ses débuts. Du bruit au silence. Toujours l’une des meilleures formations live à ce jour.

 

Sun Ra – Space is the place

Comme son titre l’indique… C’est en entendant le son des orgues sur ses disques et ceux de Stereolab que j’ai voulu acheter un Farfisa. L’élévation par le chaos.

 

Ash Ra Tempel & Timothy Leary – Seven up

Un des groupes les plus cosmiques du krautrock qui s’associe au théoricien du LSD… Tout commentaire est inutile.

 

 

cLOUDDEAD – s/t

Un disque inouï et fondateur du début des années 2000. Doseone et Why ? rappent des textes surréalistes sur les nappes ambient et les beats asthmatiques de Odd Nosdam. Il y a même un solo d’aspirateur à un moment, et ce n’est pas ridicule. Un summum d’onirisme.

 

Stars of the Lid – And their refinement of the decline

Le silence partout. Et des drones qui viennent le déchirer, calmement, méthodiquement. Du space rock minimaliste qui expédie l’auditeur loin, très loin.

 

Windy & Carl – We will always be

Windy joue de la basse et murmure sur les boucles de guitares noisy mais à la fois douces de Carl. C’est « dronesque », irréel et sublime.