Cycle Shohei Imamura au Variétés

Cycle Shohei Imamura au Variétés

Shohei Imamura est décédé le 30 mai dernier à son domicile de Tokyo. Cette semaine, le cinéma Variétés rend hommage au cinéaste japonais à travers quelques-uns de ces films les plus marquants. Voyage dans une œuvre aux confins de l’absurde et de l’impensable…. (lire la suite)

L’évaporation du monde

Shohei Imamura est décédé le 30 mai dernier à son domicile de Tokyo. Cette semaine, le cinéma Variétés rend hommage au cinéaste japonais à travers quelques-uns de ces films les plus marquants. Voyage dans une œuvre aux confins de l’absurde et de l’impensable.

Le cinéphile collectionneur connaît bien Shohei Imamura : le Japonais fait partie du cercle très fermé des cinéastes ayant obtenu deux Palmes d’Or, au même titre qu’Emir Kusturica ou les frères Dardenne. Malgré ce titre de gloire que beaucoup lui envient, l’homme et son œuvre sont assez peu connus en dehors des spécialistes du cinéma asiatique. Pourtant, c’est peu dire que son travail recèle d’inestimables joyaux, à la fois sombres et absurdes, loin de la réputation d’austérité qui poursuit bon nombre de cinéastes nippons.
Imamura est entré en cinéma dans les années 60, en plein cœur de la Nouvelle Vague japonaise portée par Nagisa Oshima (Furyo, L’Empire des sens) ou Yasuzo Masumura (L’Ange Rouge, Tatouage). Ses films aux titres délicieusement mystérieux (L’Evaporation d’un homme, Histoire du Japon racontée par une hôtesse de bar) mêlent alors allègrement fiction et reportage afin de créer cet incessant trouble formel qui nourrit sa quête de l’humain après le désastre atomique. Il obtient la reconnaissance internationale avec La Ballade de Narayama (Palme d’Or en 1983) avant d’entrer, avec L’Anguille en 1997, au panthéon des cinéastes deux fois récompensés par l’institution cannoise.
Ne nous méprenons pas : Imamura est un auteur facétieux, étrange, dont le cinéma charnel questionne le Japon post-atomique et les mécanismes du désir comme aucun autre. Il suffit de voir un conte ludique comme De l’eau tiède sous un pont rouge ou un drame grotesque comme Pluie Noire pour s’en rendre compte. Le génie et la lucidité de cet homme résident sans doute dans sa façon de ne jamais filmer avec sérieux et d’analyser le monde avec, au fond de l’œil, l’étincelle pétillante d’un vieillard libidineux. Son cinéma est une œuvre de l’après — après le désastre, après la bombe — où il n’est pas rare de voir un champignon exploser dans le coin d’un plan, au détour d’un raccord (Pluie Noire, Dr Akagi). Imamura filme un monde qui résiste à l’assimilation mais qui s’évapore irrémédiablement : le Japon d’avant-guerre et ses traditions séculaires rétrogrades. La grande affaire de son œuvre est d’embaumer définitivement ce pays pour mieux reconquérir l’humanité. Et qu’est-ce alors que l’humain après 1945 ? Le désir, le corps d’une femme qui vous enserre entre ses jambes, l’infini, la consolation. En définitive, le cinéma d’Imamura est comme la femme fontaine dans De l’eau tiède sous un pont rouge : il se cache, se contient avant de jaillir sous nos yeux dans un ultime feu d’artifice hédoniste. Raison de plus pour le partager à deux, au cœur de l’été.

Romain Carlioz