Onefoot + Jeff Mills / Émile Parisien + Gogo Penguin + Cory Henry & The Funk Apostles 

Jazz / Funk

Onefoot
Un trio est né. Dans les effluves des jeux vidéo, de l’amour de la musique classique et de l’excellence du piano jazz, Yessaï a construit  son œuvre. Mais un trio n’est pas seulement un leader si talentueux soit-il, c’est une des formes de base du jazz, dans laquelle chacun a sa place et interagit avec les autres. De ce point de vue-là, Onefoot, à l’ossature classique piano basse batterie, propose une évolution 2.0 du rapport de chacun à l’ensemble et surtout une approche contemporaine du jazz dans un registre de la techno et de la pop. Les trois marseillais gravissent allègrement les allées du festival Marseille Jazz des cinq continents, depuis le Conservatoire, en passant par le Rezzo Focal, le Mucem pour arriver sur la grande scène avec leur premier opus en poche. C’est le début d’une belle histoire.

Yessaï Karapetian : piano, clavier
Marc Karapetian : bass
Mathieu Font : batterie

Jeff Mills / Émile Parisien
2016, le mythique DJ Jeff Mills, pionnier de la musique électronique, rencontre le saxophoniste soprano Émile Parisien, fer de lance du renouveau du jazz français pour le premier épisode de « Variations ». La variation est un genre codifié. Il s’agit de proposer une œuvre différente à partir d’une œuvre préexistante et d’un commun amour, les deux artistes ont choisi la musique de John Coltrane pour construire le temps d’un plateau partagé, une pièce totalement surprenante. Le résultat est si convaincant qu’ils décident de se retrouver sur d’autres scènes et de se replonger, avec leur créativité et leur style si reconnaissable dans l’immensité de l’œuvre du grand explorateur du jazz qu’était Coltrane.

Émile Parisien :  sax
Jeff Mills : dj

Gogo Penguin
Reconnaissable pour ses mélodies hypnotiques, sa déferlante rythmique et ses lignes de basse viscérales, le trio de Manchester GoGo Penguin investit la nouvelle scène jazz. Le groupe vient de sortir son nouvel album chez Blue Note : A Humdrum Star. Un album à l’ambiance mélangeant électronique et acoustique qui fait voyager à travers le jazz, le rock et la musique minimaliste. Ce nouvel album pousse encore plus loin la musique du trio jusqu’à des horizons inattendus ! Pour les trois musiciens la vraie question n’est pas le jazz, c’est l’affirmation d’une démarche au cœur du jazz qui dialogue avec la musique répétitive, la techno et aussi d’un langage de la jeunesse.

Chris Illingworth : piano
Rob Turner : batterie
Nick Blacka : contrebasse

Cory Henry & The Funk Apostles 
Depuis qu’il a émergé du collectif des Snarky Puppy, l’organiste génial, doublement récompensé aux Grammys Award, dirige un ensemble terriblement efficace, The Funk Apostles. Originaire de Brooklyn, Cory Henry qui a fait ses premiers pas, tout petit sur les planches de l’Apollo Théâtre à Harlem se consacre à faire vivre une musique urbaine, véritable alliage novateur du gospel et du funk. Il incarne même une vision de la musique au-delà de ses compositions vers une modernité de toutes ces influences. Et l’instrument lui aussi est complètement au service de cette nouvelle génération. L’orgue hammond a une histoire, il a ses maîtres et ses références, Cory n’oublie rien, ne rabaisse rien, ne critique rien, il s’empare de cette mémoire et la plonge dans une virtuosité et une poésie qui dessinent le monde.

Cory Henry : chant, orgue, claviers
Nick Simrad : claviers
Adam Agati : guitare
Sharay Reed : basse
Brenton Taron Locket : batterie
Denise Stoudmire et Tiffany Stevenson : chant

Palais Longchamp
Le vendredi 27 juillet 2018 à 20h30
33/38 €
http://www.marseillejazz.com
Boulevard du Jardin zoologique
13004 Marseille

Article paru le mercredi 4 juillet 2018 dans Ventilo n° 413

Les festivals jazz

Swing, sax & sun

 

Sartre disait quelque part que le jazz, c’est comme les bananes, ça se consomme sur place. Mais alors, comment l’attraper, le jazz, tant il y en a à profusion dans notre région provençale ? En irait-il des notes bleues comme des figues (loin d’être moisies ici) ? Petit précis de cueillette éminemment subjectif.

  Il va de soi que les meilleurs fruits seront à déguster au Charlie Jazz Festival. Décidément, la bande vitrollaise sait allécher nos papilles musicales avec jeunes pousses et productions à maturité. Ainsi, pour les premier.e.s, le public aura l’embarras du choix entre les tentations de Pulcinella, dont les vibrations baroques nous font d’avance frémir de plaisir, et les volutes capiteuses du gang british amené par la trompettiste londonienne originaire de Bahrein Yazz Ahmed. Cette dernière s’inscrit peu ou prou dans le sillon tracé par cette nouvelle vague du jazz d’outre-Manche dont Shabaka Hutchkings avait été le hérault dans nos contrées l’été dernier. Un son plus que parfait, des impros qui embaument l’air d’un doux parfum sucré sans ignorer quelques épices de colère décolonisatrice, dans une sorte de maelstrom lorgnant vers le dub… et puis avec un album qui s’appelle La Saboteuse, on l’attend pour une leçon de résistance à l’empire néo-libéral ! Pour autant, les saveurs de la maturité méditerranéenne seront bien là, représentées notamment par la création du trompettiste sarde Paolo Fresu (dont on ne compte plus les engagements progressistes dans l’Italie néo-fasciste) avec l’ensemble vocal corse A Filetta, lors d’une soirée d’ouverture placée sous l’égide de SOS Méditerranée. Sans compter la nouvelle création de Famoudou Don Moyé, vénérable Chicagoan provençal qui fêtera là ses cinquante ans de carrière en Europe, aux côtés de Christophe Le Loil, Simon Sieger et Andrew Sudhibhasilp, régionaux recrutés par ses soins au sein du TarTARtar Brass Embassy. Les effluves éthiopiennes embaumeront la futaie de platanes sous la férule du légendaire vibraphoniste Mulatu Astatké, accompagné des musiciens les plus aguerris à cette musique aux confluents de l’Afrique et de l’Orient que Jim Jarmusch avait sollicités pour la bande-son de son film Broken Flowers. Et Pat Metheny alors ? Quelle est la fontaine de jouvence de ce mythique guitariste ? Si l’on se souvient avec jubilation de sa prestation plus que parfaite au FJ5C il y a quelques années aux côtés de jeunes pousses internationales, l’appétence pour la carte blanche dont il va bénéficier sous les platanes de Fontblanche devrait mettre l’eau à la bouche à plus d’un.e jazzfan. Ajoutez à cela quelques déambulations de fanfarons (Honolulu Brass Band notamment, conduits par l’excellent Fred Burham) en préambule et de succulents mix de Selecter The Punisher en fin de soirée… il sera très difficile de retrouver le goût de ces soirées d’exception. Et pourtant, quelques festivals cousins devraient continuer de faire frémir nos papilles musicales. Ainsi de Jazz à Porquerolles où, relevées des iodes marines, les cueillettes de notes bleues devraient s’avérer d’une onctueuse saveur. Dans l’île varoise, le mélange des univers et des générations va générer des odes sucrées-salées aux relents légendaires, comme en témoigne la venue de l’émouvant géant du jazz Aldo Romano, ou la prestation du vénérable « blues boy » et néanmoins militant de l’émancipation des peuples Archie Shepp aux côtés du jeune pianiste qui monte Carl Henri Morrisset, voire le duo Vincent Peirani (le géant accordéoniste dont la morphologie devrait lui mériter ici le surnom de « despeicho figuo ») avec le guitariste brésilien Yamandu Costa. Prévoir également une livraison de fruits tropicaux avec le trio de Harold Lopez-Nussa, suavissime pianiste cubain dont le sens de la clave n’obère en rien celui du swing, et inversement. Sans négliger les effluves proche-orientales de Yonathan Avishai, ou bien les raisins de la colère post-apartheid des Sud-Africains de BCUC. Quant à la cueillette en Avignon, l’AJMI — « Le meilleur moyen d’écouter du jazz, c’est d’en voir », proclame leur slogan —, loin d’avoir perdu la tête (nouvelle direction, fin du festival Têtes de Jazz), propose un Jazz Focus à la modestie assumée. De fait, plutôt que de courir après les chimères de l’usine à spectacles vauclusienne, l’association donne dans le circuit court, avec notamment le trio exceptionnel de la trop rare saxophoniste Véronique Mula, qui viendra défendre son album Migrante (on ne défendra jamais assez les migrantes). La région n’en reste pas moins marquée par l’expansion du Festival Jazz des Cinq Continents, devenu un véritable rhizome, dont les pousses émergent au-delà des limites de la métropole marseillaise et de l’été. L’avant-programme itinérant alignera la crème des cats du coin (on pourra retrouver le batteur Cédrick Bec au sein de plusieurs formations), sans négliger quelques jeunes pousses d’excellence comme le pianiste Enzo Carniel, promis aux meilleurs auspices, le saxophoniste post-bop Gaël Horellou, ou l’organiste absolument barré Laurent Coulondre. Quant au cœur du FJ5C, il croîtra plus que jamais en ville, de la prestation attendue de Thomas de Pourquery avec moulon d’invités professionnels et amateurs sur le parvis du Stade Vélodrome, en passant par la terrasse du Fort Saint-Jean au Mucem (signalons notamment le retour de l’extraordinaire trompettiste Avishai Cohen ou encore de Sylvain Rifflet avec son sublime hommage à Stan Getz), sans oublier évidemment les jardins du Palais Longchamp — puissent les vibrations de la contrebasse d’Henri Texier ou les mélismes de la trompette de Roy Hargrove (avec son fabuleux quintette bop) donner aux superbes essences végétales du lieu quelques ondes du bonheur que le public ne manquera pas d’éprouver. Notre Raphaël Imbert offrira des instants d’éternité coltranienne avec un hommage à l’album légendaire A Love Supreme qu’il devrait même présenter dans le cadre du dispositif associé au FJ5C, Alcajazz, cycle d’éducation populaire porté par les bibliothécaires et l’équipe du festival. Sans compter l’exposition Jazz & Love, dont la qualité émotionnelle devrait réchauffer les vieilles pierres de la Vieille Charité. L’on pourra cueillir quelques fruits savoureux dans le Var aussi. Jazz à Toulon aligne notamment le crooner lunaire Hugh Coltman dont le poignant projet Who’s Happy réenchante l’héritage de La Nouvelle-Orléans sans caricature aucune, sans oublier quelques piliers des scènes locales, en particulier le contrebassiste Jean-Marie Carniel, à la tête d’un trio des plus suaves (encore Cédrick Bec à la batterie !). La Londe Les Maures pourvoira des délices également, proposant entre autres l’usine à jazz des frères Moutin (les jumeaux contrebassiste et batteur formant une « paire rythmique » plus que riche en sensations), ainsi que l’égérie des jeunes pousses du swing, Alice Martinez, qui, avec ses Shoeshiners, devrait attirer les assoiffés de lindy-hop de la région. Car oui, le jazz, ça se danse aussi !  

Laurent Dussutour