Cinéma surréaliste #1

Avec Un chien andalou de Luis Buñuel et Salvador Dali (1929), Meshes of the Afternoon de Maya Deren (1943) et The Cage de Sidney Peterson (1947)

L’automatisme psychique et la sollicitation de l’inconscient

Relatant les séances de travail de rédaction des Champs magnétiques avec Philippe Soupault, André Breton décrit le phénomène en évoquant l’abandon de la conscience aux portes du sommeil : "Mon attention s’était fixée sur les phrases plus ou moins partielles qui, en pleine solitude, à l’approche du sommeil, deviennent perceptibles pour l’esprit sans qu’il soit possible de leur découvrir une détermination préalable. Ces phrases remarquablement imagées et d’une syntaxe parfaitement correcte, m’étaient apparues comme des éléments poétiques de premier ordre."

Le rêve

Et du côté du cinéma, les surréalistes vont modeler la structure des films sur celle des rêves, selon cette affirmation : "Il n’y a pas de frontière entre le sommeil et l’état de veille."

L’un des grands thèmes du cinéma surréaliste se trouve désigné là : le rêve et sa similitude de structure, sous certaines conditions, avec la pensée éveillée. Surgissement de l’irrationnel, de l’apparent non sens, de l’absurde et l’adéquation parfaite, selon Jean Tedesco, de la machine cinéma à la "machine psychique" : "Il semble que les images mouvantes aient été spécialement inventées pour nous permettre de visualiser nos rêves." Selon Jacques Brunius, les conditions de vision d’un film sont particulièrement adéquates : "La nuit de la salle équivaut pour la rétine à l’occlusion des paupières et, pour la pensée, à la nuit de l’inconscient — la foule qui vous entoure et vous isole, la musique délicieusement idiote, la raideur du cou nécessaire à l’orientation du regard, provoquent un état très voisin du demi-sommeil — au mur s’inscrivent des lettres blanches sur fond noirdont le caractère hypnagogique est évident. Au temps du film muet, par suite des distractions de l’opérateur, ces textes apparaissaient parfois à l’envers, ce qui ajoute un appréciable rappel des images eidétiques. Enfin, lorsque s’allume l’éblouissant écran semblable à une fenêtre, la technique même du film évoque plus le rêve que la veille. Les images apparaissent et disparaissent en fondu au noir, s’enchaînent l’une sur l’autre, la vision s’ouvre et se ferme en iris noir, les secrets se révèlent à travers un trou de serrure, une représentation mentale de serrure. La disposition des images de l’écran dans le temps est absolument analogue au rangement que peut opérer la pensée ou le rêve. Ni l’ordre chronologique, ni les valeurs relatives des durées ne sont réels. Contrairement au théâtre, le film, comme la pensée, comme le rêve, choisit des gestes, les éloigne ou les grossit, en élimine d’autres, passe plusieurs heures, plusieurs siècles, plusieurs kilomètres en quelques secondes, accélère, ralentit, s’arrête, retourne en arrière…" (in En marge du cinéma français).

Le même Brunius relève dans le film de Bunuel et Dali Un chien andalou certains processus et contenus du rêve : "On pourrait y reconnaître tous les mécanismes bien connus de condensation et de déplacement. Obsessions, résidus de souvenirs vécus, y étaient dramatisés sous forme irrationnelle, comme ils auraient pu l’être dans le rêve d’un adolescent en proie au tourment amoureux." (id).

Germaine Dulac, dans La Coquille et le Clergyman met en scène la violence des pulsions et son film ressemble à ce cas particulier du rêve qu’est le cauchemar.

Les États-Unis des années 40/50, après la dispersion des artistes dûe à la guerre, prolongent la filiation à travers une cinéaste comme Maya Deren  qui, dans son film Meshes of the Afternoon se réfère explicitement au rêve (on voit le personnage s’endormir) ou Sidney Peterson qui joue plutôt sur le non sens.

Mireille Laplace

Videodrome 2
Le jeudi 4 octobre 2018 à 20h30
5 € (+ adhésion annuelle : 3 €)
https://grainsdelumiere.wordpress.com
49 cours Julien
13006 Marseille
04 91 42 75 41

Article paru le vendredi 21 septembre 2018 dans Ventilo n° 414

Rétrospective « Cinéma Dada et Surréaliste »

À cheval sur l’image

 

Pour cette rentrée sur les chapeaux de roues, l’équipe de Videodrome 2 accueille dans la salle du Cours Julien la programmatrice Mireille Laplace, de Grains de Lumière, pour une magnifique rétrospective du mouvement Dada, à travers une programmation de haut vol au cœur des mouvements avant-gardistes du vingtième siècle.

Une poignée de cinéphiles hors norme ont secoué notre rapport au cinéma au sein de la cité phocéenne depuis des décennies. Défricheurs et passeurs d’exception, ils ont permis, par la myriade de séances qui ont enchanté la ville, et parfois dans une vague indifférence, d’hisser Marseille au premier plan des villes hexagonales où se projetait un autre cinéma, celui-là même qui fit son histoire intrinsèque. Nous pourrions vous dérouler dans ces colonnes un inventaire à la Prévert — et cela nécessiterait en lui-même un vaste article — de ces passionnés habités par le défilement des vingt-quatre images par seconde qui nous font pénétrer, spectateurs, dans une historiographie unique. Nous nous attarderons sur l’exemple de Mireille Laplace qui, depuis de longues années, explore le vaste champ expérimental de l’image en mouvement, ayant permis ainsi d’aiguiser et élargir les regards de toute une génération de cinéphiles, et dont les programmations, construites en partenariat avec d’éminentes structures (du FRAC au Centre Georges Pompidou, en passant par la Fondation Pathé ou Light Cone) sont un exemple de rigueur cinématographique et d’intelligence de l’image. Dont acte avec un nouveau cycle proposé au Videodrome 2, consacré au cinéma Dada et surréaliste. Ce mouvement d’avant-garde majeur du vingtième siècle, né en réaction à la guerre de 14-18, a réuni en son sein les plus grands noms de la création artistique protéiforme, de Man Ray à Marcel Duchamp, en passant par André Breton, René Clair, Hans Richter ou Germaine Dulac. La programmation des seize films présentés est un exercice de haute voltige qu’aucun amoureux du cinéma ne peut négliger ! Aux côtés des chefs-d’œuvre reconnus — L’Âge d’or et Un chien andalou de Luis Buñuel, Le Sang d’un poète de Jean Cocteau, Entr’acte de René Clair ou L’Étoile de mer de Man Ray —, quelques perles rares de Maya Deren, Hans Richter, Marcel Duchamp ou Sidney Peterson hisseront cette programmation dans un hic et nunc artistique dont le spectateur deviendra l’un des éléments des films.  

Emmanuel Vigne

 

Rétrospective « Cinéma Dada et Surréaliste »: du 2 au 7/10 au Vidéodrome 2 (49 cours Julien, 6e).

Rens. : 04 91 42 75 41 / https://grainsdelumiere.wordpress.com