L’automatisme psychique et la sollicitation de l’inconscient
Relatant les séances de travail de rédaction des Champs magnétiques avec Philippe Soupault, André Breton décrit le phénomène en évoquant l’abandon de la conscience aux portes du sommeil : "Mon attention s’était fixée sur les phrases plus ou moins partielles qui, en pleine solitude, à l’approche du sommeil, deviennent perceptibles pour l’esprit sans qu’il soit possible de leur découvrir une détermination préalable. Ces phrases remarquablement imagées et d’une syntaxe parfaitement correcte, m’étaient apparues comme des éléments poétiques de premier ordre."
Le rêve
Et du côté du cinéma, les surréalistes vont modeler la structure des films sur celle des rêves, selon cette affirmation : "Il n’y a pas de frontière entre le sommeil et l’état de veille."
L’un des grands thèmes du cinéma surréaliste se trouve désigné là : le rêve et sa similitude de structure, sous certaines conditions, avec la pensée éveillée. Surgissement de l’irrationnel, de l’apparent non sens, de l’absurde et l’adéquation parfaite, selon Jean Tedesco, de la machine cinéma à la "machine psychique" : "Il semble que les images mouvantes aient été spécialement inventées pour nous permettre de visualiser nos rêves." Selon Jacques Brunius, les conditions de vision d’un film sont particulièrement adéquates : "La nuit de la salle équivaut pour la rétine à l’occlusion des paupières et, pour la pensée, à la nuit de l’inconscient — la foule qui vous entoure et vous isole, la musique délicieusement idiote, la raideur du cou nécessaire à l’orientation du regard, provoquent un état très voisin du demi-sommeil — au mur s’inscrivent des lettres blanches sur fond noir, dont le caractère hypnagogique est évident. Au temps du film muet, par suite des distractions de l’opérateur, ces textes apparaissaient parfois à l’envers, ce qui ajoute un appréciable rappel des images eidétiques. Enfin, lorsque s’allume l’éblouissant écran semblable à une fenêtre, la technique même du film évoque plus le rêve que la veille. Les images apparaissent et disparaissent en fondu au noir, s’enchaînent l’une sur l’autre, la vision s’ouvre et se ferme en iris noir, les secrets se révèlent à travers un trou de serrure, une représentation mentale de serrure. La disposition des images de l’écran dans le temps est absolument analogue au rangement que peut opérer la pensée ou le rêve. Ni l’ordre chronologique, ni les valeurs relatives des durées ne sont réels. Contrairement au théâtre, le film, comme la pensée, comme le rêve, choisit des gestes, les éloigne ou les grossit, en élimine d’autres, passe plusieurs heures, plusieurs siècles, plusieurs kilomètres en quelques secondes, accélère, ralentit, s’arrête, retourne en arrière…" (in En marge du cinéma français).
Le même Brunius relève dans le film de Bunuel et Dali Un chien andalou certains processus et contenus du rêve : "On pourrait y reconnaître tous les mécanismes bien connus de condensation et de déplacement. Obsessions, résidus de souvenirs vécus, y étaient dramatisés sous forme irrationnelle, comme ils auraient pu l’être dans le rêve d’un adolescent en proie au tourment amoureux." (id).
Germaine Dulac, dans La Coquille et le Clergyman met en scène la violence des pulsions et son film ressemble à ce cas particulier du rêve qu’est le cauchemar.
Les États-Unis des années 40/50, après la dispersion des artistes dûe à la guerre, prolongent la filiation à travers une cinéaste comme Maya Deren qui, dans son film Meshes of the Afternoon se réfère explicitement au rêve (on voit le personnage s’endormir) ou Sidney Peterson qui joue plutôt sur le non sens.
Mireille Laplace
Emmanuel Vigne