Cinéma Dada #2

Avec Le Retour à la Raison (1923) & Emak Bakia (1926) de Man Ray et Entr’acte de René Clair sur un scénario de Francis Picabia (1924)

Les cinéastes Dada, délibérément, ont tourné le dos à la narration. Ils préféraient, de loin jouer avec les formes, les mouvements, la lumière : Hans Richter fait tournoyer dans une ronde lente une multitude d’yeux ou voler des chapeaux facétieux comme des oiseaux, Man Ray fait scintiller la lumière à travers une danse de cristaux, onduler des grains de sel et de poivre "comme des flocons de neige" ou mener la sarabande à une cohorte d’épingles, de punaises et de ressorts.

Le cinéma est utilisé comme une machine diabolique qui met l’œil en état d’instabilité, l’embarquant dans une course folle par l’utilisation de l’accéléré combiné à un moyen de locomotion (en voiture dans Emak Bakia par Man Ray ou sur un grand huit dans Entr’acte par René Clair). Ou encore en lui donnant à saisir cette étonnante lenteur du ralenti (Entr’acte) jusqu’à l’hypnose engendrée par les rotoreliefs de Duchamp.

Et c’est bien cela qui fascine les cinéastes Dada : recherche des rythmes et des formes, du hasard constitutif de la structure des films. Man Ray dira « Tous les films que j’ai réalisés ont été autant d’improvisations. »

Si la scission fut violente au sein du groupe Dada parisien, engendrant la mort du mouvement et la naissance du surréalisme, Man Ray a été l’un des rares à amorcer une transition, ne reniant rien de son attachement à Dada et se rapprochant du surréalisme sans y adhérer totalement.

Équilibrisme réussi dans L’Étoile de Mer où le cinéaste procède par association de sonorités et associations d’images : "si belle, Cybèle" , "nous nous sommes à jamais perdus dans le désert de l’éternèbre". Émergence de l’irrationnel onirique avec, pour ponctuer, l’injonction "vous ne rêvez pas", mais aussi du non sens quelque peu provocateur cher à Dada "il faut battre les morts quand ils sont froids" et où le travail de la forme n’est jamais omis (le nu de Kiki) ou plus subtilement quand le texte vient se superposer à l’image (si belle), texte traité lui-même comme une image par la typographie mais, au delà, texte inclus dans l’image en désignant sa surface tandis que le visage de Kiki se trouve rejeté dans l’arrière plan.

Mireille Laplace

Videodrome 2
Le mercredi 3 octobre 2018 à 20h30
5 € (+ adhésion annuelle : 3 €)
https://grainsdelumiere.wordpress.com
49 cours Julien
13006 Marseille
04 91 42 75 41

Article paru le vendredi 21 septembre 2018 dans Ventilo n° 414

Rétrospective « Cinéma Dada et Surréaliste »

À cheval sur l’image

 

Pour cette rentrée sur les chapeaux de roues, l’équipe de Videodrome 2 accueille dans la salle du Cours Julien la programmatrice Mireille Laplace, de Grains de Lumière, pour une magnifique rétrospective du mouvement Dada, à travers une programmation de haut vol au cœur des mouvements avant-gardistes du vingtième siècle.

Une poignée de cinéphiles hors norme ont secoué notre rapport au cinéma au sein de la cité phocéenne depuis des décennies. Défricheurs et passeurs d’exception, ils ont permis, par la myriade de séances qui ont enchanté la ville, et parfois dans une vague indifférence, d’hisser Marseille au premier plan des villes hexagonales où se projetait un autre cinéma, celui-là même qui fit son histoire intrinsèque. Nous pourrions vous dérouler dans ces colonnes un inventaire à la Prévert — et cela nécessiterait en lui-même un vaste article — de ces passionnés habités par le défilement des vingt-quatre images par seconde qui nous font pénétrer, spectateurs, dans une historiographie unique. Nous nous attarderons sur l’exemple de Mireille Laplace qui, depuis de longues années, explore le vaste champ expérimental de l’image en mouvement, ayant permis ainsi d’aiguiser et élargir les regards de toute une génération de cinéphiles, et dont les programmations, construites en partenariat avec d’éminentes structures (du FRAC au Centre Georges Pompidou, en passant par la Fondation Pathé ou Light Cone) sont un exemple de rigueur cinématographique et d’intelligence de l’image. Dont acte avec un nouveau cycle proposé au Videodrome 2, consacré au cinéma Dada et surréaliste. Ce mouvement d’avant-garde majeur du vingtième siècle, né en réaction à la guerre de 14-18, a réuni en son sein les plus grands noms de la création artistique protéiforme, de Man Ray à Marcel Duchamp, en passant par André Breton, René Clair, Hans Richter ou Germaine Dulac. La programmation des seize films présentés est un exercice de haute voltige qu’aucun amoureux du cinéma ne peut négliger ! Aux côtés des chefs-d’œuvre reconnus — L’Âge d’or et Un chien andalou de Luis Buñuel, Le Sang d’un poète de Jean Cocteau, Entr’acte de René Clair ou L’Étoile de mer de Man Ray —, quelques perles rares de Maya Deren, Hans Richter, Marcel Duchamp ou Sidney Peterson hisseront cette programmation dans un hic et nunc artistique dont le spectateur deviendra l’un des éléments des films.  

Emmanuel Vigne

 

Rétrospective « Cinéma Dada et Surréaliste »: du 2 au 7/10 au Vidéodrome 2 (49 cours Julien, 6e).

Rens. : 04 91 42 75 41 / https://grainsdelumiere.wordpress.com