Idéal Corpus © Issam Harris

RIAM 15

Messe pour le temps présent

 

Où situer les Rencontres Internationales des Arts Multimédia sur l’échiquier de la création à Marseille ? Entre pratiques musicales débrydées et art contemporain, à mi-chemin entre les avant-gardes d’hier et d’aujourd’hui ? C’est fort probable…

 

… Mais une fois qu’on a dit ça, on n’a rien dit. Une chose est sûre, nous portons cet événement dans le cœur. De par sa cohérence entre le fond et la forme, d’abord. Car vouloir parler du monde dans lequel nous vivons est une chose. Y parvenir à travers une programmation annuelle en est une autre, d’autant plus quand on connaît les travers du marché de l’art, qu’il soit musical, cinématographique ou plastique, et les distorsions entre stratégies de communication, courbettes aux subventionneurs et contenu.

 

Oublier, jamais

D’autant que si la pop culture (au sens large) semble une forme dominante dans notre société occidentale, il est donc d’autant plus difficile d’en percevoir les attributs et les contours. Non pas pour s’en prémunir et les laisser pour morts, mais pour en percevoir les limites et faire vivre ses esthétiques au quotidien. Dans les franges populaires, où la pop transpire, où elle tire son essence, où elle vit, où elle avance avec son temps. Car si elle est partout et nulle part, elle demeure ce fantasme qui fascine ceux-là mêmes qu’elle effraie, qui ne livre rien de sa substance lorsqu’on la met à nu. L’éternel paradis populaire perdu en somme, un véritable nœud gravé dans nos cœurs jusqu’aux plus grandes saloperies de notre ère. Car s’il est bien quelque chose d’atypique avec la façon dont l’économie perçoit la pop culture, c’est cette propension à ne l’accepter qu’une fois le terrain balisé, cette façon dont il est confortable d’en faire une fable qu’une fois les ceintures attachées.
Des franges de la pop, il en est donc question largement avec les RIAM, de ses simulacres et de ses contradictions aussi. Mais pas seulement, car la petite équipe de Technè joue la carte des interactions et des parcours transgénérationnels. Du post-Internet à la noise en passant par le kuduro, l’électroacoustique et la musique contemporaine, du liquide au granuleux, d’installations en projection, conférences et concerts, il s’agit entre autres de ne plus voir dans les nouvelles technologies une simple recherche de la performance, mais bien des médiums qui, passé l’euphorie de la découverte, laissent entrevoir nos propres obsessions.
Où en sommes-nous avec les musiques électroniques ? Où en sommes-nous avec le concept d’esthétique ? Quelle place occupe Internet dans nos psychés ? Le temps a-t-il une emprise sur la création ? La création est-elle une propriété ? Est-il nécessaire de s’accommoder de la société dans laquelle nous vivons ? Que faire de toutes ces images à portée de clic ? Que savez-vous de la new beat ?

 

L’esthétique déforme

A travers son projet AAT, le musicien Lorenzo Senni « isole les archétypes sonores de la culture rave des années 90 » pour créer des patchworks faits de montées, se jouant ainsi de notre frustration, de notre désir, en prenant le contre-pied sur notre position de consommateur de sensations. Depuis les tréfonds de l’Internet, avec son exposition Variable HDD, Emilie Gervais propose une réflexion autour du « rythme de téléchargement incroyable » que possède l’être humain. Lorsque la guitare préparée de Clara de Asis lui permet une « expérimentation directe du geste et du matériau », ou quand le ciné-concert de Vincent Epplay explore la « mémoire appliquée au monde du sonore ». Sans parler d’Ideal Corpus et ses turbines « tropical-future-bass-ghetto-jersey-footwork-EDM-happy-hardcore-pop »…
Les portes d’entrée sont d’autant plus nombreuses à chaque édition, de la nouvelle vague techno au seapunk en passant par la minimal wave, la musique concrète et le post-humanisme. Les genres et les esthétiques s’entrechoquent ici dans un amas de concepts mortels, mais lancés à l’éternité comme des bouteilles à la mer sur la toile. Le RIAM est donc un festival hybride et défricheur, de taille modeste mais à dimension européenne, « à voir comme un constat sociologique et sociétal », nous précisait en ces pages le directeur de la structure, Philippe Stepzak. « Chaque mouvement s’inspire de l’esprit ambiant d’une époque. » Une époque où la génération des années 80/90 se fait chaque jour un peu plus entendre, notamment en décontextualisant les signes surréalistes et effrayants du capitalisme (ingérés inévitablement depuis l’enfance) pour développer une nouvelle forme de psychédélisme. Post-Internet ? Un travail des plus concrets sur la matière et la texture, suivant finalement la démarche des prédécesseurs acousticiens ou dadaïstes, mais avec des enjeux et des matériaux différents : cinquante ans de TV et vingt ans d’Internet condensés dans une gélule transparente à faire fondre comme du métal sous la langue. Les RIAM s’invitent donc à la table de la création en temps réel, celle qui avance dans le vide pour mieux renverser les codes d’une organisation sociale imposée. Transgenre, on vous dit.

Jordan Saïsset

RIAM 15 : du 1er au 30/10 à Marseille.
Rens. : 09 52 52 12 79 / www.riam.info

La programmation complètes des RIAM 15 ici