ERIC ARNAL BURTSCHY - Deep are the Woods © Bara Srpkova

ActOral #16

Sweet sixteen

 

La nouvelle édition d’Actoral se rêve caractéristique de l’époque quant à la diversité et au décloisonnement des pratiques artistiques. Une pluralité des formes provenant plus de la nécessité des spectacles que de la recherche d’un point de vue politique.

 

Ce qui a interpellé lors de la conférence de presse, c’est l’absence du mot « politique », très utilisé l’an passé, semble-t-il balayé au profit de « singulier » pour parler des presque soixante-dix propositions qui jalonnent le festival. Or, cette singularité ne masque-t-elle pas un déficit du discours, d’une parole critique ? Ne renforce-t-elle pas le brouillage, le manque de visibilité des enjeux et du « scandale » perpétuel du monde contemporain ? De cette machine célibataire dans laquelle nous sommes tous englués comme des automates, auxquels des rôles, des pensées, un langage ont été attribués ?

Cette année, le parrain de l’édition n’est pas un auteur comme c’est souvent le cas, mais un artiste plasticien, Théo Mercier, tout de même très versé dans le spectacle et la performance. Certains sceptiques peuvent se demander ce que cache la grande partouze festive marseillaise avec son contingent de voyeurs décrite dans son édito. Une obsession de la noblesse et une hantise de la pureté ? La revendication cynique d’un entre-soi sectaire et stérile ? On pourrait cependant y lire au contraire un farouche quoique utopique désir de ruer dans les brancards de conventions vindicatives et exclusives. Un idéalisme romantique et irrévérencieux, à l’image d’une génération, certes sacrifiée (mais chaque génération n’éprouve-t-elle pas ce même sentiment ?) et pleine de contradictions, mais aussi neuve et révoltée.

Face à la violence du théâtre des grands titres à la une des médias, que prône le nouvel humanisme d’Hubert Colas ? Une régulation par le sacré de cette société de l’indécence ? Une liturgie léthargique et rituelle, sans foi ? Une néo avant-garde pluridisciplinaire adoubée par l’institution évitant soigneusement de se poser la question de ce favoritisme ? Car on aimerait parfois que l’art nous venge d’un réel déprimant, de l’absence de style dans les productions culturelles, de vies sous pression, moroses et fonctionnelles, bref qu’il sublime plutôt que de se satisfaire d’une pluralité de signes, de bribes. Et pourtant, l’engagement politique en art ne se situe-t-il que dans un propos asséné ? Le renouvellement des formes n’est-il pas déjà en soi un parti pris ? En effet, à l’instar des projets qui constituent le temps fort belge de cette année, les propositions auront à cœur de déstructurer nos perceptions de la création contemporaine afin de les élargir, voire d’en gommer les limites.

Enfin, en dehors de ces considérations liées à sa présentation, ActOral, festival toujours passionnant année après année, saura probablement nous démontrer que ses artistes ont quelque chose de fort, de critique, à opposer à la terminologie des unes de couverture, à l’inanité de l’idéologie contemporaine, et saura également prouver sa nécessité au-delà des frontières délimitant parfois un élitisme autiste et calculateur. ActOral est une table de montage de l’art en mouvement pouvant amener à un vaste questionnement de l’époque, à des rencontres souvent fructueuses en matière d’écriture de plateau, à une multidisciplinarité (autre mot très entendu lors de la conférence de presse) motivante face au déclinisme global. Dans ses meilleures éditions, ActOral nous regarde autant que nous le regardons.

Barbara Chossis et Olivier Puech

 

ActOral : du 27/09 au 15/10 à Marseille.
Rens. : 04 91 37 30 27 / www.actoral.org

Le programme complet du festival ActOral ici

 

LES IMMANQUABLES DU FESTIVAL

 

The Thrill Is Gone de Théo MERCIER

The Thrill is Gone de Théo Mercier (expo + live)

Scindée en deux mouvements, cette proposition du parrain du festival se compose d’une exposition et d’une performance. Dans la première, le plasticien présentera ses dernières créations, puisant leur moelle dans ce qui l’anime particulièrement : le détournement d’objets et l’alliance d’archaïsme et de modernité. Dans ses œuvres, des reliques ancestrales côtoient des artefacts de la culture contemporaine, les signes ainsi juxtaposés invoquant de nouveaux sens. Pour la performance homonyme, l’artiste s’est entouré de quelques partenaires musiciens, figures de proue de la scène électro hexagonale : Flavien Berger, RBK Warrior (aka Julia Lanoë de Sexy Sushi et Mansfield) et Jacques. Variation sonore de l’exposition, le concert promet des frictions étincelantes.

BC

> Exposition du 27/09 au 29/01/2017 au [mac] Marseille (26 avenue d’Haïfa, 8e)
> Live le 29/09 au Cabaret Aléatoire (Friche La Belle de Mai – 41 rue Jobin, 3e)

 

© Robin Junicke

© Robin Junicke

All Ears de Kate McIntosh

A l’ère du numérique et de ses possibilités infinies, un terme vient habiter notre quotidien : la réalité augmentée. Kate McIntosh pose le principe d’un théâtre qui se démultiplie à l’infini. La machinerie ne se cache plus, elle remonte les gradins et le public devient l’animateur de son propre spectacle. Il tire les ficelles des éléments de décor, à la manière d’un jeu sur une tablette. Pourtant, tout est réel et orchestré par l’humain, dans une proximité qui crée de la joie et du lien. Il construit un bateau ivre et déclenche l’hystérie du désordre. All Ears est un théâtre interactif et universel, où le public dévore l’espace et crée l’événement dans une réalité participative.

KGB

> les 29 & 30/09 au Théâtre des Bernardines (17 boulevard Garibaldi, 1er)

 

© Bara Srpkova

© Bara Srpkova

Deep are the Woods d’Eric Arnal Burtschy

Dans cette installation, proposée l’an dernier à ActOral en avant-première, Eric Arnal Burtschy poursuit sa recherche sur le vide et l’immatériel. Les spectateurs sont conviés à pénétrer par petits groupes dans une pièce habitée par un faisceau lumineux dont les rayons en mouvement balaient ainsi l’espace, chatouillent les contours, jouent avec les perceptions et créent une atmosphère intrigante, propice au ralentissement et à une écoute sensorielle affutée. Immergés dans ce continuum troublant, les visiteurs sont libres d’évoluer à leur guise, au rythme de leur curiosité et de leurs impulsions.

BC

> du 29/09 au 2/10 au FRAC PACA (20 boulevard de Dunkerque, 2e)

 

© Misako Shimizu

© Misako Shimizu

Time’s Journey Through a Room par la Cie Chelfitsch

Toshiki Okada est reconnu aujourd’hui comme une figure majeure des arts de la scène au Japon et dans le monde. Explorant l’écart entre la langue parlée et la langue du corps physique, le familier et le décalé, son théâtre est reconnaissable entre tous. Fin observateur de la société, Okada met sur scène les complexités et les doutes d’un Japon hypermoderne post-Fukushima, touchant à des questions aussi universelles qu’intemporelles. Time’s Journey Through a Room est un huis clos sombre où les vivants tentent de défier les fantômes du passé et la menace invisible du présent, dans un paysage sonore composé de field recordings. Liant inextricablement la langue, le son, le corps et l’espace, Okada façonne, comme lui seul sait le faire, un monde totalement singulier.

OP

> les 30/09 & 1/10 au Théâtre Joliette-Minoterie (Place Henri Verneuil, 2e)

 

© Beata Szparagowska

© Beata Szparagowska

What Nature Says de Myriam Van Imschoot

Comment fabriquer un son proche de l’indicible ? Comment superposer et orchestrer, à la manière d’un lavis, les petits arrangements de la nature ? L’homme retourne à la source de l’existence, il transforme l’infiniment petit et lui redonne de l’ampleur dans un chuchotement qui monte crescendo. Le micro, objet central, devient l’acteur majeur de cette métamorphose. Il circule, il passe de main en main, il amplifie les énergies jusqu’à leur paroxysme. Tout se regroupe et tout se disloque. L’animal et l’humain s’entremêlent et nous enivrent jusqu’à l’excès. What Nature Says est la plus simple expression de nos envies.

KGB

> du 30/09 au 2/10 au MuCEM (Esplanade du J4, 2e)

 

© Bart Grietens

© Bart Grietens

Aneckxander par la Cie Circus Next

Le corps dénudé au théâtre est un archétype. Un modèle primitif sur lequel se structurent les fantasmes et les rêves, une réalité sensible qui permet de fixer la totalité des points de vue. Alexander Vantournhout s’expose sur scène sans fard. Il remonte et parcourt une idée du geste dans un corps agile où la roue et le grand écart s’entremêlent, brouillant les frontières entre la danse et le cirque. Le corps devient le pantin de son imagination, entre l’éphèbe et le transgenre. Dans un élan sans fin, la respiration suit la déambulation d’une agilité très personnelle.

KGB

> les 4 & 5/10 au Théâtre des Bernardines (17 boulevard Garibaldi, 1er)

 

© Wonge Bergmann

© Wonge Bergmann

Drugs kept me alive par la Cie Troubleyn

Ce qui pointe dans le travail de Jan Fabre, c’est son talent inégalé à transcender l’essence d’un texte pour l’amener vers des sommets oniriques où la forme et l’hallucination s’entremêlent dans un même instant. Drugs kept me alive n’échappe pas à la règle. Le danseur Antony Rizzi devient le magicien d’une déambulation où s’invitent l’aisance d’un demi-tour, la légèreté du discours, le souffle d’une vie sur une bulle de savon. Entre féerie et gravité, entre trouble hypnotique et réalité, la magie de Jan Fabre opère encore une fois.

KGB

> le 4/10 au Théâtre du Gymnase (4 rue du Théâtre Français, 1er)

 

© Chris Van der Burght

© Chris Van der Burght

Nicht Schlafen par le Ballets C de la B

Nicht schlafen (Ne pas dormir) est un état d’alerte. S’appropriant la musique tout en rupture de Gustave Mahler, empreinte de la férocité de son époque (avant-guerre 14/18), Alain Platel y voit le miroir de la nôtre, entre doutes, peurs et possibles basculements irrémédiables. Une danse nerveuse de l’éveil se joue devant les impressionnantes sculptures de Berlinde de Bruyckere puis, pour éviter les répétitions de l’histoire, cherche le souffle et la vitalité conduisant à l’espoir. Avec ses fidèles collaborateurs — la dramaturge Hildegard De Vuyst (Pitié), le compositeur Steven Prengels (Gardenia, En avant Marche) et les chanteurs congolais de Coup fatal Russell Tshiebua et Boule Mpanya —, Platel signe une pièce qui oscille entre une extrême violence, un état de veille et une fête « mahlerienne ».

MA

> les 4 & 5/10 au Théâtre des Salins (Martigues)

 

© Studio Rios Zertuche

© Studio Rios Zertuche

The Common People de Jan Martens et Lukas Dhont

Jan Martens cherche à recentrer la danse vers une idée du contact et du geste commun. L’interprète trouve un prochain, il l’attire dans un geste affectueux, il l’emmène dans son histoire, là où le corps retrouve une plénitude. Tout est posé et langoureux. L’autre devient un semblable que l’on enlace. Les visages se rapprochent et se lisent dans leurs moindres traits. Les tensions s’effacent, la violence s’évapore, une liberté fragile et tranquille enveloppe l’espace. The Common People est une histoire de l’ordinaire magnifiée dans la simplicité d’un geste qui illumine la diversité des formes et des visages.

KGB

> les 5 & 6/10 au Ballet National de Marseille (20 boulevard Gabès, 8e)

 

Io sono Rocco par la Cie Garçon Garçon

Io sono Rocco par la Cie Garçon Garçon

Après sa récente création au Kunstenfestivaldesarts, Io sono Rocco de Salvatore Calcagno sera présentée avec une nouvelle distribution et dans une version remaniée. L’artiste belge d’origine sicilienne poursuit son processus autobiographique et pose la question du deuil, celui de son père. Définissant Io sono Rocco comme « une pièce qui réunit de la musique de la danse et du théâtre mais où la musique a une importance telle qu’elle vient aller raconter l’essence du spectacle », Calcagno utilise aussi bien les vieux vinyles d’Ennio Morricone de son père que le lyrisme de la voix de la jeune soprano Elise Caluwaerts. Dans une recherche de sublimation de la beauté omniprésente chez Calcagno, la dernière nuit de cet homme mourant se raconte sans un mot, dans un esthétisme extrême.

MA

> les 7 & 8/10 au Théâtre des Bernardines (17 boulevard Garibaldi, 1er)

 

© Philedeprez

© Philedeprez

We don’t speak to be understood de Pieter Ampe, Benjamin Verdonck, Iwan Van Vlierberghe, Korneel Coessens, Louise Crabbé et Peter Seynaeve

Pieter Ampe pose la question de l’arte povera, mais aussi du plaisir à assembler des gestes élémentaires. L’homme rencontre son prochain et ensemble, ils élaborent un jeu de construction. Des cubes, des clochettes, les éléments choisis sont des outils génériques. Un dialogue s’installe sur quoi faire et comment. Une collaboration prend forme, mais elle peut aussi déraper vers un rapport de force, parce que l’instinct de l’homme n’est jamais loin. « Nous ne parlons pas pour être compris » : c’est une manière de renverser les codes sociaux et de recommencer tout à zéro. D’envisager le monde par sa face inversée, en allant voir ce qui se cache de l’autre côté du miroir, ou comment les formes nous disent ce qu’il y a au fond des choses.

KGB

> les 7 & 8/10 au Théâtre du Gymnase (4 rue du Théâtre Français, 1er)

 

© Reinout Hiel

© Reinout Hiel

Fruits of Labor de Miet Warlop

L’artiste flamande Miet Warlop aime transfigurer l’idée d’une peinture qui serait un éternel recommencement. Un geste et une couleur prennent forme et déchirent l’espace dans une ironie qui pousse le public aux larmes. Comment réinventer le dripping de Jackson Pollock ? Comment faire s’entremêler le décalé de la comédie anglaise et l’aléatoire de la chute ? Des caractères hybrides, sortis d’un tableau de Dali, investissent l’espace et jouent des séquences miniatures où l’action ne comporte, très souvent, qu’un seul geste. Dans cette chorégraphie minutée, l’ensemble prend une démesure insensée qui transcende la dramaturgie et emmène le théâtre vers des horizons inconnus.

KGB

> les 11 & 12/10 au TNM La Criée (30 quai de Rive-Neuve, 7e)

 

© Martin Argyroglo

© Martin Argyroglo

La Nuit des taupes de Philippe Quesne

Pièce animalière mettant en scène des taupes géantes sauvages à tendance anthropomorphique, La Nuit des Taupes dépeint un monde souterrain et fantasmagorique, carrefour où viennent s’entrechoquer les imaginaires collectifs passés, présents et futurs. Renvoyant tant à la grotte préhistorique, à l’abri antiatomique, à la caverne de Platon et au terrier où tombe Alice qu’à la cave de Ben Laden ou aux bidonvilles modernes, ce décor de bas-fonds malmené par les mammifères est le réceptacle de bien des projections. Philippe Quesne, dans la continuité du Vivarium Studio, définit le théâtre comme un « art de la cave », enfouissant ses acteurs-créatures dans un espace-temps indéfini où ils devront s’organiser pour survivre, recourant au recyclage de déchets ou à la musique…

BC

> les 12 & 13/10 au Théâtre du Merlan (Avenue Raimu, 14e)

 

© Thibault Gregoire

La Esclava © Thibault Gregoire

La Esclava par la Cie RUDA absl + Hérétiques par la Cie Ayelen Parolin

Nouvelle reine de la danse contemporaine, la chorégraphe argentine installée en Belgique Ayelen Parolin confirme son ascension avec Hérétiques. Un spectacle géométrique, côté triangle — un trio constitué de deux danseurs aux gestes mécaniques et obsessionnels, et une pianiste — servi par une écriture répétitive quasi hypnotique et éblouissante.

La Esclava, solo pour Lisi Estaràs (Argentine), est un collage de pièces interprétées pour se raconter et se définir dans ce que l’on est, dans son rapport au monde. Confusions, contradictions et désir de lâcher ce qui nous entrave traversent cette autofiction chorégraphique.

MA

> les 13 & 14/10 (et/ou les 14 & 15/10) au Théâtre des Bernardines (17 boulevard Garibaldi, 1er)

 

© Erwan Fichou

© Erwan Fichou

Radio Vinci Park de Théo Mercier et François Chaignaud

Théo Mercier n’en est pas à son premier essai scénique puisqu’il a signé entre autres, en 2014, Du Futur faisons table rase, au Théâtre Nanterre-Amandiers, pour lequel il avait déjà collaboré avec le danseur et chanteur François Chaignaud. Cette nouvelle création convoque la mythologie contemporaine des parkings souterrains, lieux phobiques où l’obscurité et le silence, à peine souligné par la musique classique distillée par la station de radio de la compagnie de stationnement, renvoient au danger de la solitude en milieu urbain. Pièce pour un motard, un danseur-chanteur travesti et une claveciniste, Radio Vinci Park se veut, selon les dires de ses concepteurs, « un chant d’amour, un appel au sacrifice de soi-même, un meurtre souterrain, un rituel et surtout un peu d’éternité. »

BC

> les 14 & 15/10 à la Friche La Belle de Mai (41 rue Jobin, 3e)

 

 

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