Wozzeck présenté à l’Opéra de Marseille

Wozzeck présenté à l’Opéra de Marseille

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Et la magie Opéra…

En programmant avec audace — et réussite — Wozzeck d’Alban Berg, l’Opéra de Marseille a parfaitement décrit les ambitions artistiques de l’actuelle direction.

Osé, pour ne pas dire risqué, le pari ne paraissait pas gagné d’avance. Le sujet est âpre : un soldat sans grade, et quasiment sans réaction jusqu’au drame final qui le voit se donner la mort après avoir égorgé sa maîtresse, est la proie d’une faune interlope. En dépit de l’ancienneté de l’œuvre (le Woyseck de Büchner qui inspira Berg date de 1836), l’approche se veut résolument moderne, mettant en scène, dans une espèce de no man’s land périurbain, divers caractères témoignant de l’instabilité, la folie, la bassesse, la misère et la souffrance des hommes. La musique traduit ces états, les vertiges, les effondrements, les inquiétants marasmes intérieurs ; nulle trace de joie, de légèreté, de quiétude… La mise en scène de Guy Joosten (Vlaamse Opera) renforce ce côté souterrain, rampant, vil et veule : les seules voies sont aériennes, l’endroit est sans échappatoires et la misère s’y révèle et s’y met finalement à nu dans la mise à mort finale. Certains tableaux évoquent d’ailleurs les visions hallucinées d’un Lou Reed, période Berlin — qui fut d’ailleurs le lieu de la création de cette œuvre en 1925. Le rôle-titre, dont l’isolement, la passivité, l’air d’indifférence lucide et de détachement abstrait font penser à Meursault (héros de L’étranger d’Albert Camus), est sobrement et magnifiquement servi par Andreas Scheibner. Autour de lui, une galerie de portraits, de bêtes de foire, au premier rang desquels ce vieux shooté de Docteur (Frode Olsen) et le Capitaine (Gilles Ragon), guère plus stables et reluisants que le héros qu’ils influencent jusqu’à sa perte. Enfin, Hugh Smith (le Tambour-Major) et Noëmie Nadelmann (Marie) — dont on comprend aisément qu’elle conduise à la passion et au meurtre —, personnages centraux dont la liaison déclenche la folie meurtrière de Wozzek, complètent brillamment cette distribution aussi internationale qu’homogène. L’œuvre de Berg est d’une densité telle qu’elle ne laisse, jusque dans sa construction, que la quantité d’air nécessaire : elle tient en haleine, sans faiblesse ni relâchement et il est heureux qu’elle ait été présentée sans entracte. A l’arrivée, le bilan de cette audace de programmation est largement positif : la salle était à chaque fois bien remplie, l’accueil plutôt bon et les gens de l’Opéra, des salons à la fosse, semblaient heureux de servir ce projet et cette œuvre.

Texte : Frédéric Marty
Photo : Christian Dresse

Wozzeck était présenté du 12 au 20/03 à l’Opéra de Marseille