<em>Tentative de trous pour voir le ciel à travers</em> par la C<sup>ie</sup> Demesten Titip

<em>Tentative de trous pour voir le ciel à travers</em> par la C<sup>ie</sup> Demesten Titip

Tentative-de-trous-pour-voir-le-ciel-a-travers.jpg

Vol au-dessus d’un nid de trous

La compagnie marseillaise Demesten Titip nous invite à faire une Tentative de trous pour voir le ciel à travers. Une véritable plongée au cœur de deux parcours humains, où le cadre sociétal ne suffit plus à contenir les méandres intérieurs des protagonistes, et où la folie gagne tous les jours un peu plus de terrain. S’y dessinent, sous les yeux des spectateurs, des contours de vies qui ne trouvent plus leur sens.

Des murs blancs, transparents. Au milieu, une femme immense. Et un texte, Le Papier peint jaune de Charotte Perkins-Gilman, journal intime d’une Américaine en dépression post-partum au XIXe siècle, époque où l’on enfermait ces jeunes mères désorientées par l’enfantement. Sur scène, Solenne Keravis oscille et bouscule le langage jusqu’à perdre pied, nous entraînant avec elle dans le trouble psychique. Car, au-delà du texte, d’une justesse et d’une profondeur inquiétante, c’est tout son être qui sert le propos. La mise en scène est sobre, et la direction d’acteur précise. Les interventions fulgurantes du musicien Sébastien Rouiller (symbolisant sur scène l’époux médecin de la « malade ») permettent d’échapper à l’identification au personnage, mise à distance qui trace l’indicible chemin de la perte du contrôle de soi. Il y a un noir, quelques bruits en coulisse, puis la lumière revient sur un homme nu en train d’être lavé par une femme. Il s’agit de Saul Bellow, interprété par Olivier Boréel. Nous changeons alors d’espace et de temps. Son enfermement est aussi bien réel que métaphorique, social que politique. Un Homme en suspens, journal intime d’un Américain en 1940, retrace la résistance d’un homme face aux pressions extérieures, celles de l’ordre et de la morale. Christelle Harbonn écrit à propos du spectacle : « Une femme parle, un homme parle, mais à travers eux, ce sont une multiplicité de bouches qui dessinent des mondes inattendus, pluriels, où il est jubilatoire de penser qu’il est possible de faire un pas sans qu’un cadre nous donne le ton, la voie, la couleur et le sentiment à donner à notre marche. » A quel endroit leurs démences questionnent-elles le cadre « normé » de nos psychismes ? Au-delà de la performance des acteurs, portant les textes comme des partitions musicales, ce diptyque met à l’épreuve les symptômes de nos sociétés aliénantes. L’enfermement serait-il un thème universel avec lequel chacun d’entre nous devrait négocier au quotidien ? Les notes de mise en scène de Christelle Harbonn résonnent dans l’air du temps lorsqu’elle écrit des personnages : « On dirait qu’ils décident radicalement que leur monde est le monde, et bien malin qui parviendrait à leur prouver le contraire – sinon à coups de lois plus absconses les unes que les autres ou de discours bien-pensants mal pensés censés les ramener à la réalité de leur petite vie de merde. » A bon entendeur !

Diane Calis

Tentative de trous pour voir le ciel à travers par la Cie Demesten Titip était présenté les 6 & 7/04 au 3bisF (Aix-en-Provence), puis du 18 au 20/04 au Théâtre des Argonautes (Marseille)