Emmanuel Pahud et Alessio Bax

Salon – Festival international de musique de chambre de Provence

Chambre avec mue

 

Les festivals annuels ont dû faire face à l’imprévisibilité de la période. Annulés, reportés, redéployés… Beaucoup ont disparu du paysage estival. Mais au pays de Nostradamus, il fallait bien qu’il en fût autrement. Dans le jeu des contingences, du hasard et des déterminations, le Festival International de Musique de Chambre de Provence nous a réservé une belle surprise. D’aucuns diront que c’est ce qui devait advenir.

 

Comme un signe à déchiffrer, l’occurrence d’un évènement improbable se charge toujours d’un sens plus général. Si certains festivals, sans doute plus accoutumés à l’instabilité, se sont adaptés peu ou prou aux conditions nouvelles, le choc a été rude chez les poids lourds dont l’erre décisionnelle a besoin d’un horizon dégagé. Du plus grand au plus petit, tous pourtant se sont questionnés sur leur puissance de transformation. Quels que soient les facteurs déterminants d’une structure à l’autre, les équipes ne se sont pas laissé emporter passivement par l’épreuve mais ont tenté partout d’enrichir la multiplicité du possible et du réalisable. La force du vivant.

À Salon, on a cru en son étoile. Par adhésion de chacun à l’esprit commun. Par acte d’une volonté apte à se porter en avant de soi. Sous leur allure tong-bermuda, musiciens et organisateurs forment un système de forces coordonnées : un tempérament et une méthode. La décision du maintien de l’intégralité du festival procède de cette confiance dans un souffle musical et un sens de la fraternité éprouvé depuis longtemps. « Un pour tous… »

La vingt-huitième édition nous donnera l’occasion de savourer, parmi les créations de compositeurs installés dans le répertoire, des ouvrages de conception atypique, moins fréquentés, voire insoupçonnés. Solistes internationaux et jeunes talents s’y côtoieront dans des formations aux géométries originales qui laissent, c’est suffisamment inhabituel pour être souligné, une large place aux instruments à vent sous l’égide des trois mousquetaires fondateurs : le pianiste Éric Le Sage, le clarinettiste Paul Meyer et le flûtiste Emmanuel Pahud. Ce dernier, en compagnie d’Alessio Bax au piano, entamera les festivités avec une brillante transcription pour flûte de la Sonate D.821 dans laquelle Franz Schubert avait exploré les facultés d’expression et de virtuosité d’un instrument expérimental aujourd’hui disparu, l’arpeggione… Œuvre insolite et profonde, à découvrir le 31/07 à 12h dans la chapelle de l’Abbaye de Sainte Croix, lieu de prédilection des petits ensembles chambristes du festival où la proximité dénude, en regard des beautés essentielles, les intentions subtiles et détaillées de la partition.

Le lendemain, pour la première soirée au Château de l’Empéri, un concert d’humeur joyeuse égayera les hauts murs de la cour d’honneur dans le charme naturel et la plénitude sonore de timbres instrumentaux chamarrés. Du Beethoven en prélude avec un trio pour flûte, basson et piano (WoO 37) dans lequel le jeune Ludwig, à guère plus de seize ans, affirme déjà, sous ses juvenilia, un caractère bien trempé. Puis son Quintette pour piano et vents (opus 16) réunira les trois complices suscités en la haute et bonne compagnie du bassoniste Gilbert Audin et du hautboïste François Meyer. Tous les cinq, agiles comme Scaramouche, engageront de la fine pointe de leur sensibilité un Grave en majesté, un Allegro héroïque et, à la fin du Rondo, vifs et enjoués, ils touchent ! Un Rossini décoiffant en forme de quatuor à vent avec cor (Benoît de Barsony) nous grisera de ses variations périlleuses avant que de nous laisser tournoyer, les coudes levés, transportés en esprit au pays de Vivaldi par la Tarentelle (opus 6) de Camille Saint-Saëns et d’atterrir enfin avec un trio pour piano (Alessio Bax), cor et violon (Daishin Kashimoto) où se concilie, dans l’éclairage romantique de Brahms, ce que l’on placerait volontiers en exergue de ce festival décidément pas comme les autres : la noblesse de la forme et le libre flux de l’inspiration. En témoigne si nécessaire, le conte musical pour petits et grands du compositeur Karol Beffa qui nous guidera dans les travers d’un royaume fabuleux où tous les sujets sont musiciens mais dont le roi déteste la musique. La partition explore des territoires affectifs rarement visités par la musique contemporaine : l’ingénuité et la fraîcheur sincère d’un message fraternel, délivré par la récitante Natacha Régnier le 2/08 à 19h, au Château de l’Empéri. La soirée se poursuivra à 21h. Nous aurons rendez-vous avec le Carnaval des animaux : de la fantaisie, des morceaux de bravoure, de la poésie, quelques pastiches que l’on a plaisir à reconnaître… Le très sérieux monsieur Saint-Saëns décompresse, ambiance garantie.

Le programme de la semaine est à l’avenant. Tout est liberté d’interprétation, richesse thématique et goût de la réalisation. Pourtant, rien n’est encore joué de cette édition 2020. Le futur, dans son excitante indétermination, sera présent à Salon-de-Provence, si nous en sommes. Aurions-nous perdu le désir des belles choses  ou bien, au contraire, notre réceptivité s’est-elle affinée avec le dénuement ? Parmi les fils que la Parque tirera de notre pauvre quenouille cet été, quelques-uns vibreront à l’unisson de ce festival plus que jamais en accord avec sa vocation. Pas l’ombre d’un doute.

 

Roland Yvanez

 

Salon – Festival international de musique de chambre de Provence : du 31/07 au 8/08 à Salon-de-Provence.

Rens. : 04 90 56 00 82 / https://festival-salon.fr/fr

La programmation complète du festival Salon ici