Nicole Ferroni au Café de La Banque © Marie Anezin

Retour Nicole Ferroni dans les bars et cafés marseillais

En vers et (tout) contre nous

 

En une semaine de tournée des bars marseillais à l’invitation du Théâtre du Gymnase, Nicole Ferroni a explosé sa cote de popularité, enivré de sa vision affectueusement réaliste et inspirée les plus réticents à la poésie. Elle a surtout propulsé ses talents d’autrice dans la sphère de l’écriture intimiste.

 

 

Le succès de C’est ma tournée, je vous offre un vers initié par les Théâtres de Dominique Bluzet et le Département des Bouches du Rhône est-il lié au concept du spectacle gratuit ? Au choix judicieux d’un hors les murs immersifs, ici dans un quotidien teinté de détente : le café du coin ?
Cette édition de mars, liée autant au mois qu’au diminutif de sa thématique Marseille, tient sa réponse en forme d’évidence : c’est l’effet Ferroni !
Ferroni en vers, cela promettait déjà d’être tout un poème, ce fut une apothéose !
On emploie souvent cette même expression, « C’est tout un poème ! », pour Marseille, une phrase qui semble résumer toutes les ambiguïtés, les contradictions, les sensibilités, les caractères et les charmes de cette ville insaisissable.
Alors Dame Nicole, comme elle aime appeler avec affection ses condisciples, s’est évertuée, dans une posture de professeur qu’elle connait bien, façon Le Cercle des poètes disparus, à nous expliquer tous ces fameux clichés marseillais. Elle aurait pu grimper sur une table du Café de la Banque et déclamer la parole d’un des protagonistes du film : « On ne lit pas, ni écrit de la poésie, parce que c’est joli. On lit et écrit de la poésie car on fait partie de l’humanité. Et l’humanité est faite de passion. La médecine, le droit, le commerce sont nécessaires pour assurer la vie, mais la poésie, la beauté, la romance, l’amour, c’est pour ça qu’on vit. »

Elle a beau être aubagnaise, fixée entre des origines alsacienne et italienne, elle vénère Marseille avec l’humanité et l’engagement qui la caractérisent. Durant une semaine, de troquets en bars branchés, Nicole Ferroni nous a démontré, dans la vitalité de son jeu, la justesse de ses mots, la beauté de son écriture, la ferveur de ses apartés entre deux textes choisis et la finesse de sa vision, le sens viscéral de cette citation. Elle a donné corps à la poésie, la plongeant dans la banalité du quotidien, qui commence la journée par un café ou la termine entre amis par un apéro tout en discutant de l’actualité, des collègues et du temps présent. Elle lui a aussi donné sa voix en renouant ainsi avec ses premières amours, le slam, et en rappelant que « ce que l’on connait le plus en texte en rimes de Marseille ça reste les rappeurs et notamment IAM, des personnes qui honoraient l’écriture et la portaient. »

Elle n’hésite pas à faire se côtoyer Nés sous la même étoile d’IAM et Bande organisée de 13’Organisé, dans un question/réponse mettant en évidence leur différence de profondeur de plume. Elle nous enivre de textes ciselés, fins et intelligents, qui dialoguent avec ceux de Rimbaud et Louise Michel, morts à Marseille. Saluons au passage le travail acharné de recherche et de mise en perspective, toujours empreint d’engagement, qui est la patte Ferroni. Elle nous a dépeint des cagoles féministes et des femmes en quête de respect (Malheureuse est la pachole), des héros oubliés des attentats de la Gare Saint Charles — merveilleuse Delphine —, des adultères pagnolesques entre deux rives (Le Dom Juan du Ferry Boat) et nous transperce le cœur de son Balle et ballon, entre OM et Kalanichkov, d’une sensibilité à fleur de peau, d’une poésie sublime d’intensité.

 

Une prestation qui pousse les murs
Il a fallu ouvrir les portes de certains lieux tant son succès s’est propagé au fil des jours dans la ville, faisant de son intégrale de dimanche à 8h30 une réussite parfaite, drainant plus de trois cents personnes aux Grandes Tables de la Friche.
Et, surtout, n’en déplaise aux détracteurs restés figés sur l’image de l’humoriste de chez Ruquier ou de la chroniqueuse de France Inter, Nicole casse le quatrième mur d’une façon inédite. Elle a cette inclinaison si singulière qui lui permet d’accrocher le spectateur dans une proximité teintée de familiarité mais sans lui laisser le loisir de franchir le pas de l’interaction qui est le ressort du stand up. Elle déplace l’humour vers ses lettres de noblesse, celle du verbe à la Devos ou à la Morel

Ferroni ne fait pas de la poésie, elle la porte en elle avec sa gouaille populaire, son exposé d’un quotidien poussé sur ses clichés et qui éclot par sa plume en une étincelante analyse sociétale. Ferroni est brillante, sa veste de strass noir sur son jean n’en est qu’une façade ; elle irradie, coincée entre deux tables ou juchée sur une petite estrade, dans le brouhaha des entrées et sorties du Café de la Banque. Elle captive, La Ferroni, car elle est nous, eux et la famille élargie de Marseillais qu’elle a créée pour l’occasion. Le Café de la Banque, lieu de mixité et d’habitudes, a été l’écrin parfait de cette performance, répondant à tous les critères imaginés par les Théâtres. De l’habitué au consommateur passant, ils ont pu entrer dans l’univers Ferroni, profitant d’un naturel travail de sound designer réalisé par toute l’équipe de barmans (merci Thomas, Jérôme, Aurore et les 2 Benjamin) au rythme du percolateur et des sonneries téléphoniques de réservations qui se calent au bon moment sur le texte.

Nicole Ferroni présentera une version spectacle au Théâtre des Bernardines en décembre 2022, et on espère vivement une tournée au printemps 2023 !

 

Marie Anezin

 

Nicole Ferroni payait sa tournée de vers dans une douzaine de bars et cafés marseillais du 23 au 27/03.

Pour en (sa)voir plus : nicoleferroni.com