Galette | 13’Organisé

13 ensemble

 

Depuis la rentrée, le projet collaboratif 13’Organisé truste la première place des charts, permettant à Marseille de redevenir la capitale du rap hexagonal par la grâce d’un palmarès vertigineux : single de diamant le plus rapide de l’histoire de la musique française, single de platine en moins d’un mois, 157 millions de vues sur YouTube (1) et titre de rap français ayant passé le plus de jours consécutifs (69) dans le top 200 Spotify pour Bande organisée, album disque d’or en treize jours… Et comme si ça ne suffisait pas, le collectif hip-hop marseillais a édité un titre bonus de vingt-quatre minutes, comptabilisant plus de quarante couplets, le plus long du rap français. Voilà pour les chiffres, mais là n’est pas l’essentiel…

 

Il faut l’avouer, certains des membres de l’équipe de Ventilo ont découvert le rap au début des années 90 avec IAM ou La Fonky Family. Une culture hip-hop basée sur l’écriture : émancipatrice, anticonformiste et engagée. Et puis on a lâché l’affaire devant ce qui allait devenir quelques années plus tard une industrie lucrative, traversant une navrante phase bling-bling. C’était avant que l’on tende l’oreille au courant hip-hop alternatif du début des années 2000 et les productions de TTC, du Klub des Loosers (puis Klub des 7), des Svinkels ou encore de MC Jean Gab’1. Voilà pour le background. Depuis, on fait comme tous les quarantenaires : on réécoute.

Évidement, impossible d’ignorer le rap autotuné, qui électrise la jeunesse mais nous fait passer notre chemin. On a écouté Jul, ce champion des podiums de streaming, ultra prolifique (déjà… treize albums au compteur) et surtout marseillais. Il « ambiance », comme on dit, mais on butte devant le texte. Pourtant, on devrait plutôt s’attarder sur la musicalité, comme on le fait avec la musique électronique, la chanson surréaliste ou les groupes étrangers, et se souvenir de cette phrase d’Akhenaton dans le titre Sale Argot : « On rappe comme on parle / cet argot issu des marches des trottoirs ». C’est ce que l’on a fait en voyant arriver 13’Organisé, le nouveau projet de Jul, qui nous ramène à une certaine idée fantasmée du mouvement hip-hop et qui, surtout, raccroche les wagons des générations.

À l’origine, il y a donc Jul, cet ancien minot de la cité Louis-Loucheur du quartier de Saint-Jean-du-Désert, qui réussit ici le tour de force de faire cohabiter cinquante MC marseillais de toutes générations. À ses côtés, « les anciens », Akhenaton et Shuriken d’IAM, Sat, Le Rat Luciano et Don Choa de la Fonky Family, Soprano et Alonzo des Psy 4 de la rime, FAHR de Puissance Nord, Keny Arkana, L’Algérino ; les millennials aussi, Kofs, Sch, Soso Maness, Naps ; et enfin des plus jeunes ou moins médiatisés : Moubarak, La Scampia, Kamikaz, Saf, Thabiti, Drime, Sysa, Jhonson, Many, Zbig… C’est bien cet éclectisme générationnel qui fait la principale originalité du projet, car même si en 2018, Sofiane réunissait une quarantaine d’artistes de Seine- Saint-Denis dans 93 Empire, on n’était pas sur les mêmes échelles de valeurs.

Autre singularité du projet, sa démarche, forte, inédite : tous les intervenants sont crédités à parts égales en tant que producteurs, tous profitent ainsi équitablement des royalties. Plus qu’un symbole dans la ville la plus pauvre de France, dans un pays où l’on parle de séparatisme et dans le milieu du rap, où il semble de bon ton de « clasher » pour exister. Ces musiciens issus des quartiers populaires s’unissent sous les bannières « Mi amor, c’est les quartiers Sud, c’est les quartiers Nord » et « C’est pas la capitale, c’est Marseille, bébé », raflent la mise et partagent tout.

Pour chaque titre, le « J », comme ses complices le nomment, a réparti et organisé les équipes par petits groupes WhatsApp, chacune étant chargée de réfléchir à un thème donné sur une de ses instrus. Dans les treize groupes ainsi constitués, les rencontres vont donner lieu à des featuring sur les autres projets musicaux, Jul demandant aux uns et aux autres de partager leurs productions. Ce qui lui permet de faire rejaillir sa renommée et son réseau sur toute la sphère hip-hop métropolitaine. Non content de faire profiter cette économie locale de son succès, il a aussi récolté pas moins de 300 000 € pour les hôpitaux en lutte contre le Covid-19 en mettant ses disques de certifications aux enchères. Aurait-il fait sien l’adage « Si tu fais du bien aux autres, ce sera profit pour toi-même » ? Après un premier label nommé D’or et de Platine, il vient de monter Rien 100 Rien : tout un symbole !

 

Damien Boeuf

 

13’Organisé (Rien 100 Rien) est disponible en CD et sur les plateformes de streaming

Vivez en images l’histoire du rap et de son évolution dans la cité phocéenne grâce au documentaire D’IAM à JUL, Marseille capitale rap, de Gilles Rof et Daarwin, diffusé le samedi 14 novembre à 22h30 sur France 5 et le lundi 16 novembre à 22h40 sur France 3 Provence-Alpes-Côte d’Azur. Teaser : https://youtu.be/w_UOk2mJ3C8

 

 

 

Notes
  1. Au 30 octobre 2020[]