Nicole Ferroni © Julie Caught

L’entretien | Nicole Ferroni (2/2)

Le 19 mars, Nicole Ferroni fêtait son anniversaire. Et cette semaine, elle paye sa tournée avec les Théâtres en offrant des vers ! L’occasion de trinquer vers à verres avec elle dans douze bars marseillais. Tous au bistrot !

 

 

Pour cette tournée dans le cadre du programme « Aller vers » des Théâtres, Nicole Ferroni se préparait à relever un défi : « Si je suis obligée de dire les textes poétiques juchée sur un tabouret en simulant que je prends un café, ça va être un peu sportif ! » Un problème réglé par le Covid, qui a empêché sa tournée des bars en janvier.
Un mal pour un bien puisque la comédienne peut désormais voir le visage de son auditoire et trinquer sans distanciation. Les temps ont changé à bien des niveaux : une guerre, une élection qui s’enlise… Autant de nouveaux sujets pour prolonger l’entretien commencé en janvier… Et comme Nicole aime parler, nous l’avons laissée faire avec plaisir.

 

Tu as ajouté une session intégrale de cinq heures le dimanche 27 à 8h30 du matin à la Friche, pile le jour du changement d’heure… N’est-ce pas un peu suicidaire ?

Non, c’est fait exprès, je voulais fêter l’heure d’été ! En fait, c’est une version longue avec entracte, donc les gens peuvent arriver un peu quand ils veulent. On ne va pas les séquestrer si tôt et si longtemps contre leur gré un dimanche matin !

Et puis je n’ai pas vraiment cinq heures de texte : il y a des thématiques qui se recoupent et des textes communs à plusieurs sessions. Par exemple, les Marseillaises (= femmes de Marseille) se retrouvent dans une catégorie si elles ont eu des malheurs ou une autre si ce sont des figures de la ville. J’essaie d’avoir un fil rouge, de replacer des éléments historiques. Je n’ai de toute façon pas prévu de faire que de la lecture de textes…

 

L’actualité, qu’elle soit mondiale ou personnelle, t’a-t-elle fait changer des choses ?

Oui ! (grand rire) C’est un peu le problème : le report m’a donné le temps de penser à des changements. Je suis carrément repartie en chantier sur pas mal d’aspects. Et me revoilà dans l’urgence alors que tout était ficelé.

 

N’est-ce pas de toute façon ta manière de travailler : reprendre plusieurs fois un texte et le finir dans l’adrénaline du dernier moment, comme tu le faisais pour tes chroniques à France Inter assise dans le couloir à une heure de l’émission ?

Oui, complètement. En plus, là, je me lance dans de l’inédit pour moi : écrire de la poésie, donc je doute. Nous sommes d’accord : ce n’est pas le domaine dans lequel je suis le plus connue. (rires)

 

La guerre en Ukraine s’est-elle invitée dans ton écriture ?

Consciemment ou inconsciemment, oui. Pour Marseillaises, je cherchais un texte sur la fondation de Marseille avec Gyptis et Protis. J’avais déjà écrit un texte qui s’appelait Pastis et Panisse. Je voulais ajouter un récit qui ne soit pas de moi et en fouillant un peu, je suis tombée sur un opéra intitulé Gyptis : opéra légendaire en deux actes du compositeur Noël Desjoyeaux et des auteurs Maurice Boniface et Édouard Bodin (1860). Il n’y avait pas de livret, il a fallu que je recopie les partitions pour sortir le texte des chants. Dans cet opéra, Gyptis est anti-guerre. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle ne veut pas épouser le Gaulois que lui propose son père. Il a beau avoir gagné plein de batailles, elle ne veut pas d’un guerrier. Ça résonnait bien.

 

Qu’est-ce qui occupe tes journées en ce moment ?

Je n’ai plus de chroniques radio. Je continue cependant à écrire des chroniques que je diffuse via les réseaux sociaux et notamment Instagram, Facebook et YouTube. Mais aussi dans l’émission Piquantes ! sur Téva. Je traite un peu de l’actualité, j’ai cette liberté de parole et un ton qui me convient très bien. Je suis entourée de nanas très chouettes !

L’avantage de cet arrêt radiophonique est que maintenant, je peux beaucoup plus développer ma fibre d’interprète et de comédienne.

À la folie, le téléfilm réalisé par Andréa Bescond et Éric Métayer doit sortir sur M6. J’y suis aux côtés d’Alexis Michalik et Marie Gillain. Et puis la saison 3 de la série Mental devrait être tournée cette année. En ciné, je suis bientôt à l’affiche de Joyeuse Retraite 2, avec Laroque et Lhermitte.

 

 

« Par les temps qui courent, ce n’est pas vain de pouvoir faire des plateaux d’humour uniquement féminin, ne serait-ce que pour dire : “Tu peux venir, tu verras, ce n’est pas chiant, et on peut même en rire !” Cela permet de re-fédérer à un moment où émergent des clans qui n’ont pas lieu d’être. Il n’y a aucune raison de prendre parti pour ou contre les féministes ; on devrait juste se respecter les uns les autres et ça serait très bien. »

 

 

 

Tu es passée récemment au Théâtre Sevolker à Gémenos avec Please Stand-up ! en compagnie de Laura Domenge, Christine Berrou et Tahnee.

Est-ce important pour toi de faire de l’humour essentiellement au féminin ?

Non, ça ne l’est pas. Après, c’est quand même chouette.

Je n’ai pas conçu le spectacle. Comme pour Aller vers, on est venu me faire une proposition.

En fait, dans cette période, je trouve ça assez intéressant.

Tout le courant récent de libération de la parole autour des violences sexuelles a donné aux femmes une liberté pour s’exprimer d’une ampleur inédite. Avec, en retour de manivelle, à nouveau beaucoup de critiques envers les féministes, du genre : « Elles font chier ». Donc par les temps qui courent, ce n’est pas vain de pouvoir faire des plateaux d’humour uniquement féminins, ne serait-ce que pour dire : « Tu peux venir, tu verras, ce n’est pas chiant, et on peut même en rire ! » Cela permet de re-fédérer à un moment où émergent des clans qui n’ont pas lieu d’être. Il n’y a aucune raison de prendre parti pour ou contre les féministes ; on devrait juste se respecter les uns les autres et ça serait très bien.

Ce qui me semble intéressant, c’est d’allier les deux. Pouvoir, en tant que femme, aborder les sujets sur la défense de nos droits, sur l’envie d’égalité, de respect… et prendre le parti que ça ne passe pas par de la colère, de la tristesse ou de la revendication. On peut aussi réfléchir et avancer avec des blagues.

 

Poursuivons avec une question de Romain Lemire, un artiste qui s’est inspiré de toi et joue avec un de tes anciens collègues de France Inter, François Morel :

Merci Nicole pour votre parler volubile qui a très directement inspiré celui de feu mon personnage Gaston moins le quart – Concert bavard (2017-2020) !

Ah ah ! J’ai prêté mon débit !

 

Romain Lemire : Au fil des années, est-ce que c’est de plus en plus dur de rire et de faire rire de l’actualité ? Est-ce qu’on se leurre quand on croit dénoncer ou minorer une injustice ou un drame en riant ? 

Ce sont deux bonnes questions et je me les suis posées. Surtout la première, ravie d’observer que je ne suis pas la seule à avoir fait ce constat !

Soyons honnête, je ne suis plus sur France Inter parce que je n’étais plus assez drôle pour eux. Ils ont pointé le fait que mes billets étaient devenus moins comiques, plus assez déconnants, et c’est pour cela que je n’ai pas été gardée à l’antenne.

En fait, je crois que ça répond à mon propre dilemme, c’est vrai que c’était moins marrant ; c’est un constat que j’ai fait moi-même sur moi-même. Tout simplement parce que les choses ne me faisaient plus rire.
Quand la première année, tu dénonces un truc en rigolant et que l’année suivante tu observes le même phénomène, c’est déjà beaucoup moins drôle. Et puis quand tu le dénonces chaque année, une forme de résignation s’installe. Et là apparaît l’autre facette du dilemme : « À qui et à quoi je contribue ? »

Je n’étais plus qu’une soupape à rire alors que la cocotte continuait à bouillir en menaçant d’exploser parce que ça ne va pas. Forcément, c’est devenu compliqué de rire de choses qui ne sont pas drôles.

À un moment donné, on fait des constats qui sont durs, il faut aussi qu’on accuse réception de la gravité de la situation.

On me demandait d’être aussi attentive au contenant qu’au contenu…

 

Ton engagement va dans quelle direction actuellement ?  

Il est assez fluctuant. Il y a des jours où je me lève avec quasiment la même colère que lorsque je me retrouvais devant un micro le mercredi matin à Inter, sauf que maintenant j’ai un peu perdu ce mégaphone donc elle est assortie d’une certaine frustration, celle de ne pas être plus audible. Alors je m’énerve toute seule à la maison à faire des vidéos sur l’état de l’Assistance publique en France. Ou bien je fais des tweets : « Alors M. Jean-Michel Blanquer, vous laissez des coquilles dans le protocole sanitaire qui d’ailleurs n’en est pas un ? »

Ce n’était pas du tout sur des questions politiques que j’ai été engagée, mais pour de la vulgarisation scientifique. Quand je suis intervenue à la Matinale, nous avions des invités politiques, de grandes personnalités, des chefs d’entreprise… Pour travailler mes chroniques, je me renseignais un peu. Franchement, je dirais que presque neuf fois sur dix, cela m’énervait. Il y avait très peu de sujets où je me disais « Ok ! Là, ça va ». Il y avait trop souvent un constat qui n’était pas acceptable ou une injustice.

 

Cet engagement te vient-il de tes parents ?

L’engagement est venu de ma colère et les colères des constats.

Il semblerait que ce soit à cause du fait que mes parents sont des gens bien. (sourire).

En fait, c’est la chance de grandir dans un contexte familial que je juge normal, apaisant, enrichissant, épanouissant, qui m’a fait pointer les décalages. C’est simple : lorsque je constate que la société fait différemment que mes parents, j’ai envie de dire : « Laissez les rênes du pays à mes parents et franchement ça va mieux se passer parce que là, vous faites n’importe quoi ! »

Mes parents ne sont pas militants mais ce sont des gens bien, donc ça m’aide à voir ce qui ne l’est pas. Ce sont des profs…

 

Au départ, ton créneau était donc la vulgarisation, puis d’alerter et de tenter de faire rire de toutes les absurdités de la société et de la vie politique. Vers quoi aimerais-tu aller désormais ?

Dans l’idée, j’aimerais faire plein de choses et surtout pas me spécialiser. Je n’ai pas envie de me fermer des portes, je souhaiterais avoir une vie où je peux continuer à faire et dire tout ce que j’aime.

 

Où en est ton deuxième spectacle ?

Là, je fais un peu obstacle ! J’écris des trucs, je reviens en arrière… Je n’arrive pas à me cantonner à une idée, je touche du doigt le mythe de mon système… Je n’arrive pas à me contenter d’un axe pour écrire…

Le frein que je me mets est une addition de choses : j’ai du mal à me restreindre, un problème de temps et une appréhension de la scène dans ce rapport forcément plus direct qu’à la radio, à la télé ou au cinéma.

Aller vers va me permettre de renouer avec un public et de façon très proche.

 

Propos recueillis par Marie Anezin

 

C’est ma tournée, je vous offre un vers : du 23 au 27/03 dans douze bars de Marseille.

Rens. : www.lestheatres.net

Pour en (sa)voir plus : nicoleferroni.com

Piquantes ! : tous les vendredis à 22h30 sur Téva. Replay à voir ici : https://www.6play.fr/piquantes–p_18007

Le programme complet de la tournée de Nicole Ferroni ici