Yazid Oulab - Éloge du silence

les résidences de Voyons Voir

Le sens de la vigne

 

Avec les beaux jours reviennent les résidences de Voyons Voir, art contemporain et territoire. L’association installe neuf artistes dans des vignobles et autres lieux non dédiés à l’art, dans toute la région. L’occasion de se retrouver autour d’un verre de Saint-Ser ou de Suriane à la tombée du jour pour les vernissages, ou d’un parcours à travers la campagne pour découvrir les différentes expositions et les sites insolites qui les accueillent, ouverts à L’Inattendu du Paysage.

 

Cette année encore, Voyons Voir fait la démonstration que les amoureux de l’art, des paysages et du patrimoine s’invitent mutuellement à la découverte. Que rien ne s’oppose, mais que tout s’harmonise. Dans le plus grand respect de l’existant, les artistes plasticiens se glissent et s’approprient de nouveaux territoires, mais sans forcer le trait. Les résidences de Voyons Voir nous emmèneront du côté de Saint-Chamas, Mallemort, Puyloubier, Pourrières, Trets, dans le pays aixois et aux Baux-de-Provence… Le projet de l’association, qui œuvre pour déplacer l’art contemporain vers le patrimoine, les domaines viticoles et inviter deux publics à se rencontrer autour d’une œuvre, se déploie chaque année avec un peu plus de partenaires et de nouveaux paysages, dans lesquels les artistes se fondent sans se faire avaler…

 

« Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux. » Marcel Proust

 

Honneur à Jean Le Gac, en résidence aux Baux-de-Provence pendant deux mois, en partenariat avec la manifestation Publications d’artistes. L’artiste investit la Maison d’Eyguières, maison de pierre qu’il a transformée en atelier et dans laquelle il poursuit la narration d’un double fictionnel imaginé il y a plus de trente ans… Une narration que le visiteur découvre lors de sa visite, au gré des écrits et des peintures disposés dans toute la demeure… L’œuvre en résidence naît de l’observation du lieu dans lequel elle se déroule ; cet endroit découvert devient presque la matière première des œuvres produites sur place, à l’instar de Marine Provost. Au Domaine viticole de Suriane, à Saint-Chamas, elle s’approprie les machines anciennes du métier de viticulteur, et les déplace dans le champ de l’art contemporain en trouvant des correspondances formelles avec les œuvres clés de l’art du XXe siècle. Devant l’Étang de Berre, et parmi les œuvres réalisées sur site par Marine Provost, on croise Marcel Duchamp et Picasso… L’artiste joue avec ce que les hommes et les femmes du domaine considéraient comme de vieux outils d’antan, qui trouvent ici un nouveau statut, celui d’œuvre d’art. Marine Provost sublime les objets, le domaine et le paysage, en en soulignant les beautés cachées telles qu’une fissure dans une façade, comblée de paillettes par ses soins, ou en plaçant devant une vue incroyable sur l’Étang de Berre la fenêtre qu’il manquait pour ne pas oublier de contempler la beauté du paysage… Au Domaine viticole de Saint-Ser, Nathalie Novain se lance dans la réalisation d’une sculpture dont les lignes entrent en échos avec les courbes et les arêtes des montagnes, formes fragiles qui dialoguent avec les matières et les formes du site, sans jamais se rejoindre. Puisque les formes de Nathalie Novain n’appartiennent pas aux matrices de la nature mais bien au savoir-faire de l’homme, elles sont géométriques ou aléatoires et répondent à des processus dictés par la matière et par le geste… Quant à Franck Lesbros, il interroge le métier de la vigne dans ses aspects scientifiques et va creuser la terre pour y trouver le cochylis (ver de la grappe). Des sortes de sculptures vivantes sont habitées et dessinées par les vers, un monde chtonien révélé au grand jour dans lequel les petites bêtes chères à l’artiste (on se souvient de la mante religieuse dans son film Mantis Operandi) s’improvisent assistants d’artiste, à moins qu’elles ne soient le véritable sujet de l’œuvre… Dans des registres très différents, les deux artistes ouvrent leurs pratiques respectives au domaine et à ses contingences, le questionnant dans sa pratique et dans ses formes.

Au Moulin de Vernègues, les artistes vous laissent libre de passer à côté de leurs propositions. À l’inverse, ils vous demanderont une certaine acuité, une curiosité et une envie prononcée d’aller à leur rencontre. Leurs gestes essentiels mais subtils ne s’imposeront pas mais, au contraire, s’inviteront dans ces paysages et tenteront de modifier imperceptiblement notre rapport au monde. Peut-être qu’au bout du compte, de petits déplacements physiques engendrent de grands bouleversements intellectuels. Nous allons donc vers l’inconnu, vers l’étranger, vers ce qui ne nous séduit pas, vers ce qui ne nous conforte pas dans nos idées… Les œuvres discrètes d’Estèla Alliaud, plongées dans les bassins qui entourent l’hôtel, dont la matière immatérielle est produite par les reflets des miroirs découpés selon des formes dessinées par une longue et consciencieuse observation du site, offrent au Moulin un reflet flatteur. Entre image et sculpture, Arthur Sirignano ne fera pas plus d’éclats. Son géoglyphe prendra presque naturellement place dans le paysage, puis il s’éteindra, en prise avec le temps qui passe, comme si rien ne s’était passé. À l’automne, que restera-t-il de l’œuvre de l’artiste ? Le visiteur découvre dans un premier temps la vidéo qui sublime le site et montre la forme d’Arthur dans un état originel et parfait. Mais au fil de sa promenade, il découvrira la vanité d’une œuvre soumise aux aléas de la nature et du temps. C’est dans sa nature marcescible que l’œuvre d’Arthur Sirignano devient belle puisqu’éphémère. Quant à Mahatsanga Le Dantec, il offrira au Moulin l’interprétation linéaire, rythmique et (presque) musicale de son paysage. Un dessin en trois dimensions, un genre de space drawing qui se répandra vers les cimes des arbres qui arborent la terrasse, pour mieux souligner les lignes des architectures et de la végétation. Les rejets de la sculpture comme ceux d’une plante vectorialisée guideront les pas du promeneur dans les aires du Moulin de Vernègues…

Quelques jours encore pour découvrir les œuvres d’Edwin Cuervo aux Tuilerie Monier. L’artiste s’intéresse au long travail du processus qui fait prendre forme aux matières les plus instables et les plus fragiles. Sa résidence au sein de la dernière tuilerie de la Région PACA a su répondre en tous points aux recherches du jeune plasticien dans un long processus d’empreinte et de mouvance de la matière…

En septembre, nous retrouverons les autres artistes de Voyons Voir au terme de leur résidence, Yazid Oulad au Couvent des Minimes de Pourrières, Keita Mori à Saint-Chamas et Masahiro Suzuki au Domaine du Défend à Rousset, en compagnie du commissaire indépendant invité cette année, Nicolas de Ribou. Encore d’autres occasions de nous ouvrir à L’Inattendu du Paysage, à la sérendipité, et bien plus encore…

 

Céline Ghisleri

 

L’Inattendu du Paysage : jusqu’au 10/12 aux Baux-de-Provence, à Mallemort, Marseille, Pourrières, Rousset, Trets et Saint-Chamas.
Rens. : voyonsvoir.org

Le programme complet de la saison L’Inattendu du Paysage ici