Thomas Scimeca dans Le voyage au Groeland de Sébastien Betbeder © Ufo

Portrait | Thomas Scimeca

Itinéraire d’un enfant gâté

 

Des Chiens de Navarre au grand écran, d’Avignon au cinéma, du bon élève au mauvais garçon, Thomas Scimeca interroge tout autant qu’il fascine. Portrait d’un comédien multiple.

 

Ni ange ni démon, Thomas Scimeca est un rebelle. Pas un James Dean, quoique la fureur de vivre soit indéniablement son credo, ni un Pierrot le fou, expression pourtant souvent employée pour qualifier ses excentricités scéniques. Mais bel et bien une sorte d’antihéros. Façon Rimbaud pour le spleen, qui refuse toute forme d’enfermement, de conformisme et de fait, rejette très vite les codes du théâtre classique. L’éducation très permissive de ses parents, libertaires bons vivants, ajoutée à des racines siciliennes et un sang vif de Marseillais lui ont fait choisir le hors cadre. Un refus de l’autorité si prépondérant chez lui qu’il en aura même quitté Jacques Lassalle pendant ses études au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris, pour préférer le plateau de l’expérimentation, puis plus tard celui de l’improvisation. Jusqu’à ce qu’en 2010, il trouve « sa maison » au sein du collectif des Chiens de Navarre. Juste après avoir joué Le Livre d’or de Jan d’Hubert Colas au Festival d’Avignon, spectacle dans lequel il avait trouvé sa voie sans forcément suivre à la lettre la direction du metteur en scène… La performance le comble donc un temps, notamment chez son grand ami Jonathan Capdevielle. Même dans l’écriture collective des Chiens de Navarre, il dit être un amateur du solo, à l’image de la chanson de William Sheller, Un homme heureux, qu’il interprète de manière sidérante dans Les Armoires normandes...
Quand on demande à Thomas Scimeca à quel moment, à l’image des personnages qui l’habitent, sa trajectoire a vrillé, il ricane : « Quand je me suis dit que je voulais décider de mes intentions et ne plus être ce que l’on fantasme sur moi. Ne pas jouer à vie des rôles de jeunes premiers en raison de mon physique. Je pense qu’en fait, je suis vrillé à la base. » A l’inverse, enfermer Scimeca dans un rôle de bad boy et de branleur reviendrait à ne pas voir la subtilité de son jeu. Celui qui en parle le mieux est forcément Jean-Christophe Meurisse, le metteur en scène des Chiens de Navarre : « Thomas est la leçon même de l’hyper présence sur un plateau. Il en a compris le délicieux vertige. Il sait ne rien faire et partir de là pour sentir quelque chose. Avec trois fois rien, il peut vous raconter toute une histoire, être très drôle, très émouvant, très décalé. »

 

Enfant terrible
En effet, tout chez lui n’est qu’enfance, de ses sourires enjôleurs au charme électrisant jusqu’à ses séances de touche-pipi sur scène, qui friseraient l’indécence si elles n’étaient empreintes de l’innocence des tout-petits et de leur soif de découverte. Le sale gosse n’est en fait qu’un sacré acteur avide de performance, qui repousse sans cesse ses limites, comme le confirme Meurisse : « Thomas n’a aucun problème avec son corps et sa nudité, et il vit cela dans une forme d’insouciance, de liberté très enfantine, qui en font sa singularité. Avec toute sa maturité d’homme de quarante ans, il a cette manière de s’abandonner au présent, à son corps, au temps et à sa folie. C’est un vrai acteur, puissant, et il est inépuisable à tous points de vue. Nous nous entendons bien au niveau du travail parce qu’il a énormément de choses à exprimer dans sa manière de faire. Je n’ai d’ailleurs pas de problème à dire que les acteurs de ma compagnie sont des acteurs-auteurs. Si je travaille avec eux, c’est qu’ils ont une pleine conscience du monde d’aujourd’hui et d’eux-mêmes. »
Dans l’éventail de ses talents, l’insoumission le pousse à l’écran comme à la scène à explorer la marge, à faire corps avec elle. Des sorties de route pour certains, mais un atout majeur pour les réalisateurs qui voient en Scimeca un comédien tout-terrain doué pour extérioriser les diverses expressions de l’âme humaine. Comme chez Michael Haneke, qu’il adore, il se plaît à incarner des personnages à la douceur apparente, mais hantés par une colère sourde qui peut violemment jaillir à tout instant. Dans Fidelio, Lucie Borleteau s’est saisi de cet aspect pour en faire son Steph, un lieutenant transpirant le racisme ordinaire, un peu régressif. « Ce que j’adore chez Thomas, c’est que je trouve qu’il n’a pas une tête d’acteur, mais de mec de la vie de tous les jours. Il est extrêmement généreux avec ses partenaires et avec ses metteurs en scène, il n’a pas de limites, il donne beaucoup plus. Et ce no limits n’est pas glauque, mais sain et joyeux. »
Le principal point commun entre le jeu de Thomas et celui des Chiens de Navarre, c’est bien sûr cette idiotie propre à Lars von Trier, qu’il affectionne d’ailleurs tout particulièrement : « Je pense que si je me sens comme un poisson dans l’eau dans cette troupe, c’est que je suis autorisé à aller dans des endroits dans ce registre-là. On dit toujours que je provoque. Oui, c’est vrai, mais nous n’allons jamais dans le tabou. Il s’agit uniquement d’en montrer ses représentations, de s’approcher de la névrose des gens. J’aime énormément que Jean-Christophe me pousse là-dedans, et j’adore y aller dans mes impros. » L’autre versant de la personnalité que dévoilent les personnages de Thomas, c’est bien celui du « tendre », du naïf, un peu loser, comme Pierre Richard, son idole… Un côté ingénu que n’a pas manqué d’exploiter Sébastien Betbeder dans Le Voyage au Groenland, dont la sortie sur les écrans est prévue pour la fin de l’année.

 

Du hors cadre au hors champ
Jean-Christophe Meurisse travaille sur des formes très réelles, souvent de démences. Une forme de jeu qui se rapproche de celle du cinéma, si bien que de plus en plus de réalisateurs finissent par prendre des acteurs des Chiens dans leurs films. Après avoir joué dans Je suis un soldat, de Laurent Lariviere, Thomas est tout excité d’être à l’affiche du prochain Cédric Kaplisch, Le Vin et le vent, aux côtés de Pio Marmaï et Ana Girardot, dans une sorte de chronique familiale qu’il terminera de tourner en juin. Il sera aussi moniteur de ski dans le film éponyme de Joséphine de Meaux. Et, évidemment, l’un des trois rôles principaux d’Apnée, premier long de Jean-Christophe Meurisse : « Un trio qui fait une longue traversée de notre République comme des Diogène… en quad, avec remises en cause, décalage, joie… » et où « l’on fait beaucoup l’amour », précise Thomas.
Il est clair que les yeux doux que le cinéma lui fait l’amène à renter davantage dans le cadre. Même s’il aimerait aussi tourner avec Quentin Dupieux, dont il est dingue. Entre rêve et réalité, le cinéma complètement absurde de Mr Oizo a aussi à voir avec l’enfance. Et lorsque l’on demande à Thomas d’où lui vient ce blocage sur ce moment particulier de la vie, il joue forcément la carte de la naïveté : « De l’enfance peut-être… »

Marie Anezin

A voir dans Les Armoires Normandes par les Chiens de Navarre : du 22 au 28/03 au Théâtre du Gymnase (4 rue du Théâtre Français).
Rens. : 08 2013 2013 / www.lestheatres.net