Ariane Labed et Lucie Borleteau

Fidelio, l’Odyssée d’Alice au Variétés

Vagues à l’âme

 

Gonflé et tourné en scope dans la rade de Marseille, Fidelio, l’odyssée d’Alice remet au goût du jour le film romanesque.

 

Alice, jeune mécanicienne, vient remplacer un marin décédé sur un vieux cargo. Elle se retrouve partagée entre deux hommes : Félix, son amoureux resté à terre, et Gaël, le commandant, son premier amour.
Le marivaudage, grand classique du cinéma français, est ici insufflé de manière contemporaine dans le contexte particulier du monde du travail sur un bateau. Milieu d’hommes, mais aussi huis clos hors du temps et de l’espace, il est le creuset idéal pour parler des relations humaines.
Lucie Borleteau, brillante touche-à-tout qui a fait ses armes chez Why Not Productions, assisté Lou Ye, Arnaud Desplechin ou encore Claire Denis et joué pour Bertrand Bonello (L’Apollonide), aime mettre en scène ses amies comme dans son court-métrage La Grève des ventres.
Fidelio est un magnifique portrait de femme témoin de son époque, loin d’un manichéisme revendicatif ou d’un grand pamphlet féministe. Alice est une femme libre, fidèle à ce qu’elle est et ce à quoi elle aspire. La part documentaire (forme initiale prévue) alimente la fiction, rendant sincère, juste et irrésistible cette Alice qui apparaît sous les traits de la sublime Ariane Labed (Attenberg d’Athina Rachel Tsangari). Par son interprétation époustouflante et tout en grâce, elle nous embarque avec elle jusqu’à l’issue fatale. Elle a reçu le prix d’interprétation féminine à Locarno et est nommée aux Césars 2015. Un casting judicieux accompagne cette héroïne — Melvil Poupaud, mature et ambigu, Anders Danielsen Lie (Oslo), irrésistible —, mais il fait aussi la part belle aux rôles secondaires à l’instar des marins philippins. Sans oublier Demonia, le moteur du cargo que la réalisatrice présente comme un personnage et qui rend ce film encore plus atypique et envoûtant.
En amour, nous sommes tous dans le même bateau.

Maryline Laurin

Fidelio, l’Odyssée d’Alice : sortie le 24/12 au Variétés (37 rue Vincent Scotto, 1er) et au Mazarin (Aix).
Rens. : https://www.facebook.com/fidelio.lefilm

 

 

L’Interview
Lucie Borleteau et Ariane Labed

 

A l’occasion de la sortie de Fidelio, l’Odyssée d’Alice, rencontre avec la réalisatrice et son actrice principale.

 

Comment avez-vous géré le double trio de Fidelio, celui artistique que vous avez formé avec Mathilde, l’inspiratrice du film, et le trio amoureux de l’histoire ?
LB : C’est marrant, personne n’avait jamais pensé à les mettre en parallèle. En effet, le personnage d’Alice, nous l’avons vraiment construit à trois avec Mathilde, ma meilleure amie. Il n’est pas uniquement calqué sur elle et son métier de mécanicienne de bateau, j’ai aussi mis beaucoup de moi-même dans ce scénario. Et c’est lorsque j’ai vu Ariane à la machine que le personnage s’est incarné. Ce n’est pas un trio amoureux comme dans Jules et Jim de Truffaut. Alice est le pont entre ces deux hommes, deux univers. Elle tente d’avoir plusieurs vies en une seule, mais elle en voit aussi les échecs.
AL : Lucie et Mathilde, c’était une histoire d’amitié dans laquelle j’ai été la bienvenue, dans la douceur, le partage. Si Mathilde a été une source d’inspiration évidente, la façon qu’avait Lucie de parler de l’amour, du sexe et ses retours avant de tourner une prise ont aussi été une grande base pour créer Alice. Avec Mathilde, j’ai pu voir le concret des choses et sur le tournage, elle a été cette présence absolument rassurante qui fait que tu n’as plus peur de véhiculer quelque chose de faux.

Quelle est la vision de l’amour que vous souhaitez véhiculer à travers le film ?
LB : Je n’ai pas de théorie à faire passer, je pose des questions. Mais je voulais montrer un amour vivant. « Les sentiments, ça bouge tout le temps » caractérise le mieux mon propos. Pour moi, l’amour est constamment en mouvement parce que c’est la vie.

Fidelio, film de femmes ?
LB : Ce n’est pas une chose théorique à laquelle j’ai réfléchi. Cela ne me gêne pas que l’on dise de Fidelio qu’il est un film féministe. Et comme il avance masqué, il est plus fort, il peut plus facilement toucher les gens en dehors des tentions féministe/anti-féministe. Si j’avais tourné ce film il y a vingt ans, cela aurait été l’histoire du combat d’Alice pour s’imposer dans ce milieu d’hommes. Là, je filme une fille dont c’est le métier et qui n’a pas de problème avec ce choix de vie. Et même s’il y a des petites touches de machisme, parce qu’il y en a sur les bateaux comme partout, elle n’a pas de problème pour trouver sa place. C’était important pour moi et ça a constitué le premier plan de lecture du film.
AL : Je ne comprends pas pourquoi « Féministe » est devenu un gros mot. Si on voit le film en se disant qu’il est féministe, on va peut-être le voir différemment, il est préférable d’y aller en se disant que c’est un film d’amour. Quand un homme fait un film, on ne parle pas de film d’homme…

Ariane, est-ce dur de jouer une héroïne ?
AL : Non, c’est jouissif d’interpréter de tels personnages en accord avec eux-mêmes et qui vont jusqu’au bout de quelque chose. Je crois que nous essayons tous de tendre vers ça.

Fidelio a été tourné sur un des bateaux de la SNCM. Que penses-tu de la liquidation judicaire de la compagnie ?
LB : C’est un crève-cœur. Il y avait comme quelque chose de prémonitoire, car nous racontons la fin d’un bateau qui va se faire désarmer. Je pense beaucoup à eux qui, pendant quatre semaines, sont presque devenus des membres de l’équipe du film et se retrouvent sur le carreau, broyés pour des questions économiques.

Est-ce que tourner à Marseille a apporté quelque chose de supplémentaire au film ?
LB : Que des avantages ! Marseille a été l’amour de mes vingt ans. Je voulais qu’il y ait une escale dans le film. J’aime cette ville de pirates, bruyante comme un cargo, à la population multinationale comme un équipage. Elle a la lumière plus franche et généreuse que les fausses teintes du bord de l’Atlantique d’où je viens, des décors incroyables comme les calanques sauvages et des techniciens aguerris.
AL : C’était très chargé émotionnellement de revenir dans la région. J’y ai passé six ans, fait des études de théâtre à la fac d’Aix où j’ai rencontré les personnes avec qui j’ai créé la compagnie Vasistas. Le fait d’être dans une ville portuaire où la mer pénètre vraiment dans la ville, c’était très juste pour ne jamais quitter l’univers d’Alice.

Qu’aimeriez-vous vous offrir à noël ?
LB : Un succès public pour Fidelio !
AL : En 2013, c’était une estampe japonaise, une femme faisant l’amour avec un poulpe. Je veux trouver un autre monstre marin cette année !

Propos recueillis par Maryline Laurin