Plossu cinéma au FRAC PACA

Plossu cinéma au FRAC PACA

L’interview : Bernard Plossu

Renconter Bernard Plossu, c’est un peu comme réactiver la célèbre formule de Lautréamont : « Beau comme la rencontre fortuite d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection ». C’est convoquer une esthétique de la surprise, une poésie du quotidien où la beauté est une trouvaille fugace. Généreux, le photographe a accepté de partager une partie de sa sagesse en se soumettant au questionnaire de Sophie Calle, puis de se dévoiler le temps d’un abécédaire improvisé.

Plossu-portrait.jpgQuand êtes-vous déjà mort ?
Je suis mort de douleur en 1985, mais je ne révèlerai pas pourquoi. En revanche, je suis retourné à la vie en 1986.

Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Eh bien je les rêve encore. Plutôt que de rêves, je parlerais du réel de l’enfant, et en ce qui me concerne, un enfant qui lisait beaucoup de bandes dessinées et a donc appris à cadrer avec la ligne claire très tôt. Ce qu’il y a dans le carré explique tout le reste, ce qui se passe autour. Et en fait la photo, c’est la mise en rectangle ou en carré des leçons que j’ai apprises de la ligne claire en BD. Donc, ce ne sont pas les rêves d’enfant, c’est plutôt le côté rêveur d’une vie d’enfant.

Citez trois artistes que vous détestez
Le mot est trop fort, il y a une énergie qui ne me correspond pas. En peinture, je n’aime pas Fernand Léger, De Stael, Mathieu. En photo, plutôt que de nommer, je préfère dire que ce que je n’aime pas : le trop grand angle, le spectaculaire qui en fonçant le ciel des images rajoute une couche au drame. C’est exactement le même principe qu’au cinéma, lorsque la musique devient dramatique pour que le public soit bien conditionné. Une bonne photographie, c’est une photo qu’on ne doit pas conditionner à l’avance. Enfin, je n’aime pas le manque de pudeur. Ils sont plus que trois, les photographes qui font de mauvaises photos de nu et n’ont pas compris que la plus grande beauté de la photo, c’est la pudeur.

Vous manque-t-il quelque chose ?
Vu la passion que j’ai pour l’objectif de 50 mm, il ne me manque rien, je crois. Le 50, c’est l’objectif de la redoutable intelligence et de l’acuité visuelle. C’est une jolie métaphore que de s’apercevoir qu’un objet technique peut t’apporter l’âme que tu recherches, et en même temps c’est un choix très rigoureux.

A quoi avez-vous renoncé ?
Aux voyages lointains, pas uniquement à cause de l’âge, parce que j’ai déjà beaucoup voyagé, mais aussi parce que les pays « motivants » ont été complètement matraqués de voyages organisés, où les gens ont abusé de la photo et emmerdé le Tiers Monde en leur mettant un numérique sur le nez sans aucun respect, aucune pudeur. Il faut voyager en ami, pour partager ses photos, pas en conquérant.

Que défendez-vous ?

Les jeunes photographes, passionnément. Et, je déteste qu’on dise d’un jeune photographe qu’il me copie. Il ou elle a tout à fait le droit de copier ses aînés pour se trouver. Moi aussi, j’ai copié tout le monde. L’exposition Plossu cinéma, ça n’est que de la copie de cameramen, et c’est ce que j’aime dans cette expo, montrer d’où je viens. Il y a un côté courageux et culotté de monter ses racines et de dire qu’on a copié.

Que vous reproche-t-on ?
De faire trop de livres. L’expo du FRAC montre à quel point je fais des livres comme un cinéaste fait des films. Je fais deux sortes de livres : les purement créatifs ou expérimentaux comme Plossu cinéma, qui correspondent à mon langage, et les commandes. Donc, au final, ça fait beaucoup. Mais cette démarche a permis à d’autres jeunes photographes d’oser le faire. Au fond, un éditeur a plusieurs auteurs pour vivre, pourquoi un auteur n’aurait-il pas droit lui aussi à plusieurs éditeurs ?

A quoi vous sert l’art?
L’art sert avant tout à partager (pour les autres) et à être curieux (pour soi). Je dis souvent à mes élèves de ne pas s’intéresser qu’à la photo. Aujourd’hui, je rentre du jardin de Monet à Giverny. A quoi sert ce jardin ? Il a été un prétexte, « un motif » pour l’art de Monet, et il a tellement marqué l’histoire de l’art que c’est devenu un jardin pour le monde entier. On retombe sur cette idée de partage entre le particulier et l’universel. L’art, c’est aussi un effort qui nous oblige à ralentir, à ne pas faire comme cette personne qui vient de passer à toute vitesse avec son 4×4 dans un endroit où il y a des gens. L’art, c’est être capable de lever le pied, c’est lutter contre la vulgarité.

PETIT ABECEDAIRE

PlossuA comme… Afrique : le continent de l’origine de la musique, de la danse… L’Amérique ne serait rien culturellement sans la musique africaine. Tous les musiciens blancs, d’Elvis à Dylan, ont été influencés par elle.

C comme… Chocolat :
j’aime beaucoup / Cézanne : j’avoue ne pas aimer ses verts et ses bleus, pour moi le sud, c’est Soutine / Cubisme: un photographe, c’est un danseur qui du haut de son entrechat voit cubiste. Quand on bouge, les lignes de force que l’on voit tout le temps changent. La photo, c’est du cubisme en mouvement.

E comme… Espagne : j’adore y aller. C’est le pays du très grand photographe Baylon et du peintre Miguel Angel Campano.

H comme… Histoire / Hésitation :
donc la connaissance, mais le doute. Mais Hélas l’Histoire n’Hésite pas à se répéter…

I comme… Italie ! A lui seul ce mot veut tout dire…
Illusiones optica : le dernier film que j’ai vu.

J comme… Jawlensky : j’aime ses portraits
Jalousie : le sentiment le plus difficile à vaincre, à surmonter
Je : Céline disait « Je, le pronom le plus dégoûtant » ou un truc comme ça. Je, c’est l’ennemi de l’intelligence.

L comme… Lumière : en photographie, c’est le noir et blanc, le gris. En beauté, j’aime celle du nord : Vermeer, Brueghel, Constable…

N comme… Napoléon :
l’homme qui n’a pas hésité à faire mourir de froid des milliers de soldats pendant la campagne de Russie. Quelle folie de pouvoir envoyer des êtres humains mourir de froid !

Propos recueillis par Nathalie Boisson


Intime conviction

Au FRAC, l’exposition Plossu cinéma présente une œuvre singulière au carrefour de la photographie et du cinéma autour de cinq thématiques. Brillant !

Plossu.jpgMontrer ses racines, dire d’où l’on vient est un exercice difficile. Il s’agit de se livrer à travers l’autre tout en gardant une distance respectueuse, une distance amoureuse. Cette distance, c’est celle du regard de Plossu. Il s’est construit très tôt à travers le cinéma de la Nouvelle Vague, où l’image, en prise avec le réel, dénuée de tout artifice, retrouvait de sa brutalité. Ces images constituent un double, une entité pour lui. On retrouve à la lecture du Livre de l’Intranquillité de Pessoa quelque chose de cette doublure photographique interprétative, et plus précisément dans le regard de Bernardo Soares : « Voir, c’est avoir vu ». Comment être proche et distant ? Comment être intime et pudique ? Pour l’artiste, la pudeur est l’une des clés de la photo et c’est ce qui ressort de cette exposition où la réflexion doit se saisir d’un paradoxe, des deux faces de l’intime : « enfoui et fouillé, dedans et dehors ». L’intime opère donc systématiquement dans un entre-deux, se situant entre l’apparition et la disparition, la « monstration » et l’effacement du sujet. Le sujet ici, c’est à la fois celui qui est photographié et le photographe. Au spectateur, à travers ses déambulations au sein des cinq thématiques (« Plossu cinéma », « Le déroulement du temps », « Les cinémas de l’ouest américain », « Réminiscences » et « Train de lumière »), de se laisser porter par l’univers poétique et mystérieux d’un homme à l’âme voyageuse et au cœur cinéphile.

Nathalie Boisson

Plossu cinéma : jusqu’au 17/04 au FRAC Provence Alpes Côte d’Azur (1 place Francis Chirat, 2e) et à la Non-Maison (22 rue Pavillon, Aix-en-Pce). Rens. 04 91 91 27 55 / www.fracpaca.org

A noter également :
Le 27/02 à 14h au Cinémac (63 avenue d’Haïfa, 8e) : présentation en avant-première des films Le voyage mexicain (30 mn) de Bernard Plossu et Un autre voyage mexicain (1h50) de Didier Morin, en présence des réalisateurs.
Le 20/03 à 14h30 au FRAC, dans le cadre du Week-end Musées Télérama : projection du film Le voyage mexicain, en présence de Bernard Plossu et Dominique Païni.
Le 26/03 à 17h à l’Alcazar : rencontre avec Bernard Plossu autour du processus de création de ses livres : « Faire un livre, c’est comme faire un film », suivie d’une projection cinématographique.