Petit Pays de Gaël Faye © Vincent Berenger - Scène nationale Châteauvallon-Liberté

Retour de Scène |Petit Pays de Gaël Faye, mise en scène de Frédéric Fishbach

Paradis perdu

 

À la Criée, le metteur en scène Frédéric R. Fishbach s’empare avec brio du Petit Pays de Gaël Faye, récit bouleversant sur le génocide des Tutsi au Rwanda vu par les yeux d’un enfant.

 

 

« Papa nous avait pourtant tout expliqué, un jour dans la camionnette.

– Vous voyez au Burundi c’est comme au Rwanda. Il y a trois groupes différents (…) Les Hutu sont les plus nombreux, ils sont petits avec de gros nez (…). Il y a aussi les Twa (…). Et puis il y a les Tutsi, comme votre maman. Ils sont beaucoup moins nombreux que les Hutu, ils sont grands et maigres avec des nez fins et on ne sait jamais ce qu’ils ont dans la tête. Toi, Gabriel, avait-il dit en me pointant du doigt, tu es un vrai Tutsi, on ne sait jamais ce que tu penses. »

Gaël Faye, Petit Pays

 

Gabriel ou plutôt Gaby, le personnage principal de Petit Pays, est un enfant chaleureux et plein d’entrain qui vit et joue avec ses copains au Burundi, dans un milieu privilégié. Gaby et sa sœur Ana s’amusent à différencier les Hutu et les Tutsi de la région à leur allure physique…

Gaël Faye évoque la fabrication coloniale. Gabriel n’a que douze ans quand la guerre éclate dans son pays natal. Son père est originaire du Jura, sa mère est rwandaise, lui et sa petite sœur sont nés sous les manguiers de Bujumbura. Gaby mène la vie douce d’un enfant de son âge, il fait les quatre cents coups avec sa bande, correspond par lettres avec sa première amoureuse Laure, s’enrichit de la littérature avec une voisine et fume quelques cigarettes en cachette. Jusqu’à la séparation de ses parents, mais surtout jusqu’à ce que la guerre éclate, avec l’extermination de près d’un million de Tutsi au Rwanda et dans le pays de Gaby, dans ce qui fut l’un des plus grands génocides du XXe siècle. Absurdité d’un seul et même peuple. 

 

« – La guerre entre les Tutsi et les Hutu, c’est parce qu’ils n’ont pas le même territoire ?

  • Non, ça n’est pas ça, ils ont le même pays.
  • Alors… Ils n’ont pas la même langue ?
  • Si, ils parlent la même langue.
  • Alors, ils n’ont pas le même Dieu ?
  • Si, ils ont le même Dieu.
  • Alors… Pourquoi se font-il la guerre ?
  • Parce qu’ils n’ont pas le même nez. »

Gaël Faye, Petit Pays

 

Frédéric R. Fishbach, souhaite conserver le regard de l’enfance, de ce môme, Gaby. Si jeune mais si conscient de ce monde, particulier et étrange, dont il ne fera qu’assister à sa disparition. Les brillants comédiens, Lorry Hardel, Marie Payen, Nelson Rafaell Madel, Ibrahima Bah, Nawoile Said Moulidi et Anaïs Gournay, incarnent plusieurs visages et s’échangent les rôles.

Si le parti pris de la mise en scène consiste, peut-être, à perdre le spectateur, il nous plonge un peu plus dans les abîmes de ce petit garçon abimé. De ce qu’il ne semblait pas vouloir voir à son âge émerveillé : la fureur de l’humanité. Sur scène, seul un tapis de laine vert vient décrire les espoirs dans la beauté des paysages aux mille collines. Au dessus, la ligne d’un néon en dessine le contour. Deux écrans projettent des images au goût pili-pili sur un croissant au beurre comme pour apaiser la terrible histoire de Gaby, du Rwanda et du Burundi. Celui qui voulait devenir mécanicien pour tout réparer a dû fuir vers la France, laissant derrière lui ses songes et souvenirs…

 

« Les pleurs d’un homme coulent dans son ventre » (proverbe des Tutsi du Rwanda, 1963)

 

Zac Maza

 

Petit Pays de Gaël Faye, mise en scène de Frédéric Fishbach, était présenté du 29/03 au 1/04 à la Criée.