Noway Of Life - (Norvège – 1h35) de Jens Lien avec Trond Fausa Aurvag, Petronella Barker…

Noway Of Life – (Norvège – 1h35) de Jens Lien avec Trond Fausa Aurvag, Petronella Barker…

La vie est belle. La force des courbes du canapé, dans ce loft de verre et de béton ciré, forme une harmonie qui déploie toute sa quiétude au moment du dîner, bio. Les gens, blancs, beaux, sont souriants…

« C’est quoi cette pub pour Ikea ? »

La vie est belle. La force des courbes du canapé, dans ce loft de verre et de béton ciré, forme une harmonie qui déploie toute sa quiétude au moment du dîner, bio. Les gens, blancs, beaux, sont souriants. Calme, lumière, design… tout est si admirable. Les femmes les plus excitantes et cultivées sont à notre portée. Il suffit de demander. Elles diront oui assurément, car elles veulent jouir, également. Vous êtes blessé ? La santé publique va vous soigner. Le ciel est bleu et il ne sert à rien de s’inquiéter pour son avenir car la société fera tout pour que nos compétences ne soient pas gâchées. Si, toutefois, certaines personnes en arrivent quand même à être malheureux, la raison ne peut être que psychologique. Très rarement, en effet, il en est qui se réveillent dans ce monde fabuleux avec au ventre un décalage, un déficit de force qui les empêche de profiter de ce cadre idéal, perfectionné par des centaines d’années d’évolution humaines. Le problème, c’est que VOUS êtes cette personne déconnectée, pour qui cet assemblage d’éléments nécessaires au bonheur n’est qu’une reconstitution sans vie, un jeu de rôle sans naturel. Aussi, il est très étrange de dîner avec des collègues de bureaux satisfaits qui échangent à propos de deux ou trois — grand max — sujets d’intérêts consensuels, comme le mobilier de cuisine. Et il n’est pas rare de ressentir une mise en abîme alors qu’on embrasse le corps étranger de cette (sa) femme au sourire figé, ou pire quand on lui donne la main dans la rue ? Avec cette critique angoissée de la société norvégienne (tendance mondiale), Jens Lien nous embarque dans une vision fantastique et effrayée de son pays et de son époque. Son premier film, hilarant, voit son anti-héros débarquer ex-nihilo, rechercher l’odeur, la saveur, l’humain et ne jamais pouvoir se faire au tempérament à température tempérée de ses compatriotes. L’absence de passion déconcertante — « Chéri, je te quitte – Très bien, mais pas avant samedi car on reçoit les Olaf » — le pousse dans une quête existentielle au milieu d’un monde aseptisé, sans heurt et sans douleur. Ne reste que la peur, maladroite et donc risible. Voisine de la Finlande (Kaurismaki) et de la Suède (Andersson), la Norvège de Jens Lien répond à tous les critères scandinaves (absurde, esthétique) et signe ici l’un des beaux films de l’année. Le cinéma arctique s’installe, fidèle à son adage : « Il vaut mieux en rire ET en pleurer. »

Emmanuel Germond